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03/04/2019 bastamag.net  8min #154250

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Pour quels faits et à quelles peines de prison, des centaines de gilets jaunes ont-ils été condamnés ?

En quatre mois de mobilisation et vingt journées nationales de manifestations, 2000 participants au mouvement des gilets jaunes ont été condamnés, selon la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Les procès, dont nombre se sont tenus dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate, sont-ils équitables ? Assiste-t-on à une justice d'urgence, plus sévère, comme le dénoncent certains avocats ? La justice condamne-t-elle des « gilets jaunes » avant même que des actes soient commis ? C'est pour répondre à ces questions que, au-delà des chiffres livrés par la ministre, nous avons épluché les comptes-rendus de procès qui ont été suivis par les journaux locaux et nationaux ainsi que par des collectifs. Nous avons ensuite réalisé une base de données qui comprend 412 condamnations à des peines de prison (ferme, avec sursis ou cumulant les deux).

Que disent les chiffres officiels ?

Selon la ministre de la Justice, sur les 2000 condamnations annoncées le 24 mars, « 40 % sont des peines d'emprisonnement ferme et 60 % sont d'autres types de sanction, par exemple des travaux d'intérêt général, des sursis, etc. ». 390 mandats de dépôt ont été prononcés : les personnes ont été incarcérées avant ou après leur jugement. 100 prévenus ont été relaxés par les tribunaux et 1700 affaires ont été classées sans suite.

Le nombre de condamnés pourrait rapidement augmenter : 1800 personnes sont en attente d'être jugées, en particulier pour les accusations les plus graves qui nécessitent des enquêtes plus longues, comme « pour les dégradations commises à l'Arc de Triomphe », le 1er décembre, précise le ministère de la Justice. D'autre part, pas moins de 400 requêtes ont été adressées à des juges pour enfants, après l'interpellation de mineurs lors de manifestations ou d'actions.

Voilà pour les chiffres officiels. Mais pour quels faits les gilets jaunes ont-ils été condamnés ? Quels types de peines ont été prononcés ? Dans quelles conditions ces condamnations ont-elles été décidées ? Notre base de données n'est pas exhaustive et ne compile que les cas documentés. Les peines les plus lourdes retiennent davantage l'attention des journalistes. Tout un pan des condamnations - amendes, travaux d'intérêt général - est occulté. Parfois, si la presse fait état d'une peine prononcée, le motif n'a pas forcément été précisé. Nos données sur ces 412 condamnations, sur tout le territoire, révèlent cependant une partie de la face judiciaire, inédite, de la répression de ce mouvement.

Les violences contre les forces de l'ordre constituent la majorité des faits reprochés

D'après les condamnations que nous avons compilées, les violences contre les forces de l'ordre représentent près de 60 % des faits reprochés [1]. Ces violences figurent aussi parmi les faits les plus lourdement punis : sur 21 condamnations à deux ans ou plus de prison (sursis et ferme confondus), les deux-tiers ont été prononcées contre des personnes jugées coupables de violences contre des policiers ou des gendarmes. Les « jets de projectiles » constituent la première forme de ces violences (60 %), loin devant les violences physiques (20 %). Ces violences physiques sont d'ailleurs plus sévèrement punies : 80 % des peines dépassent les six mois de prison, ferme ou avec sursis. Les peines pour violences contre personnes dépositaires de l'autorité publique peuvent aller jusqu'à sept ans de d'emprisonnement (art. 222-13 du Code pénal).

Dégradations : des condamnations un peu moins sévères

Les dégradations de biens - importantes puisqu'elles représentent 20 % des condamnations que nous avons recensées - sont moins sévèrement condamnées que les violences contre les forces de l'ordre. 80 % des peines prononcées sont inférieures à six mois de prison ferme, et la moitié de ces peines ne prévoient pas de prison ferme. Les trois quarts des faits de dégradations ont été jugés plus de 10 jours après les faits. Ces condamnations sont les plus sévères (11 mois en moyenne contre 6 mois pour les condamnations « rapides »). Les dégradations de biens peuvent être punis jusqu'à deux ans d'emprisonnement (art. 322-1 du Code pénal).

Plus globalement, 80% des peines que nous avons recensées sont inférieures à 12 mois de prison ferme ou avec sursis [2].

Les faits les moins graves jugés très rapidement

La justice a-t-elle été exceptionnellement rapide face aux gilets jaunes ? 70 % des condamnations ont été prononcées dans la semaine qui a suivi les faits, dont l'immense majorité dans les 72 heures. Malgré la rapidité et les risques d'impréparation de la défense, ces peines n'ont, en général, pas été les plus sévères. En moyenne, les peines prononcées dans les 10 jours suivant les faits sont de 6,4 mois d'emprisonnement - ferme et sursis compris. Lorsque les jugements se sont tenus plus de dix jours après les faits, la gravité des peines prononcées a quasiment doublé : 11 mois en moyenne. Ces données seront amenées à évoluer puisque les faits les plus complexes et les plus graves seront présentés devant la justice dans quelques semaines, à la suite de convocations par officier de police judiciaire ou de renvoi par les juges d'instructions.

Les journées du 1er et du 8 décembre les plus violentes

Si l'on s'intéresse au nombre de condamnations prononcées par « actes » des gilets jaunes, trois ressortent plus particulièrement : celui du 1er décembre (acte III), avec les violences commises autour de l'Arc de triomphe, celui du 5 janvier (acte VIII), avec les heurts sur le Pont des Arts, celui du 16 mars (acte XVIII) avec les dégradations du Fouquet's et de plusieurs boutiques de luxe autour des Champs-Élysées, ont été, pour l'instant, les plus « judiciarisés ». Plus de 40 peines de prison ont été prononcées suite à chacune de ces journées d'action, dont près de 80 dans la foulée du 1er décembre.

Nous avons également comparé le nombre de condamnations par actes avec les signalements de violences policières répertoriés par le journaliste David Dufresne pour Mediapart. Cela permet de mesurer le niveau de violence de certaines journées de manifestations, par le nombre de signalements de manifestants blessés et celui des personnes interpellées puis condamnées à des peines de prison. Il ne s'agit bien évidemment pas de justifier a posteriori les violences commises par les forces de l'ordre au regard du nombre de condamnations prononcées ensuite, ni celles commises par les manifestants au regard du nombre des violences policières signalées.

Enfin, les manifestations ne sont pas les seules occasions de condamnations pour les « Gilets jaunes » : 20 % des condamnations sont liées à des faits sans liens avec des manifestations. A l'exemple d'un jeune homme de 28 ans, très présent sur les mobilisations des rond-points, et condamné à Narbonne à six mois de prison ferme pour avoir diffusé sur les réseaux sociaux un appel à bloquer la raffinerie de Port-la-Nouvelle.

Simon Gouin et Alexandre Léchenet

A lire :  Le traitement des gilets jaunes par la justice renforce « l'idée qu'il y a les puissants d'un côté, et les autres »

Notre dossier sur les condamnations des gilets jaunes
Pendant plusieurs semaines, Basta ! s'est plongé dans les centaines de condamnations de gilets jaunes à de la prison, pour en connaitre les raisons. Retrouvez  une première analyse du traitement judiciaire des gilets jaunes ici. Et notre base de données, non exhaustive, est à découvrir  en ligne sur cette page.
Si vous souhaitez nous faire remonter des jugements, écrivez-nous à cette adresse : basta[arobase]bastamag.net

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Notes

[1] 165 condamnations sur 284 dont on connaît le motif.

[2] Pour les 316 condamnations pour lesquelles ont connaît le détail de la peine.

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