Valentine DELBOS
Approuver ou bien critiquer nos concitoyens qui sortent applaudir sur leurs balcons tous les soirs à 20h en signe de soutien aux personnels hospitaliers ? Choisis ton camp camarade.
Voilà, comme très souvent face à un phénomène de société de ce genre, on voit très rapidement deux catégories qui se définissent au sein de la gauche militante : approuver ou bien critiquer nos concitoyens qui sortent applaudir sur leurs balcons tous les soirs à 20h en signe de soutien aux personnels hospitaliers ?
Le pessimisme de la raison
Tout d'abord les éternels aigris, celles et ceux qui ne sont jamais contents car ce n'est jamais assez bien pour eux. Applaudir sur les balcons ? Trop facile, trop hypocrite, trop ceci et évidemment pas assez cela. Comme les gilets jaunes : trop beaufs, pas assez politisés, populos mais pas assez rouges, qui ont le malheur de reprendre des chants empruntés aux stades de foot au lieu d'entonner l'Internationale. Ainsi, tous ces « cons » qui applaudissent alors qu'ils ont sûrement provoqué la situation que nous traversons en votant pour Macron, ou pour toute autre option qui n'était pas la bonne, c'est-à-dire la nôtre. Toujours cette même hostilité de celles et ceux qui ont tout compris et s'exaspèrent de voir leurs concitoyens à des années lumières de leur niveau de compréhension du contexte politique et tellement éloignés de ce qu'il conviendrait « vraiment » de faire.
Notez que le clan des aigris ne fait généralement pas grand-chose pour faire bouger les lignes en dehors des sempiternelles recettes qui se sont pourtant montrées totalement infructueuses (voire contreproductives) jusqu'à présent.
L'optimisme de la volonté
En face se trouvent celles et ceux qui ne veulent pas perdre l'espoir que « c'est possible », qui essayent toujours de trouver dans l'adversité une fenêtre pour ouvrir les yeux des gens qui les entourent et faire avancer le schmilblick. Forts d'une détermination à toute épreuve, ils/elles cherchent plutôt à motiver qu'à bougonner. Mais commençons par nous rappeler que cette mobilisation aux balcons n'a pas été lancé par une figure du système dominant ayant cherché à se donner une bonne conscience ou à surfer sur la vague d'empathie provoquée par le dévouement des personnels hospitaliers en ces temps de pandémie... mais par l'organisation Attac. Celle-là même qui s'est illustrée durant les derniers mois contre la réforme des retraites avec un flash-mob génial - la danse « A cause de Macron » - et a su créer un engouement obligeant les médias à répercuter l'information, à l'heure ou une manifestation sans casse devient une non-information sans intérêt pour nombre d'éditocrates. Contrairement à beaucoup qui en restent au niveau du « je-critique-mais-je-ne-fais-pas-grand-chose-qui-puisse-fonctionner », Attac cherche à innover, à s'adapter aux nouvelles réalités et n'hésite pas à « utiliser les armes de l'ennemi » (combien n'osent pas encore franchir le pas des réseaux sociaux ?) pour atteindre un maximum de personnes. Communiquer, influencer, agir sur le réel pour le transformer. Et gagner des points dans la bataille des esprits et des cœurs.
Alors on peut penser ce qu'on veut des applaudissements de 20h, mais depuis mon balcon de tour HLM de cité de proche banlieue parisienne, je préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Je vois des gens qui se sont rendus compte du rôle primordial que jouent les aides-soignants, les infirmiers, les médecins et tous les autres dans les hôpitaux, ce qui ne peut qu'emmener à porter un regard critique sur les politiques mises en places par nos élites. Je vois des personnes qui expriment de la solidarité dans une société qui prône pourtant l'individualisme. Des gens de tout âge qui sourient, rigolent et échanges quelques mots avec des voisins dont ils ne connaissent très souvent même pas les noms ; des enfants et des jeunes qui voient les adultes unis dans un mouvement collectif et dans la bonne humeur, une énergie positive qui fait vraiment du bien alors qu'on voudrait nous apeurer en parlant de « guerre ». Et nombreux.ses sont celles et ceux qui commencent à accompagner leurs applaudissements de banderoles ou d'appels aux messages déjà plus politiques (« Du fric, du fric, pour l'hôpital public ! »).
Ainsi, ces applaudissements sont très certainement un vecteur de lien social, une petite graine qui germera et favorisera la prise de conscience de l'intérêt que revêt la défense de notre système de santé et aussi un rappel simple : nous faisons partie d'une société, nous sommes tous ensembles dans cette galère, mais tous ensemble nous sommes aussi plus forts et notre voix - le bruit de notre soutien aujourd'hui mais pourquoi pas celui de notre mécontentement demain - peut porter plus loin. Repris en introduction au journal télévisé de 20h, gageons que c'est aussi une forme de pression sur le gouvernement. Une pression qui aura la force que nous lui donnerons. Tous ensemble.
N'oublions pas que si la révolution doit avoir lieu, ce sera avec nos voisins. Oui, tous ces « cons » qui ne comprennent jamais rien. Alors oui, sortons aux balcons aujourd'hui pour mieux sortir, avec elles-eux, dans les rues demain.