20/03/2020 les-crises.fr  12 min #170675

Aveux d'Agnès Buzyn : une défaillance criminelle de l'État Macron ?

[Scandale Sras-2] Buzyn avait prévenu Macron de l'ampleur de l'épidémie : « Je savais que le tsunami était devant nous. »

Julien Muguet pour Le Monde, Paris, France le 15 mars 2020 - Agnes Buzyn vote dans le bureau de vote du 5eme arrondissement.

OB : Voici les incroyables et salutaires aveux de Buzyn à propos du scandale du Coronavirus SRAS-2 (c'est le nom du virus, nous en reparlerons), que nous mettons à votre disposition en intégralité.

Mobilisons-nous ! Restez chez vous ! Mais : #Scandale SRAS2 #OnNOublieraPas

Source : Ariane Chemin, pour  Le Monde, le 17/03/2020.

Julien Muguet pour Le Monde, Paris, France le 15 mars 2020 - Agnes Buzyn vote dans le bureau de vote du 5eme arrondissement.

Catastrophée par la crise sanitaire, l'ex-ministre de la santé revient pour « Le Monde » sur sa campagne à Paris et son départ du gouvernement.

« Je me demande ce que je vais faire de ma vie. » Agnès Buzyn est enfin rentrée chez elle, lundi 16 mars, en milieu d'après-midi. Elle vient de « fermer la porte du QG » de sa campagne parisienne et a posé son sac, seule, « effondrée », dit-elle. Elle pleure, et ses larmes n'ont rien à voir avec celles « d'émotion » et de « déchirement » essuyées entre deux sourires lors de la passation de pouvoir au ministère de la santé, il y a un mois. Ce sont des larmes lourdes, de fatigue, d'épuisement, mais aussi de remords. Elle se livre sans fard et l'aveu est terrible. « Quand j'ai quitté le ministère, assure-t-elle, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n'auraient pas lieu. » A mots à peine cachés, l'ex-ministre de la santé reconnaît ce qui la déchire : fallait-il abandonner son poste en pleine tempête, alors qu'elle devinait le drame à venir ?

Agnès Buzyn n'est arrivée qu'en troisième position à Paris et sans attendre les directives de La République en marche (LRM) ou l'annonce du report du second tour, a annoncé ce lundi qu'« en raison de la situation sanitaire et dans les hôpitaux », elle se retirait du jeu. « C'est ma part de liberté, de citoyenne et de médecin. » L'avait-elle donc perdu, ce libre arbitre, durant son aventure électorale ? Ses propos le laissent deviner. « Depuis le début je ne pensais qu'à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c'était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J'avais peur à chaque meeting. J'ai vécu cette campagne de manière dissociée. » Le mot dit tout. A-t-on jamais gagné une élection en affichant pareille dualité ?

Tragédie intime

En politique aussi, l'inconscient parle. Dimanche 15 mars, Agnès Buzyn est allée voter dans le 5e arrondissement, près de chez elle. Essayer de voter, plutôt. La tête de liste de LRM avait d'abord oublié sa carte d'identité chez elle, dans un autre sac. Le temps que son équipe s'active, elle a fait le pied de grue devant le bureau de vote. Au moment de glisser son bulletin, impossible de débloquer la pompe du flacon de gel hydroalcoolique... Mauvais karma, mauvais signal.

Le soir, elle a été distancée par la maire socialiste sortante, Anne Hidalgo, et par Rachida Dati. Benjamin Griveaux aurait-il fait mieux ? « Sûrement pas, tranche-t-elle. Quand je suis arrivée, il était à 13 %. » Par tempérament, Agnès Buzyn n'est pas du genre à jouer les supplétifs. Si elle s'est présentée, c'est avec la conviction qu'elle pouvait bousculer le jeu. C'était son moment, pensait-elle. Ou son calvaire, vues les circonstances. Aujourd'hui, c'est toute cette séquence qui lui revient, jusqu'à faire de sa confession l'expression d'une tragédie intime.

Tout commence le 14 février. A l'époque, l'OMS ne parle pas encore de pandémie, les épidémiologistes comparent la mortalité du virus à celle de la grippe. Seule la province chinoise de Hubei est confinée. Invitée sur France Inter, ce matin-là, Agnès Buzyn fait le point sur ses dossiers et la situation sanitaire. Elle n'a pas encore vu la vidéo intime de Benjamin Griveaux, qui tourne depuis peu sur les réseaux sociaux. Toujours pas candidate dans un arrondissement de la capitale ?, lui demande-t-on à l'antenne. Ce même Griveaux ne lui avait proposé qu'« une troisième position, dans le 15e », précise-t-elle aujourd'hui. Pas forcément de son niveau. Elle n'entre pas dans ces détails et répète : « Je ne pourrai pas être candidate. J'avais déjà un agenda très chargé, j'ai beaucoup de réformes dans le ministère et s'est rajouté un surcroît de travail inattendu malheureusement, qui est cette crise du coronavirus. » L'affaire semble tranchée.

Que se passe-t-il entre ce vendredi matin et le samedi soir suivant, qui la voit s'avancer sur le devant de la scène parisienne, alors que  Griveaux jette l'éponge ? A l'entendre, elle devine déjà ce qui se profile. « Je pense que j'ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J'ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j'ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j'ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. » Dès lors, pourquoi tout lâcher pour remplacer Griveaux ? « Ni Emmanuel Macron ni Edouard Philippe ne m'ont mis la pression. Mais je recevais des milliers de textos me disant : "Il n'y a que toi..." Je me suis dit que je n'allais pas laisser La République en marche dans la difficulté... Paris est un beau mandat. J'ai appelé moi-même le président pour lui dire que j'y allais. »

Un bref moment de bonheur

Lucide sur la crise sanitaire et pourtant décidée à s'engager : nous sommes là au cœur du mystère Buzyn. La politique, cette hématologue réputée, entrée au gouvernement en 2017, en rêvait. « Depuis toujours, dit-elle. C'était aussi l'ADN de la famille Veil », celui de Simone, son ex-belle-mère, qu'elle admire. Elle avait déjà manqué de sauter le pas lors du précédent quinquennat, quand François Hollande avait songé à la nommer ministre, sans finalement donner suite. Auparavant, François Fillon l'avait, lui aussi, remarquée, alors qu'elle présidait l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, et lui avait proposé de devenir sa suppléante à Paris, aux législatives de 2012. Par conviction de gauche - peut-être aussi parce que c'était un début trop modeste -, elle avait refusé.

Agnès Buzyn se dit que ce défi parisien est une aubaine. La capitale, sa ville natale, semble lui tendre les bras. Elle le croit d'autant plus volontiers qu'au gouvernement, ses marges se sont rétrécies. Le corps hospitalier la voue aux gémonies, la réforme des retraites est un loupé, la future loi sur la dépendance n'aura pas les crédits exigés... Si elle est encore à ce poste en 2022 et que Macron échoue, confie-t-elle à des proches, que restera-t-il de sa réputation ? Agnès Buzyn n'aime pas perdre et une nouvelle carrière, politique celle-là, s'ouvre à elle. Olivier Véran, un ex-socialiste de 39 ans, neurologue et député, paraît taillé pour lui succéder.

L'entrée en campagne est un bref moment de bonheur. La Macronie parisienne,  sonnée par l'affaire Griveaux, se reprend à rêver. La candidate a les coudées franches. Elle enterre les projets-phares de son prédécesseur et pousse la promesse qui fait sa marque : l'aide aux personnes âgées à domicile. Bienveillance, proximité, mais aussi sécurité et propreté. Qu'apporte-t-elle de plus ? Son passé précisément, soit un sérieux, une compétence, une légitimité.

Pendant quelques jours, elle croit à sa bonne étoile. Les sondages frémissent. On l'engueulait toujours, et désormais on l'aborde gentiment. « J'aime les gens, dit-elle, et quoi qu'on en dise, dans un ministère, il y a une distance qui se crée. » La candidate s'enhardit et commet la faute de critiquer le manque de préparation de la Mairie de Paris face à l'épidémie, alors qu'elle l'a félicitée un peu plus tôt - et par écrit - de sa mobilisation. A moins que ces critiques ne trahissent un sentiment de culpabilité personnel ? Le satané virus envahit tout et, à la télévision, c'est Olivier Véran qui prend la lumière. Précis, rassurant, il est jugé excellent. La révélation n'est plus là où on l'imaginait...

Commence alors le chemin de croix. Sur le terrain, dans les débats, Agnès Buzyn montre un vrai savoir-faire mais elle stagne dans les sondages. Comment rassembler largement au second tour, comme promis, si elle arrive derrière Hidalgo et Dati ? « Je ne suis pas une politicienne mais une professionnelle de l'intérêt général », affirme le  message audio qu'elle laisse sur 500 000 téléphones. La crise sanitaire la ramène sans cesse à son passé de ministre. Les réseaux sociaux reprennent ainsi cette petite phrase, lâchée le 24 janvier : « Le risque de propagation du coronavirus dans la population est très faible. »

« Bien sûr, je n'aurais pas dû prononcer ces mots. Mais avant de partir du ministère, j'avais tout préparé, malgré une inertie... » Les quelques reproches qu'elle s'adresse se mêlent au désir de convaincre qu'elle n'a pas failli. « Je n'ai plus de boulot », glisse-t-elle, avant de se reprendre : « Je dis toujours : "Ministre un jour, médecin toujours". L'hôpital va avoir besoin de moi. Il va y avoir des milliers de morts. »


Source :  Le Figaro, Mathilde Siraud 17-03-2020

L'ancienne ministre de la Santé, qui a quitté son poste pour candidater aux municipales à Paris, assure que les municipales étaient une «mascarade».

Une ancienne ministre de la Santé ne devrait pas dire ça. Encore moins quand elle est médecin et qu'elle a quitté son poste en pleine crise sanitaire pour être candidate à la mairie de Paris. Mardi matin, quelques minutes avant que les mesures de confinement obligatoires pour lutter contre la propagation du coronavirus n'entrent en vigueur dans le pays, des déclarations d'Agnès Buzyn sur sa campagne municipale ont eu l'effet d'un coup de tonnerre.

« Depuis le début je ne pensais qu'à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c'était une mascarade », confie-t-elle au Monde. La candidate, arrivée troisième derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati, va même plus loin, révélant des avertissements qu'elle aurait exprimés très tôt au chef de l'État ainsi qu'au premier ministre, sur la tenue du scrutin. « Le 11 janvier, j'ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j'ai averti Édouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. »

Avant ces révélations dans la presse, elle se serait déjà épanchée auprès de plusieurs personnalités politiques parisiennes, n'ayant pas de mots assez durs contre le premier ministre, son directeur de cabinet Benoît Ribadeau-Dumas, ou encore Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée. Simple règlement de comptes ou réelles accusations ? Édouard Philippe lui a sèchement répondu, mardi soir, sur France 2, assumant le maintien du premier tour « sur des motifs scientifiques ». « Agnès Buzyn m'a dit fin janvier que si nous étions au pic de l'épidémie au moment des élections, alors il serait difficile de les organiser, a reconnu le chef du gouvernement. Mais à l'époque, beaucoup de médecins n'étaient pas d'accord. » Visiblement agacé, Philippe a cherché à évacuer toute controverse. « Je n'ai aucun doute que dans quelques mois, certains diront : "Il aurait fallu faire plus", ou "autrement". Toutes ces polémiques, je les accepte, je suis chef du gouvernement, mais ce qui m'intéresse, c'est de faire en sorte que ce combat que nous menons soit gagné. »

L'opposition n'avait pas manqué, plus tôt de relayer les propos de l'ex-ministre.  Jean-Luc Mélenchon souhaite que la mission d'information parlementaire consacrée à l'épi­démie se saisisse de ces « aveux ». « A-t-elle su et prévenu trois mois avant ? Et dans ce cas pourquoi rien n'a-t-il été fait ? Pourquoi raconte-t-elle cette histoire maintenant, quand il est trop tard ? Se rend-elle compte qu'elle engage sa responsabilité pénale et celle des autres personnes qu'elle dit avoir prévenues ? », a interrogé le chef de file de La France Insoumise. « Si ces affirmations sont exactes, la crise sanitaire peut désormais se doubler d'un véritable scandale sanitaire majeur », s'est quant à lui inquiété Jordan Bardella, vice-président du Rassemblement national, exigeant des explications de la part de l'exécutif.

« Elle nous fait une Loiseau ! »

Une source au sein de l'exécutif affirme avoir été témoin de la discussion entre le premier ministre et son ex-ministre de la Santé, le 30 janvier, lors de l'installation de la conférence de financement sur les retraites. « Elle disait que le phénomène était grave, qu'il pouvait être massif. Elle était inquiète de la vitesse de propagation du virus, et de sa mortalité. Elle lui a montré la courbe de l'OMS en disant : "Vous imaginez, ce que ça donnerait en France" ?,raconte ce responsable au Figaro. Cette sortie a jeté le trouble au sein de l'exécutif et dans l'équipe de campagne LREM, où l'on invoque une réaction purement émotionnelle.

« Elle craque complètement, il ne faut pas prendre tout ce qu'elle dit pour argent comptant, elle est paumée », relativise une élue parisienne de la majorité. « Faire de la politique, c'est violent, et débuter à 58 ans, c'est dur », minimise un conseiller de l'exécutif. « L'heure est à l'état d'urgence, pas aux états d'âme, dézingue un proche du chef de l'État. L'actualité appelle de la responsabilité et de l'unité nationale plutôt que quelques égarements personnels. Agnès Buzyn revisite aujourd'hui sa sortie du gouvernement après son mauvais score aux municipales. » « Elle nous fait une Loiseau !, compare un membre du gouvernement, en référence aux déclarations polémique de l'ancienne tête de liste aux élections européennes, à son arrivée au Parlement européen. Je pensais pourtant qu'Agnès Buzyn était une personne responsable. »

N.B. Commentaire Olivier Berruyer : Dire la Vérité pour mobiliser les Français, c'est tellement « irresponsable » pour les LREM...

Plusieurs cadres parisiens étaient persuadés qu'elle retirerait sa candidature en vue d'un second tour. « Elle souhaite arrêter la politique », indique un responsable. « Là n'est pas l'urgence, corrige une autre. Si ça se trouve, on ne revotera pas avant l'année prochaine. »

Source :  Le Figaro, Mathilde Siraud 17-03-2020

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