Paul Craig Roberts a constitué depuis des années une voix prépondérante dans la presse antiSystème, d'autant plus marquante qu'il fut un des ministres (Trésor) du président Reagan. De même, ces dernières années, essentiellement depuis le début de la crise ukrainienne (février2014), les analyses de PCG ont été marquées par un catastrophisme constant dans l'annonce de l'inéluctabilité très rapide d'un conflit au plus haut niveau, presque sûrement de type nucléaire. Il a toujours été démenti dans cet extrémisme-là de l'analyse.
Parallèlement, il a insensiblement évolué dans une autre direction : celle de la critique du gouvernement russe pour son absence de réactions face aux provocations du bloc-BAO (USA essentiellement), que ce soit en Ukraine, et surtout désormais en Syrie. Ce cas était beaucoup plus défendable que le précédent et n'a cessé de se renforcer. Pendant un temps assez long, on a pu penser qu'on pouvait opposer à cette critique des résultats importants de la Russie, notamment en Syrie, au moindre prix, c'est-à-dire sans risquer un affrontement direct avec les USA. Tant que ce fut le cas, l'argumentaire de PCG pouvait être discuté et contesté.
Il semble que, depuis quelques temps, son argumentaire devienne de plus en plus acceptable, à mesure que l'on sent se durcir les dispositions des éléments bellicistes à Washington, et l'absence de plus en plus flagrante de freins dans leurs actions. Ce n'est donc pas que PCG avait raison il y a deux ans ou un an, mais que, du fait de l'évolution de la situation, il commence à n'avoir plus tout à fait tort ; et dans ce cas, il aurait raison d'imputer l'essentiel de la cause de cette évolution à une attitude trop prudente, trop laxiste du gouvernement russe.
Les Russes ont laissé faire officiellement l'attaque de "la nuit du vendredi-13" (avril), bien qu'ils aient prêté main-forte aux Syriens là où ils ont pu le faire sans trop de visibilité (renseignements d'identification, de parcours, d'acquisition de cibles, intenses actions de brouillage par contre-mesures électroniques, etc.). Ils ont pu se croire une fois de plus rassurés par le fait qu'ils ont été abondamment informés par les USA et le reste des objectifs visés pour qu'aucun risque n'existe qu'un soldat russe, ou un conseiller russe soit touché ; d'ailleurs et pour être plus sûr, personne n'a été touché et l'attaque a été militairement un véritable simulacre. Il n'en est pas de même de l'attaque du 30 avril, qui met en action effectivement des explosifs d'une très grande puissance contre des dépôts de munitions et de missiles, - si puissante que certains ont pu croire à une explosion nucléaire.
Dans ce cas, effectivement, le raisonnement de Paul Craig Roberts, dont on lit bien qu'il est essentiellement antirusse dans son texte du 30 avril, - mais antirusse pour les raisons exactement inverses de celles qu'on développe à Washington, - acquiert un poids et une pertinence considérables. Il est vrai que les Russes se trouvent confrontés de plus en plus à la perspective de la possibilité, voire de la probabilité d'une attaque où leurs forces seraient impliquées et où ils se trouveraient dans l'obligation de riposter sous peine d'accepter une défaite stratégique majeure qui compromettrait leur politique, leur position stratégique en Syrie, et au-delà, la sécurité de leur propre territoire. Si la logique de PCG est bonne, cette issue-là d'un affrontement essentiellement russo-américain est inéluctable. Pour cela, il écrit effectivement que nous n'en sommes qu'aux prémices de la (véritable) crise syrienne, qui ne serait alors qu'une porte d'entrée pour une crise d'affrontement mondial.
Ci-dessous, une adaptation française de son texte du 30 avril 2018 sur son site paulcraigroberts.org.
dde.org
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Escalade de la crise syrienne
Comme je l'ai écrit il y a deux semaines, le crise syrienne est seilement dans sa phase préliminaire. L'attaque sur des positions de l'armée syrienne la nuit dernière, apparemment une opération US/Israël, est la preuve que la crise continue à se développer.
Il y a quatre causes à cette crise, qui se renfoorcent mutuellement :
(1) La capacité d'Israël d'utiliser le gouvernement US pour éliminer les ennemis d'Israël au Moye,--Orient qui constituent des obstacles à l'expansion d'Israël. Israël a comme cible la Syrie et l'Iran parce que ces deux gouvernements soutiennent et ravitaillent les milices du Hezbollah au Liban, qui ont à deux reprises repoussé des tentatives d'Israël de s'établir dans le Sud du Liban pour contrôler des réserves d'eau potable.
(2) L'idéologie néoconservatrice d'hégémonie mondiale des USA, qui s'accorde parfaitement avec le programme d'Israël au Moye-Oroent, produit une très forte alliance des néoconservateurs avec Israël.
(3) Les besoins de justification de budgets massifs et de grande puissance en production, pour rencontrer les vœux du complexe militaro-industriel US.
(4) L'incapacité du gouvernement russe de comprendre les trois précédentes cuses.
La façon dont le gouvernement russe s'exprime conduit à penser que les Russes croient que les actions militaires de Washington au Moyen-Orient au cours des 17 dernières années, depuis l'invasion américaine de l'Afghanistan qui est une guerre toujours en cours, concernent la lutte contre le terrorisme. Les Russes continuent d'exprimer l'opinion que la Russie et les États-Unis devraient joindre leurs efforts en une lutte commune contre le terrorisme. Apparemment, le gouvernement russe ne semble pas comprendre que le terrorisme est la création de Washington. Les longues guerres avec des résultats défavorables qui ont été les résultats des invasions par Washington de l'Afghanistan et de l'Irak ont conduit Washington à recruter et à former des terroristes pour renverser la Libye et la Syrie. On comprend clairement que Washington ne va pas se battre contre l'arme qu'il a créée pour réaliser son programme.
La confusion du gouvernement russe au sujet de la relation de Washington au terrorisme est la quatrième cause de la crise syrienne en cours. Washington a été pris complètement de court en 2015 par l'intervention surprise de la Russie en Syrie aux côtés du gouvernement syrien contre les "rebelles" djihadistes de Washington. La Russie contrôlait complètement la situation et aurait pu mettre fin à la guerre en 2016. Au lieu de cela, elle a voulu apaiser Washington et montrer un visage raisonnable à l'Europe, et le gouvernement russe a annoncé en mars 2016 une victoire et un retrait prématurés. Cette erreur fut répétée et chaque fois que la Russie fit cette erreur, Washington en profita pour déployer ses propres troupes et aéronefs pour réapprovisionner et regrouper ses mercenaires djihadistes, et pour susciter ou faciliter la participation israélienne, saoudienne, française et britannique aux assauts militaires contre la Syrie. Désormais, le problème est que les troupes américaines sont mêlées aux mercenaires djihadistes, ce qui rend difficile pour l'alliance syro-russe de nettoyer le territoire syrien des envahisseurs étrangers sans tuer des Américains, ce que les Russes et les Syriens ont jusqu'ici évité. Le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, accuse Washington d'essayer de partager la Syrie mais c'est l'indécision russe qui a conduit à la partition de la Syrie.
L'incapacité du gouvernement russe à comprendre l'alliance américano-israélienne / néoconservatrice et ce que cela signifie pour le Moyen-Orient, ainsi que l'indécision du gouvernement russe à fournir à la Syrie le système de défense antiaérienne S-300, ont permis à la crise de dégénérer avec l'attaque non revendiquée de la nuit dernière [30 avril] sur les positions militaires syriennes avec ce qui semble avoir été des bombes à pénétration profonde, marquant ainsi une escalade dans la violence des attaques.
Les attaques de la nuit dernière ont tué des Iraniens et la prochaine attaque pourrait tuer des militaires russes. À un moment donné, le gouvernement russe devrait arriver à se lasser de ses humiliations permanentes, auquel cas les avions israéliens et américains commenceront à tomber du ciel et les attaques contre les positions "rebelles" feront des victimes américaines.
L'incapacité du gouvernement russe à comprendre que la paix n'est absolument pas le but israélo-américain et qu'il n'y a aucune bonne volonté des États-Unis et d'Israël sur laquelle la Russie puisse compter pour parvenir à un accord de paix en Syrie et au Moyen-Orient signifie que la crise continuera à s'aggraver jusqu'à ce qu'on parvienne à la guerre ouverte.