Source : Le Parisien, AFP, 21-02-2020
Il le dit publiquement pour la première fois. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a confirmé vendredi la présence en Libye de combattants syriens supplétifs d'Ankara pour soutenir le gouvernement de Tripoli face aux forces de l'homme fort de l'Est libyen, Khalifa Haftar. Depuis 2015, le maréchal Haftar et le chef du gouvernement d'union nationale (GNA) Fayez al-Sarraj s'affrontent dans un conflit armé pour contrôler le pays.
« Il y a des éléments de l'Armée nationale syrienne (ANS) sur place. Ils (Haftar et ses soutiens) veulent qu'ils partent. Or, la compagnie de sécurité russe Wagner dispose de 2 500 hommes (en Libye), pourquoi on n'en parle pas ? », a déclaré le président turc devant la presse à Istanbul. L'ANS est une coalition de groupes armés syriens entraînés et financés par Ankara.
C'est sous la bannière de l'ANS que des combattants syriens ont participé à la dernière offensive menée en octobre par la Turquie pour déloger les milices kurdes des YPG d'une vaste bande de territoire dans le nord-est de la Syrie. L'ANS est une structure qui a remplacé l'Armée syrienne libre et relève officiellement du « gouvernement » en exil de l'opposition syrienne basée en Turquie.
Haftar face aux «envahisseurs turcs»
Plusieurs responsables étrangers ont affirmé que la Turquie avait envoyé des combattants syriens auprès du gouvernement de Tripoli de Fayez al-Sarraj, reconnu par l'ONU, après avoir signé avec lui un accord de coopération militaire en novembre. Ankara ne l'avait à ce jour jamais confirmé.
Outre le soutien de la compagnie Wagner, considérée par des experts comme un outil aux mains du Kremlin, le maréchal Haftar bénéficie de celui des Emirats arabes unis, de l'Arabie saoudite et de l'Egypte, rivaux régionaux de la Turquie.
En visite à Moscou, Haftar a assuré vendredi qu'il s'opposerait militairement « aux envahisseurs turcs » si les pourparlers inter-libyens visant à établir un cessez-le-feu durable échouent.
« Si les négociations à Genève ne débouchent pas sur la paix et la sécurité dans notre pays, que les mercenaires ne repartent pas d'où ils viennent, alors les forces armées (de Khalifa Haftar) rempliront leur devoir constitutionnel... de défense face aux envahisseurs turco-ottomans », a-t-il assuré à l'agence de presse russe Ria Novosti.
« Notre patience atteint ses limites »
Le maréchal était en visite à Moscou, selon Ria Novosti, la Russie étant largement considérée, malgré ses dénégations, comme l'un de ses principaux soutiens dans son conflit armé avec les troupes du GNA de Fayez al-Sarraj.
Khalifa Haftar a accusé Recep Tayyip Erdogan et Fayez al-Sarraj, qui se sont rencontrés jeudi à Istanbul, de ne pas respecter les engagements issus d'une conférence internationale tenue en début d'année à Berlin. Lors de cette conférence, la communauté internationale s'est engagée à ne pas s'ingérer dans le conflit libyen. « Notre patience atteint ses limites », a averti le maréchal.
Pour lui, les pourparlers de Genève ne pourront aboutir que si sont effectifs le « retrait des mercenaires syriens et turcs, la fin des livraisons d'armes de la Turquie à Tripoli, et la liquidation des groupes terroristes ».
L'émissaire de l'ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, a jugé que la mise en place d'un cessez-le-feu durable était une mission « très difficile » mais « pas impossible ».
Libye. La Turquie envoie des miliciens syriens au secours de son protégé Sarraj
Source : Ouest France, Patrick Angevin, 15-01-2020
Plusieurs sources confirment désormais la présence d'un important contingent de miliciens syriens en Libye. Plutôt que d'envoyer des militaires turcs au secours du gouvernement d'accord national de Fayez al-Sarraj, le président Erdogan aurait fait le choix de déployer des combattants issus de la rébellion anti-Assad, formés et équipés par la Turquie. Dans le camp opposé, celui du maréchal Khalifa Haftar, on trouve des mercenaires soudanais et russes.
Voilà qui ne va pas mettre fin à la guerre civile qui déchire depuis 2014 ans la Libye, plongée dans le chaos par la chute du dictateur Kadhafi en 2011. Ni simplifier la conférence internationale sur le dossier libyen que l'Allemagne tente d'organiser pour ce dimanche 19 janvier à Berlin.
Plusieurs sources crédibles affirment désormais que la Turquie, alliée du Gouvernement d'accord national (GAN) du Premier ministre Fayez al-Sarraj, a déployé sur le front de Tripoli des miliciens syriens, face aux forces du maréchal Haftar. Formés et équipés par Ankara, ces derniers combattaient jusqu'ici dans le nord de la Syrie, à l'origine contre les forces du régime de Bachar al-Assad puis plus récemment contre les forces kurdes YPG, ennemies jurées de la Turquie.
Des photos et des vidéos de miliciens syriens affirmant combattre pour Sarraj en Libye ont émergé depuis un mois sur les réseaux sociaux sans qu'on puisse les authentifier, en particulier les lieux où elles ont été réalisées.
Selon le quotidien britannique The Guardian, il serait près de 650 miliciens à avoir été transportés par avion depuis la Turquie jusqu'à Tripoli. 1 350 autres miliciens seraient passés de Syrie en Turquie le 5 janvier et ils seraient en cours d'acheminement vers la Libye.
Payés vingt fois plus cher
Ces informations confirment celles de l'Organisation syrienne des droits de l'homme (OSDH), proche de l'opposition à Assad. Basée à Londres et dotée d'un réseau d'informateurs très fiables dans l'ensemble de la Syrie, l'OSDH précise que deux groupes syriens, Liwa Sultan Souleymane Chah et Faylaq al-Majed, qui ont participé aux offensives turques contre les Kurdes syriens en 2019, font partie du voyage. Notamment Yasser Abdel Rahim, commandant de Faylaq al-Majed, accusé de crimes de guerre contre des civils kurdes. L'ensemble de ces forces a été rassemblé sous la bannière de la brigade sultan Mourad, en référence à un héros de la guerre d'indépendance libyenne contre les Italiens.
Le Guardian confirme également les informations de la chercheuse arabophone, Elizabeth Tsurkov, affilié au Foreign Policy Research Institute de Philadelphie, selon lesquelles les miliciens toucheraient une solde de 2000 $, vingt fois plus qu'ils percevaient de la Turquie en Syrie. Les combattants ont signé un engagement de six mois directement avec le Gouvernement d'accord national (GNA). Mais la Turquie aurait promis à tous la nationalité turque et le rapatriement des corps sur leur terre natale en cas de décès.
Au moins six combattants syriens, et sans doute beaucoup plus, sont décédés, signale Elizabeth Tsurkov.
Le GNA et la Turquie, qui ont signé un accord de coopération militaire en novembre,démentent toute présence de miliciens syriens. Officiellement, seuls 35 conseillers militaires turcs sont présents à Tripoli pour former les combattants du GNA à l'utilisation de drones et d'armes antiaériennes.
Le président Erdogan, qui n'a de toute façon pas vraiment les moyens aériens et navals suffisants pour une opération de grande envergure en Libye, a sans doute choisi la solution des miliciens syriens. Elle présente aussi l'avantage d'éviter de payer le prix politique que constituerait le retour à Ankara de cercueils de soldats turcs.
Mercenaires russes et soudanais
La Turquie a décidé d'accroître son soutien à Sarraj, dont les forces menacent de s'effondrer à Tripoli face à l'offensive de son rival Khalifa Haftar.
Basée dans la capitale Tripoli (à l'ouest), le Gouvernement d'accord national (GNA) est présidé pa r le Premier ministre Fayez al-Sarraj, 59 ans. Reconnu par l'Onu, le GNA s'appuie sur des milices islamistes et les combattants de puissantes tribus de la cité marchande de Misrata. Outre le soutien symbolique de la communauté internationale, le GNA est aidé financièrement et militairement par le Qatar et la Turquie.
Basé à Benghazi en Cyrénaïque, (à l'est), le maréchal Khalifa Haftar, 76 ans, ancien général disgracié de Kadhafi, revenu d'exil en 2011, est soutenu par l'Égypte, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Il bénéficie aussi de l'aide depuis quelques mois de 1 000 à 4 000 mercenaires soudanais, recrutés auprès des nouveaux maîtres du Soudan, notamment Mohamed Dagalo, soupçonné de génocide au Darfour... Et aussi de plusieurs centaines de mercenaires russes, forcément acheminés avec le feu vert de Vladimir Poutine.
Aider Haftar à peu de frais, sans s'opposer frontalement à Sarraj et à l'Onu, bref être incontournable en Libye, correspond aussi à la stratégie de la Russie de Poutine : occuper tous les espaces laissés vacants par les démocraties occidentales qui, comme en Syrie, n'ont pas su gérer l'après révolution de 2011.
Source : Ouest France, Patrick Angevin, 15-01-2020
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