Par Keith Jones
11 avril 2020
Le gouvernement de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ), avec l'appui inconditionnel de la principale fédération patronale de la province, réclame la fin précipitée et prématurée de la fermeture des services essentiels et des entreprises, qui dure maintenant depuis deux semaines et demie.
Dans des conditions où le nombre de cas et de décès liés à la COVID-19 continue d'augmenter au Québec, comme dans tout le Canada, la levée de la fermeture ordonnée par le gouvernement provincial serait tout simplement criminelle. Elle mettrait la vie des travailleurs et de leurs familles en grave danger, et risquerait de déclencher une «deuxième vague» d'infections au coronavirus beaucoup plus importante et dévastatrice que la première.
Et pour quelle raison? Pour que les grandes entreprises puissent recommencer à générer des profits grâce au travail des travailleurs et à verser des dividendes aux riches et aux super-riches.
Jeudi, le premier ministre du Québec et chef de la CAQ, François Legault, a affirmé que la pandémie de COVID-19 au Québec est sur le point d'atteindre un «pic» et qu'il est maintenant nécessaire de commencer à préparer la relance des entreprises et des industries non essentielles. Le premier ministre a spécifiquement mentionné l'industrie de la construction - dont il a dû fermer la majeure partie à contrecœur, à la suite de nombreux débrayages massifs et d'expression d'opposition des travailleurs - comme un secteur dans lequel il serait possible de pratiquer la «distanciation sociale» tout en travaillant.
Legault a cyniquement souligné le lourd bilan de décès liés au COVID-19 parmi les personnes âgées de 60 ans et plus pour faire valoir que les jeunes travailleurs ne courent pas de risques sérieux, et que le public ne le sera pas non plus si les jeunes travailleurs gardent leurs distances avec leurs parents et leurs grands-parents. «Que des gens plus jeunes aillent travailler dans le secteur de la construction, s'ils ne vont pas proche des personnes de 60 ans et plus, les risques sont limités», a affirmé Legault.
Les commentaires de Legault ont été appuyés par le directeur général de la santé publique du Québec, Horacio Aruda. Soulignant que dans l'intérêt de la «réouverture de l'économie», le gouvernement veut que les travailleurs acceptent l'inévitabilité des infections et des décès, Aruda a déclaré: «Nous allons finir par accepter un certain niveau de transmission dans la société afin que (le virus) finisse par s'estomper.»
Les affirmations de Legault selon lesquelles la pandémie atteint son point culminant au Québec sont basées sur une déformation délibérée des faits afin de soutenir une conclusion prédéterminée dictée par les intérêts de classe égoïstes de l'élite dirigeante. De plus, son affirmation d'une baisse du pourcentage d'augmentation des infections et des hospitalisations va à l'encontre des avertissements répétés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) selon lesquels une reprise rapide de l'activité économique sabotera rapidement tout gain dans le ralentissement de la pandémie attribuable à la distanciation sociale. D'autant plus qu'au Québec, il n'y a pas de tests de dépistage systématiques en place et un suivi des contacts, et que le système de santé publique est en lambeau en raison de décennies d'austérité.
Selon le décompte officiel rendu public hier à 13 h, le Québec compte 11.677 cas de COVID-19, soit plus de deux fois et demie le total du 1er avril. Au cours de la même période de 10 jours, le nombre de décès est passé de 33 à 241.
Le Québec représente actuellement plus de la moitié des 22.052 cas confirmés de COVID-19 au Canada, et plus de 40 % des 557 décès. En raison du rationnement strict des tests de dépistage des coronavirus en Ontario, il est pratiquement certain que le nombre d'Ontariens infectés par la COVID-19 est largement sous-estimé dans les chiffres officiels.
Quoi qu'il en soit, l'affirmation de Legault, vendredi, selon laquelle «les beaux jours s'en viennent», 72 heures seulement après avoir publié des projections qui montrent que d'ici la fin du mois, COVID-19 aura probablement tué entre 1200 et 8960 Québécois, n'est pas seulement irresponsable: elle est mercenaire.
Il semblerait même que le gouvernement du Québec songe à sous-estimer le nombre de décès dus à la COVID-19 afin de renforcer son message de «bien-être». Hier, le responsable du comité des résidents de l'un des six établissements de soins de longue durée du gouvernement du Québec les plus touchés par la pandémie a révélé que le coronavirus avait tué 17 personnes au Pavillon Alfred-Desrochers de Montréal, et non les quatre personnes revendiquées par le gouvernement.
Anne Kettenbeil, dont le mari est mort de la COVID-19 il y a deux semaines, a déclaré au quotidien Montreal Gazette: «Je sais que les chiffres du gouvernement ne sont pas exacts et tout le monde sait qu'ils ne sont pas exacts.... Il n'était pas nécessaire que ce soit ainsi. Cela se produit parce que les centres manquent de personnel et sont sous-financés».
Legault affirme maintenant que les mesures de sécurité, la distanciation sociale et les équipes décalées permettront bientôt aux entreprises de reprendre la plupart ou la totalité de leurs activités avec un minimum de risques pour leurs travailleurs et le public.
Le premier ministre du Québec ment et il le sait. À l'heure actuelle, le gouvernement ne peut même pas fournir aux travailleurs de la santé de première ligne les masques N95 et autres équipements de protection individuelle (EPI) dont ils ont besoin pour se protéger et protéger leurs patients de la contagion.
Hier, le principal syndicat qui représente les aides-soignants des établissements de soins de longue durée et des résidences pour personnes âgées appartenant au gouvernement (FAS-CSN), a publié une déclaration condamnant le «manque d'équipements de protection individuelle» et la mauvaise qualité des équipements disponibles.
Le porte-parole du FAS, Hubert Forcier, a déclaré que même dans les deux CHSLD les plus touchés, il n'y a pas de masques N95. «À Ste-Dorothée, nous parlons d'un établissement qui compte 150 résidents et pourtant 50 travailleurs ont été infectés? C'est inacceptable. Deux de nos travailleurs, a ajouté Forcier, présentaient des symptômes de COVID-19 mais on leur a dit de venir travailler quand même parce que le personnel est surchargé».
Lors de sa conférence de presse quotidienne COVID-19 vendredi, Legault a encore minimisé la menace de COVID-19 en déclarant que les écoles et les garderies pourraient être rouvertes encore plus tôt que la date prévue actuellement, le 4 mai.
En promouvant un retour rapide au travail, Legault, lui-même ancien PDG d'Air Transat, agit à la demande des grandes entreprises et des banques. Le Conseil du patronat (Fédération des employeurs du Québec) a salué la position du gouvernement de la CAQ, mais il exhorte Legault à «rouvrir l'économie» encore plus rapidement.
«Si on envisage une reprise pour le 4 mai», a déclaré le président du Conseil du Patronat, Yves-Thomas Dorval, à Radio-Canada, «il faut entrevoir la possibilité de laisser travailler, avant, ceux qui sont dans les chaînes de fabrication». Dorval a également fait valoir que la «réouverture» ne devrait pas se limiter aux entreprises et aux industries où il est possible de pratiquer la distanciation sociale. Même si les employeurs enfreignent régulièrement les règles de santé et de sécurité, il a insisté sur le fait qu'on peut leur faire confiance pour fournir aux travailleurs des EPI, qui ne sont même pas disponibles.
Selon Radio-Canada, le gouvernement de la CAQ étudie de près l'évolution de la situation en Europe, où même si la pandémie continue de déferler, tuant des milliers de personnes chaque jour, les gouvernements, de l'Allemagne à l'Italie et à l'Espagne, se concentrent maintenant à faire pression en faveur du retour au travail des travailleurs, privilégiant le profit à la santé et à la vie des travailleurs.
Dans ses déclarations publiques sur le pic de la pandémie et la nécessité de rouvrir l'économie, le gouvernement du Québec est, parmi tous les gouvernements du Canada, celui qui se fait le plus explicitement l'écho des déclarations fascistes de Donald Trump selon lesquelles l'effort pour arrêter la pandémie, c'est-à-dire pour sauver des vies, ne doit pas être autorisé à «tuer» l'économie. Mais c'est uniquement parce que les fermetures imposées par l'Ontario et d'autres provinces étaient beaucoup moins étendues. Dans le cas de l'Ontario, la quasi-totalité de l'industrie manufacturière a été jugée «essentielle» et il y a quelques jours seulement, en raison de protestations généralisées, le gouvernement conservateur a ordonné l'arrêt de la plupart des constructions industrielles.
Il ne fait aucun doute que d'autres provinces considèrent maintenant le Québec comme un exemple de la manière dont elles peuvent rapidement mettre fin à leurs propres fermetures. Jeudi, le gouvernement de l'Ontario a annoncé la création d'un comité ontarien pour l'emploi et la relance.
Quant au gouvernement Trudeau, soutenu par les syndicats et le NPD, il n'a rien fait pour contrer la pandémie, jusqu'à ce qu'elle se propage comme un feu de forêt à travers l'Amérique du Nord, afin de ne pas empiéter sur les intérêts des grandes entreprises. Et sa principale préoccupation reste de garantir la richesse et les investissements des riches et des super-riches. Alors que les cinq millions de travailleurs qui ont perdu leur emploi à cause de la pandémie se voient offrir une ration de 2000 dollars par mois pendant quatre mois au maximum, le gouvernement a remis plus de 600 milliards de dollars aux banques et aux grandes entreprises.
Comme ce fut le cas après l'effondrement financier mondial de 2008-2009, l'élite dirigeante pille l'État et exigera des travailleurs qu'ils paient pour la crise par le biais d'une austérité massive et de la destruction des droits sociaux des travailleurs.
Il y a une marée montante d'opposition sociale au Canada et dans le monde entier pour exiger une protection adéquate contre la pandémie et ses conséquences économiques et sociales dévastatrices. Le principe essentiel qui doit guider la réponse à la fois à l'urgence sanitaire et à la crise économique est que les besoins de la classe ouvrière doivent avoir la priorité absolue sur la richesse et les profits des riches.
Pour lutter contre la pandémie et ses conséquences économiques dévastatrices, les travailleurs doivent insister sur la fermeture de tous les lieux de travail non essentiels, sur le dépistage universel systématique et sur le versement de dizaines de milliards de dollars dans un système de soins de santé surchargé. Ils doivent également veiller à ce que le personnel médical et les autres travailleurs essentiels reçoivent l'équipement de protection nécessaire pour effectuer leur travail en toute sécurité. Tout travailleur qui a été mis au chômage doit recevoir une indemnisation complète de l'État et des grandes entreprises pour son salaire jusqu'à ce que la pandémie soit contenue et maîtrisée.
Ces exigences nécessaires démontrent le conflit d'intérêts irréconciliable entre la classe ouvrière, la grande majorité de la population, et les capitalistes. La lutte pour les travailleurs doit donc être liée à la lutte pour le pouvoir politique des travailleurs et la réorganisation socialiste de la société.