Mardi 23 juillet, la jeune suédoise, en grève pour le climat, s'est adressée aux députés français. Greta Thunberg les a exhortés à « écouter les scientifiques ». Un peu plus tard dans l'après-midi, ces mêmes parlementaires ont voté en faveur de la ratification du traité de libre-échange avec le Canada, considéré par beaucoup comme climaticide.
Mardi 23 juillet, rue de l'université à Paris, de fines gouttes de sueur perlaient sur les tempes et les chemises collaient à la peau. Trente-huit degrés à l'ombre, et le thermomètre explosait au soleil. Dans le cagnard, une soixantaine de journalistes faisaient le pied de grue sur le parvis de l'immeuble Jacques Chaban-Delmas. Ils attendaient Greta Thunberg, militante suédoise et « étincelle du mouvement des jeunes pour le climat », selon les mots du député de Maine-et-Loire Matthieu Orphelin. L'adolescente de 16 ans, devenue l'égérie médiatique de la lutte contre le changement climatique, était invitée à l'Assemblée nationale par 162 députés membres du collectif transpartisan « Accélérons la transition écologique et solidaire ».
Après avoir reçu le Prix Liberté 2019 dimanche, en Normandie, et rencontré le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand dans la matinée, Greta Thunberg est arrivée à midi à la salle Victor Hugo, une annexe de l'Hémicycle rafraîchie à grande dose d'air conditionné. Elle était accompagnée de la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte et de trois jeunes français en grève pour le climat. Dans l'assistance : une centaine de députés, des journalistes et des collectifs de jeunes mobilisés pour le climat.
« Bonjour, je m'appelle Greta Thunberg et merci pour l'invitation », a débuté la jeune suédoise dans la langue de Molière, et sous les applaudissements. « J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle, a-t-elle continué, sentencieuse, en anglais. Le monde ne va pas s'effondrer d'ici 11 ans. En revanche, la mauvaise nouvelle c'est que si nous ne faisons rien avant 2030, nous allons dépasser des points de basculement et nous ne pourrons plus revenir en arrière. »
Greta Thunberg a fustigé l'incapacité des politiques, des journalistes ou des chefs d'entreprise à s'emparer des données scientifiques compilées par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). « C'est comme si vous n'aviez même pas daigné lire le dernier rapport du GIEC, décisif pour envisager l'avenir de notre civilisation, a-t-elle tancé. Ou peut-être que vous n'êtes pas suffisamment matures pour accepter ces données ? En tout cas, vous nous laissez ce fardeau. »
Valérie Masson-Delmotte, l'une des vice-présidentes du GIEC, était venue éclairer les députés en leur transmettant l'état des connaissances scientifiques sur le changement climatique, s'appuyant notamment sur le rapport spécial sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C. « Mais qui, parmi vous, a lu le résumé aux décideurs ? » a-t-elle demandé. Des députés ont jeté des regards à gauche, à droite, et des mains plus ou moins timides se sont élevées des strapontins. A la fin de son discours, Valérie Masson-Delmotte s'est tournée vers Greta Thunberg. « Vos paroles m'évoquent le Discours de la servitude volontaire de La Boétie, qu'il avait écrit à votre âge et se termine par ces mots : « Apprenons, apprenons à bien faire ». »
Ces derniers jours, tout le monde n'a pas été si louangeur avec Greta Thunberg. La jeune suédoise a essuyé les railleries de certains élus de la droite française. Elle a été qualifiée de « prophétesse en culottes courtes » et de « Prix Nobel de la peur » par l'élu Les Républicains (LR) du Vaucluse Julien Aubert, de 𝕏 « gourou apocalyptique » par Guillaume Larrivé (LR) ou encore de « jeune activiste totalement sous emprise » par leur camarade Valérie Boyer (LR). « J'ai vu les polémiques que certains ont essayé de lancer, a répliqué le député Matthieu Orphelin, chef d'orchestre de cette rencontre. Ceux qui préfèrent se boucher les oreilles et rester sourd aux alertes des scientifiques se trompent. La bataille pour le climat se joue maintenant. »
Greta Thunberg a également tenu à répondre à ses détracteurs : « Nous devenons les affreux, les affreux qui avons à dire ces choses très désagréables aux gens, car personne d'autre ne veut le faire, ou n'ose le faire. » « Certaines personnes ont choisi de ne pas venir à cette rencontre. Ce n'est pas grave, après tout nous ne sommes jamais que des enfants, a-t-elle ironisé. Vous n'avez pas le devoir de nous écouter. Par contre, vous avez le devoir d'écouter les scientifiques. Et c'est tout ce que nous vous demandons : de vous unir derrière les scientifiques. »
Au cours de la petite heure réservée aux échanges avec les députés, Eric Diard (LR) a défendu la jeune suédoise face aux attaques de ses collègues : « Je tenais à vous dire que je n'ai pas assisté à une messe. Je n'ai pas vu le Prix Nobel de la peur. J'ai vu simplement une jeune plutôt réservée, qui est de son temps et qui dit sa crainte sur son avenir. Elle nous a simplement dit « Ne m'écoutez pas, écoutez les scientifiques ». » Delphine Batho, de Génération écologie, a tenu à « rassurer » : « De tout temps, quand la jeunesse s'est mobilisée, il y a toujours eu des gens pour dire qu'elle se faisait manipuler. Actuellement, c'est d'autant plus violent parce que ceux qui vous critiquent sont atteints du Syndrome de l'autruche : ils n'arrivent pas à regarder le changement climatique en face. »
La députée LREM Céline Calvez s'est préoccupée de l'absentéisme scolaire lié au mouvement de grèves lancé par Greta Thunberg. « L'école, c'est le lieu où l'on apprend, a-t-elle déclaré. Il faut encourager à aller à l'école, aussi. » « Ne vous inquiétez pas, les études montrent que les jeunes engagés sont ceux qui réussissent le mieux », a rétorqué François Ruffin (La France insoumise). « Le problème de l'école, aujourd'hui, c'est surtout que les connaissances produites par les scientifiques sur le changement climatique ou les enjeux liés à la biodiversité ne sont pas enseignées », a estimé Valérie Masson-Delmotte.
La Secrétaire d'État Brune Poirson, installée au premier rang, a tenu à remercier la jeunesse mobilisée pour le climat. « Ne lâchez rien ! Continuez à vous mobiliser, vous nous poussez au XXIe siècle alors que beaucoup de forces nous poussent à rester dans le XXe siècle. Vous nous donnez beaucoup de force et d'espoir pour notre action. » Greta Thunberg l'a reprise, aussi sec, de volée. « Vous n'avez pas bien compris ce que nous disons. Plutôt que de nous applaudir et nous remercier, agissez ! » Quant aux interrogations de Thierry Michels (LREM), personne n'y a répondu : « Après l'échec de la taxe carbone, comment on avance concrètement ? Qu'est-ce qu'on doit commencer à faire, nous, tout de suite ? »
Mardi 23 juillet, c'était aussi le jour de la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada (Ceta). « Greta ou Ceta, il faut choisir ! s'est écrié François Ruffin (LFI). L'écologie n'est pas compatible avec le consensus. On a des adversaires dont l'urgence n'est pas d'agir pour sauver la planète. Aujourd'hui la lutte des classes ne porte plus sur le niveau de vie mais sur la vie. » Sur ce traité de libre-échange, Greta Thunberg 𝕏 a préféré esquiver : « Je n'ai aucune opinion par rapport à ce vote. »
Quelques heures après leur rencontre avec l'adolescente suédoise, les députés ont adopté le Ceta. Ils ont été 266 à voter pour, et 213 à voter contre ce traité, considéré comme climaticide par ses opposants.