27/04/2018 les-crises.fr  26min #140663

 Au début de sa visite à Washington, Macron promet une guerre sans fin en Syrie

Londres, Paris, Washington : Le nouvel axe du mal, par Guillaume Berlat

Source :  Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 23-04-2018

Dans un État de droit « on ne peut pas se faire justice soi-même » sinon on serait dans une forme de loi de la jungle où seuls les plus forts gagneraient, nous rappelle fort à propos le site du ministère français de la justice 1. Or, c'est justement tout le contraire que fait le président de la République, notre fringuant Emmanuel Macron - « garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités » 2 - lorsqu'il décide de s'associer, le 14 avril 2018, à des frappes contre des objectifs militaire syriens (prétendus liés à un programme chimique clandestin) en compagnie d'une « coalition avec les États-Unis et le Royaume-Uni » (une sorte de coalition de volontaires) en raison du franchissement d'une « ligne rouge fixée par la France en mai 2017 ».

Alors que les médias moutonniers n'ont de cesse de louer la clairvoyance et le volontarisme de notre nouveau « Diplomator-Terminator » 3, il est utile, si ce n'est indispensable, de s'interroger le plus sérieusement du monde, sur la légalité au regard du droit international existant d'une telle expédition conduite par une sorte de quarteron de chefs d'État et de gouvernement, en mal de notoriété et de reconnaissance. À y regarder de plus près, la situation se présente de manière plus contrastée que l'on veut bien nous le dire dans les milieux bien informés !

RÉPONSE PROBLÉMATIQUE : MACRON, LE LIQUIDATEUR 4

Commençons par le début, ce que déclare la présidence de la République après les frappes dites ciblées et ce que nous montre Paris Match (le poids des mots, le choc des photos) dans une photo du PC Jupiter (cela ne s'invente pas) 5. Ensuite, nous pourrons en tirer quelques remarques préliminaires.

Communiqué de la présidence de la République (14 avril 2018)

« Le samedi 7 avril 2018, à Douma, des dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants ont été massacrés à l'arme chimique, en totale violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Les faits et la responsabilité du régime syrien ne font aucun doute. La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a été franchie.

J'ai donc ordonné aux forces armées françaises d'intervenir cette nuit, dans le cadre d'une opération internationale menée en coalition avec les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume-Uni et dirigée contre l'arsenal chimique clandestin du régime syrien. Notre réponse a été circonscrite aux capacités du régime syrien permettant la production et l'emploi d'armes chimiques.

Nous ne pouvons pas tolérer la banalisation de l'emploi d'armes chimiques, qui est un danger immédiat pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective. C'est le sens des initiatives constamment portées par la France au Conseil de Sécurité des Nations unies.

La France et ses partenaires reprendront, dès aujourd'hui, leurs efforts aux Nations unies pour permettre la mise en place d'un mécanisme international d'établissement des responsabilités, prévenir l'impunité et empêcher toute velléité de récidive du régime syrien.

Depuis mai 2017, les priorités de la France en Syrie sont constantes : terminer la lutte contre Daech, permettre l'accès de l'aide humanitaire aux populations civiles, enclencher une dynamique collective pour parvenir à un règlement politique du conflit, afin que la Syrie retrouve enfin la paix, et veiller à la stabilité de la région.

Je poursuivrai ces priorités avec détermination dans les jours et les semaines à venir.

Conformément à l'article 35, alinéa 2, de la Constitution, le Parlement sera informé et un débat parlementaire sera organisé, suite à cette décision d'intervention de nos forces armées à l'étranger ».

REMARQUES PRELIMINAIRES

À ce stade, nous nous limiterons à deux simples remarques.

La première correspond au membre de phrase suivant du communiqué jupitérien : « Les faits et la responsabilité du régime syrien ne font aucun doute ». Ce qui dans le langage courant signifie que les autorités françaises possèdent la preuve incontestable qu'il y aurait eu utilisation d'une arme chimique (le chlore en tant que tel n'en est pas une 6), que cette utilisation est sans conteste le fait des autorités syriennes et qu'il ne pourrait, en aucune manière, avoir eu « manipulation » intérieure (les rebelles de la Ghouta orientale) ou extérieure (un service de renseignement « russophobe »). On se demande dans ces conditions pourquoi la France, si attachée au multilatéralisme n'a pas attendu les résultats de la visite des inspecteurs de l'OIAC qui devaient arrivée en Syrie le 14 avril 2018, juste après les frappes de la coalition, pour agir 7.

Et si preuves intangibles, il y avait pourquoi ne pas les avoir produites urbi et orbi ? En fait de preuves, on nous ressert le même plat qu'en 2013, une synthèse de notes de renseignement. En vérité, nous ne disposons d'aucune preuve au sens où l'entend le juriste René Capitant : « démonstration de l'existence d'un fait matériel ou d'un acte juridique dans les formes admises par la loi ».

La seconde correspond au membre de phrase suivant du même communiqué : « La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a été franchie ». Ne s'agirait-il pas d'une violation flagrante d'un grand principe du droit selon lequel on ne peut être juge et partie à la même cause. La seule autorité incontestable pour définir quand et comment la norme internationale a été violée est l'OIAC (à la date du 14 avril 2018, ses inspecteurs n'avaient pas été sur le terrain). La seule autorité incontestable pour décider de l'opportunité de sanctionner le délinquant est le Conseil de sécurité de l'ONU et non la France. Nous avons donc sciemment contourné ces deux organismes. Pourquoi ? Et cela alors même que nous nous présentons comme des parangons de vertu en termes juridiques à l'ONU (Cf. discours du président de la République devant l'Assemblée générale de l'ONU en septembre 2017). Mais, heureusement, BHL vient apporter sa caution philosophico-morale à l'expédition syrienne et à Jupiter, par voie de conséquence dans la même livraison de Paris Match 8.

De proche en proche, nous arrivons à un problème de droit international plus grave qui dépasse largement le simple cadre de la Syrie.

MÉPRIS DE LA CHARTE DE L'ONU : LA FIN DU MULTILATÉRALISME

Cette question peut s'apprécier à trois niveaux.

Légitimité n'est pas légalité. Que n'a-t-on entendu comme âneries débités sur un ton sérieux à 3 heures du matin par les duettistes Parly/Le Drian (« frappes circonscrites, proportionnées et légitimes ») ! Soit ces deux ministres régaliens ont une connaissance limitée du droit international, soit ils ont sciemment tordu le droit positif pour justifier ex post une opération présentée comme moralement indispensable mais juridiquement illégale. À cet égard, les propos extravagants tenus par Donald Trump relèvent de la morale (barbarie, criminels, monstres...) et non du droit tel qu'il ressort des concepts précis contenus dans la Charte de l'ONU. Quant au terme de légitimité employé à Paris, il signifie selon le Petit Robert : « qualité de ce qui est juste, équitable, raisonnable ».

En droit, on condamne sur la base de la preuve d'une violation d'une règle de droit et non sur la base d'un soupçon qui contreviendrait à l'équité et à la raison. De qui se moquent le trio de comiques Macron/Le Drian/Parly ? Auraient-ils consommé quelques substances euphorisantes ou illicites avant de nous livrer ces monuments d'ineptie juridique ? De la même manière, contrairement à ce qu'affirme le ministre des Affaires étrangères, la résolution 2118 du Conseil de sécurité ayant pour objet l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, adoptée à l'unanimité le 27 septembre 2013, précise que c'est aussi le Conseil de sécurité qui prend la décision d'intervenir militairement et non tel ou tel État. Nuance, mais nuance de taille... Une possibilité d'intervention prévue en vertu du chapitre VII de la Charte de l'ONU est considérée par la France comme une autorisation permanente d'intervention. On croit rêver en attendant pareilles coquecigrues de la part d'experts 9.

Morale n'est pas droit. La Charte de l'ONU est très claire pour celui qui veut bien la lire sérieusement. Elle n'est pas et n'a jamais été un code moral. Certains diplomates peu suspects de complaisance envers le régime syrien et le pouvoir russe relèvent - ce que tout homme censé ne peut que constater - la contradiction à vouloir « restaurer le droit », d'une part tout en s'affranchissant des bases juridiques pour justifier une action coercitive, de l'autre. En effet, les galipettes américano-britannico-françaises n'entrent dans aucun des trois cas de figure prévus par la Charte de l'ONU : mandat express du Conseil de sécurité de l'ONU (la Russie ayant opposé son veto au projet de résolution occidental, comme la Chine du reste), légitime défense prévue à l'article 51 (le régime syrien a-t-il attaqué l'un des trois États attaquant ?) ou une demande de la Syrie (comme le font les pays africains qui appellent l'ancienne colonie à la rescousse quand les choses vont mal).

Or, rien de tout cela. Nous sommes dans un cas d'école patent de violation du droit international par ceux qui s'en réclament et qui condamnent ceux qui s'en exonèrent. Nous sommes en présence d'une « opération militaire internationale unilatérale » 10. Qu'on fait les Occidentaux pour faire avancer la paix en Syrie ? Ils prétendent faire la guerre ciblée pour faire avancer la cause de la paix. Le pape François le regrette le 15 avril 2018.

Contourner n'est pas jouer. Au train où vont les choses, le risque est grand que l'ONU subisse le même sort funeste que la Société des nations (SDN) avec la Seconde Guerre mondiale. Et, la France aura contribué à cet enterrement de première classe d'une organisation internationale au sein de laquelle elle occupe une place privilégiée par son statut de membre permanent. Rappelons que tout ordre sur lequel repose un système de sécurité collective requiert la trilogie suivante : une norme, un juge chargé de vérifier la conformité ou la violation du comportement par rapport à la norme et un gendarme pour la faire respecter en cas de besoin 11. Pour prévenir toute confusion, il doit exister une stricte séparation entre le juge et le gendarme. Ce qui n'a certainement pas été le cas dans l'affaire des frappes ciblées du 14 avril 2018. En effet, le trio occidental infernal s'est investi du rôle de juge et de celui de gendarme quoi qu'en dise l'ambassadeur de France auprès de l'ONU, François Delattre dans ses diatribes russophobes et délirantes. Ce qui n'est pas dans son rôle de diplomate en charge de trouver des solutions et non de créer des problèmes.

Avant de passer au filtre du Conseil de sécurité de l'ONU, l'affaire aurait dû être étudiée et expertisée par l'organisation internationale des armes chimiques (OIAC basée à La Haye) qui a la charge exclusive de vérifier la mise en œuvre de la convention de 1993.

DÉDAIM DE L'OIAC : LA FIN DE LA CONVENTION D'INTERDICTION DES ARMES CHIMIQUE

La démarche singulière de la France interpelle au moins à deux titres : de façon globale et de manière spécifique, voire technique au sujet du rôle de l'OIAC. Elle doit nous fournir l'occasion de nous rappeler le contexte de l'éviction par Washington du premier directeur de cette organisation, José Bustani.

De légitimes interrogations globales. Une question se pose : si les occidentaux avaient des preuves de la poursuite de programmes clandestins de la fabrication ou du stockage de telles armes, pourquoi n'ont-ils pas déployé des initiatives politiques fortes, en concertation ou en faisant pression sur les Russes, pour poursuivre la destruction et la mise sous surveillance de ces stocks, pour empêcher le régime de Bachar Al Assad de mener des bombardements criminels ? Pourquoi n'ont-ils pas réclamé que l'OIAC déclenche immédiatement le système des inspections dites par défi (« challenge inspections ») destiné à répondre à de tels cas de figure comme cela est prévu dans la convention de 1993. De même, on cherche en vain, depuis cinq ans, la trace de telles initiatives au Conseil de sécurité, en dehors de quelques déclarations formelles sans véritable contenu. Tout ceci n'est que poudre aux yeux et politique de com'.

De légitimes interrogations spécifiques. Pourquoi des initiatives politiques sont-elles prises maintenant après l'envoi de missiles en violation de la légalité internationale ? A-t-on attendu que le régime de Damas franchisse la fameuse « ligne rouge » pour pouvoir ensuite accomplir une action militaire spectaculaire, sans doute peu efficace, mais permettant aux occidentaux comme certains observateurs l'ont fait remarquer, de revenir au premier plan de la scène politique du conflit syrien dont ils se sont eux-mêmes isolés depuis 2011 ? Aurait-on délibérément pris le risque de voir périr des dizaines d'innocents pour faire un « coup » politique au lieu de tout faire pour prévenir des attaques criminelles de l'armée syrienne ? Je me refuse à croire à une telle hypothèse, mais je pense que, dans les cercles militaires français, étatsuniens, de l'OTAN, la culture dominante reste celle du primat de la force sur le respect du droit international et l'action politique, nous dit un expert. Pourquoi ne pas avoir porté l'affaire des éventuelles violation de l'embargo sur les armes chimiques à destination de la Syrie par des firmes belges ? 12

De légitimes interrogations techniques. Si l'on comprend le mépris affiché par l'administrations américaine vis-à-vis de l'OIAC, on ne peut que s'interroger sur la distance française à l'égard de cette organisation internationale alors que Paris se veut le chantre du multilatéralisme. Rappelons que la France est dépositaire du protocole de Genève de 1925 et qu'elle a accueilli à Paris la signature de la convention de 1993. Pourquoi ne pas avoir saisi l'OIAC depuis que nous avons des doutes sur le respect des dispositions concernant la destruction de ses stocks d'armes chimiques par Damas ? Pourquoi ne pas avoir transmis nos informations, nos preuves de l'existence d'un programme clandestin syrien ? Ne souhaitions-nous pas contourner cette organisation pour avoir les mains libres - sachant que Moscou opposerait un veto à toute initiative occidentale comportant une action coercitive - pour une expédition unilatérale illégale ? Ce qui serait gravissime pour un pays comme la France qui avait eu le courage de s'opposer à la guerre américano-britannique de 2003 avec les conséquences que l'on sait. La France serait-elle définitivement rentrée dans le giron américain ? Une fois de plus, et au rythme où vont les choses, nous risquons d'être les fossoyeurs de l'OIAC. Pourquoi avoir frappé le jour même où les inspecteurs de l'OIAC arrivaient en Syrie ? Le moins que l'on puisse dire est que tout cela est étrange 13. Il est vrai que le conseiller spécial de Jean-Yves Le Drian, l'inoxydable Jean-Claude Mallet est une sorte de John Bolton à la française qui accorde peu de crédit à l'OIAC. Ceci explique peut-être cela.

La jurisprudence Bustani. N'oublions pas la manière indigne et grossière dont John Bolton a eu la peau du premier directeur de l'OIAC, le brésilien José Bustani. Ce dernier avait pour seul défaut de ne pas obéir aveuglément aux Diktat du Département d'État et de croire à l'indépendance de l'organisation internationale qu'il dirigeait. Menaces proférées par le sinistre homme à la moustache contre les proches de José Bustani vivant à New-York ! 14 Et ce personnage vient de reprendre du service comme conseiller national à la sécurité de Donald Trump à la Maison-Blanche 15. Et, c'est avec ce genre de personnage peu recommandable que l'Élysée, voire le clan néo-conservateur du Quai d'Orsay, traite. Horresco referens !

Nos brillants esprits auraient eu intérêt à méditer les leçons de l'Histoire la plus récente et non réagir comme des gamins dans une cour d'école. Le jour où la Vérité sortira, ils ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas surtout si, s'agissant des Français qui nous ont raconté des bobards (une synthèse des notes de renseignement qui constituerait une preuve irréfragable de la culpabilité syrienne), ils pourraient un jour être traînés devant la Cour pénale internationale pour crime de guerre.

Ce feu d'artifice de la nuit du 13 au 14 avril 2018 aura des conséquences négatives à brève échéance. N'en doutons pas ! Et à ce moment, nous ferons mine de jouer l'effet de surprise et de sidération.

SUITE SANS FIN : UNE FRANCE ALIGNÉE... ET LA SYRIE, APRÈS ?

Quelques remarques s'imposent à ce stade. Sur le plan international, la France redevient alignée sur le grand frère américain comme au bon vieux temps de la Quatrième République. Le général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe. À la mémoire courte des Occidentaux, il faut opposer la mémoire longue de la Russie. Sans parler de l'indignation à géométrie variable et de la cacophonie interne française. Notre aimable trio de Pieds nickelés ne semble pas très désireux de résoudre le cœur du problème de la zone.

La mémoire courte des Occidentaux. Rappelons-nous où conduisent les aventures militaires hasardeuses conduites sans but de guerre précis et, donc, sans stratégie claire en compagnie des Américains ou seuls ! Deux exemples éclairent notre lanterne. Sept ans après l'épopée libyenne, le pays est plongé dans un chaos sans fin dont nous n'arrivons pas à sortir. Le peuple libyen en paie le prix fort... et peut-être un jour prochain Nicolas Sarkozy. Le 14 avril 2018, jour des frappes en Syrie, les forces françaises et de la MINUSMA basées à Tombouctou subissaient de sérieuses pertes de la part de groupes terroristes. Cinq ans après le lancement de l'opération Serval, le Mali est en état de décomposition avancée 16. Après le « mission accomplie » lancé le 14 avril 2018, le risque est grand que cette frappe ne soit qu'un coup d'épée dans l'eau qui ne fasse pas avancer d'un pouce le processus de paix et la fin du calvaire syrien. Ne parlons pas de l'Afghanistan plongée dans une pagaille monstre qui voit le retour en force des Talibans que nous avions boutés au Pakistan. L'Histoire ne serait-elle qu'un éternel recommencement ?

La mémoire longue des Russes. Ce n'est pas en humiliant Russes et Iraniens que la France parviendra à se réintroduire dans le jeu diplomatique dont elle s'est elle-même exclue. En diplomatie, la perte de la confiance se paie au prix le plus élevé. Ce ne sont ni le bougisme, ni le en même temps qui changeront le cours des choses. L'illusionnisme n'a pas cours dans les relations internationales. Souvenons-nous enfin que les Russes ont la mémoire diplomatique très longue et que leur réaction se fera le moment venu ! La violation de l'esprit et la lettre de la résolution 1973 sur la Libye par Nicolas Sarkozy et ses affidés a entraîné la mort de la responsabilité de protéger (R2P) et le refus russe de voter toutes les résolutions du Conseil de l'ONU sur la Syrie (douze vetos). La violation du 14 avril 2018 apportera son lot de surprises dans un avenir proche. À une diplomatie tactique des Occidentaux répond une diplomatie stratégique de la Russie. En diplomatie, un peu d'humilité ne fait jamais de mal. L'arrogance conduit aux pires déconvenues.

Une indignation à géométrie variable. En quoi notre brillante épopée fera-t-elle cesser les combats en Syrie (400 000 morts) et fera-t-elle naître un espoir de paix aussi mince soit-il ? Il est vrai que le sort du Yémen ne semble pas trouver un écho aussi favorable auprès de Jupiter. On ne peut baiser la babouche de MBS et le critiquer pour ses crimes contre l'humanité dont il devra bien rendre compte un jour devant la CPI... pourquoi pas en compagnie de Jupiter pour complicité de crimes contre l'humanité. Les faits sont têtus. Que lui disent ses brillants juristes sortis de l'ENA au Conseil d'État ? Manifestement, ils pratiquent à merveille l'esprit de cour et la théorie de la servitude volontaire.

Le principal problème. Au Moyen-Orient, les perceptions ont valeur de fait 17. Toute cette agitation, ce bruit pour rien, fait l'impasse sur le principal problème du jour qui peut exploser à la moindre étincelle, celui de l'opposition de plus en plus frontale entre Iran (qui veut engranger les dividendes de son succès sur le terrain) et Israël (qui veut assurer à tout prix sa sécurité). Au Moyen-Orient, plus souvent qu'on ne l'imagine, les gens font ce qu'ils disent. Comment Jupiter et ses deux acolytes entendent-ils aborder le problème ? Par la voie coopérative (une hypothétique médiation) ou par la voie coercitive (un nouveau bombardement) ? Nos brillants stratèges ne communiquent pas sur le sujet. C'est silence sur radio Macron. Comme pour nous montrer qu'aucune solution n'est possible sans la Russie, nous apprenons que si l'État hébreu (qui célèbre le 70ème anniversaire de sa création le 19 avril 2018) entend montrer sa force face à Téhéran, il entend, en même temps, ménager Moscou 18.

Si Israël agit ainsi, c'est qu'il a bien compris que sa sécurité passe aussi par Moscou. Par ailleurs l'heure de vérité ne va pas tarder à sonner du côté américain (12 mai 2018) en ce qui concerne la prolongation ou non de l'accord nucléaire du 14 juillet 2015 19. Quid de l'axe Riyad/Tel Aviv/Washington ? Tout est dans l'air du temps qui n'est autre que le temps du vide dans cette période de l'ivresse de l'immédiat.

Notons pour être complet que sur le plan interne, la France apparaît fracturée après une expédition aussi peu glorieuse 20. La classe politique française est divisée sur l'opportunité de telles frappes 21. De manière tout à fait paradoxale, les jugements les plus pertinents sur le plan juridique et diplomatique sont venus de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Un comble...La droite évolue entre raison et démagogie oppositionnelle 22. Quid d'un éventuel retour de bâton sur notre territoire dans les semaines ou les mois à venir de la part d'individus et de groupes organisés voulant punir les responsables de ce qui est vu, à tort ou à raison, comme une croisade occidentale contre l'Islam ? Quid d'une France indépendante à même de jouer les médiatrices dans les conflits en cours et futurs ? Tout cela confine au rêve, à la chimère qui n'a pas sa place tant sur le plan intérieur qu'extérieur. Ne parlons-pas du coup financier de cette plaisanterie médiatique pour le budget du ministère des Armées quand on connait le coût d'un missile de croisière naval dont trois ont été tirés (2,8 millions d'euros l'unité) et du missile Scalp dont neuf ont été tirés par des Rafale (1 million d'euros pièce) et de tout le ravitaillement en vol de l'armada des Mirage 200-5 et des AWACS qui a conduit l'opération ! 23

« Le coup de com permanent » 24. Telle pourrait être la leçon de cette aventure militaire américaine à laquelle la France et le Royaume-Uni ont été associés pour faire nombre, pour jouer l'éternel rôle de second et d'idiot utile. L'ancien directeur du FBI, James Comey qualifie Donald Trump de « parrain » d'une mafia au sein de laquelle « les mensonges (sont) à tous les étages au service d'un code de loyauté qui plaçait l'organisation au-dessus de lois, de la morale et de la vérité » 25. Pensons-nous un seul instant créer la confiance indispensable au lancement d'un processus de négociation diplomatique en jouant avec la guerre en Syrie et en maniant l'anathème contre Moscou et Téhéran ? 26 Ne pensons-nous pas que cette pétarade va conforter le régime syrien que nous voulons affaiblir ? 27 Avec Jupiter, la pédagogie tourne souvent à la démagogie. Le terme de « lignes rouges » n'est pas un concept contenu dans la Charte de l'ONU. Il s'agit d'une pure invention de communicants pour justifier une opération de guerre illégale selon les canons du droit international.

Qu'on le veuille ou non ! Moscou a entièrement raison, sur un plan strictement juridique, de dénoncer « un acte d'agression contre un pays souverain » 28. Par une de ces facéties de l'Histoire, ce ne sont plus l'Iran, l'Irak et la Corée du nord qu'il convient de classer dans « l'axe du mal » comme l'avait fait en son temps, George W. Bush mais ce sont plutôt ces derniers qui peuvent désormais ranger le trio infernal Londres/Paris/Washington dans le nouvel axe du mal pour avoir délibérément violé le droit international le 14 avril 2018.

Guillaume Berlat
23 avril 2018

 1  www.ado.justice.gouv.fr/index.php?page=vivre_ensemble
 2 Article 5 de la constitution française du 4 octobre 1958,  www.conseil.constitutionnel.fr
 3 Marie Bourreau/Gilles Paris/Marc Semo, Riposte ciblée des États-Unis et de leurs alliés contre le régime syrien. Washington, Paris et Londres frappent Damas en représailles, Le Monde, 15-16 avril 2018, pp. 1-2-3.
 4 À droite toute.... Le liquidateur, Marianne, 13-19 avril 2018, pp. 1, 8 à 18.
 5 Bruno Jeudy, Macron chef des Armées, Paris Match, 19-15 avril 2018, pp. 44-49.
 6 Benjamin Hautecouverture, « Les armes chimiques, un moyen pour Poutine de tester les démocraties », Le Monde, 15-16 avril 2018, p. 15.
 7 Benjamin Barthe/Stéphane Maupas, Syrie : les difficultés de l'OIAC pour inspecter le site de la Douma, Le Monde, 19 avril 2018, p. 5.
 8 Bernard-Henri Lévy (propos recueillis par Olivier Royant), « La plus grande erreur, celle qui a le plus favorisé Daech, c'est la non-intervention en Syrie », Paris Match, 19-25 avril 2018, pp. 50-53.
 9 Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, La « responsabilité de protéger nous oblige », Le Monde, 17 avril 2018, p. 23.
 10 Daniel Durand, Intervention en Syrie : interrogations troublantes,  www.culturedepaix.blogspot.fr, 15 avril 2018.
 11 Philippe Moreau Defarges, La tentation du repli. Mondialisation, démondialisation (XVe-XXIe siècles), Odile Jacob, p. 72.
 12 Jean-Pierre Stroobants, Syrie : trois firmes belges auraient violé l'embargo sur les armes chimiques, Le Monde, 20 avril 2018, p. 7.
 13 René Backmann, Contre les armes chimiques, un volontarisme tardif,  www.mediapart.fr, 14 avril 2018.
 14 Richard Labévière, Syrie : bombardements foireux à la Diafoirus,  www.prochetmoyen-orient.ch, 16 avril 2018.
 15 Jean Daspry, De quoi John Bolton est-il le nom ?,  www.prochetmoyen-orient.ch, 16 avril 2018.
 16 Morgane Le Cam, Au Mali, les attaques djihadistes contre l'ONU s'amplifient, Le Monde, 17 avril 2018, p. 6.
 17 Alain Frachon, Syrie, la guerre qui vient, Le Monde, 20 avril 2018, p. 21.
 18 Piotr Smolar, Israël montre sa force face à l'Iran en voulant ménager Moscou, Le Monde, 20 avril 2018, p. 7.
 19 Collectif, « Congressistes américains, soutenons ensemble l'accord avec l'Iran », Le Monde, 20 avril 2018, p. 20.
 20 Éditorial, Désunion nationale sur la Syrie, Le Monde, 18 avril 2018, p. 22.
 21 Manon Rescan, En France, le débat politique bien loin d'une « union sacrée », Le Monde, 17 avril 2018, p. 3.
 22 Lucie Delaporte, La droite se déchire sur l'intervention en Syrie,  www.mediapart.fr, 15 avril 2018.
 23 Claude Angeli, La participation française à l'opération en complément de « Fauconneries limitée » au sein du clan Trump, Le Canard enchaîné, 18 avril 2018, p. 3.
 24 Arnaud Benedetti, Le coup de com' permanent, éditions du Cerf, 2018.
 25 James Comey, Mensonges et vérités, une loyauté à toute épreuve, Flammarion, 2018.
 26 Marc Semo/Marie Bourreau, Après les frappes, une carte diplomatique incertaine, Le Monde, 17 avril 2018, pp. 2-3.
 27 Bertrand Badie, Cette intervention pourrait conforter Bachar Al-Assad, Le Monde, 17 avril 2018, p. 22.
 28 Isabelle Mandraud, Vladimir Poutine dénonce un « acte d'agression contre un pays souverain », Le Monde, 15-16 avril 2018, p. 3.

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Source :  Proche & Moyen-Orient, Guillaume Berlat, 23-04-2018

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