Depuis des semaines et des semaines que dure le procès de Julian Assanage à Londres (en février, puis depuis le 7 septembre dernier), on n'a guère vu de mobilisation de la part de ceux qui ont le plus profité des documents qu'il a mis à leur disposition. Et c'est vraiment honteux !
Voilà un lanceur d'alertes qui a fait, au risque de sa vie, un travail monumental en rendant publics des dizaines de milliers de preuves, tenues secrètes, des crimes commis par les USA notamment en Irak, en Afghanistan, et contre notre sécurité à tous.
Un homme qui vient de passer 8 ans enfermé dans 25 m2 de l'ambassade d'Equateur, qui se trouve à l'isolement depuis plus de 6 mois dans la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres, et dont les USA, où il risque 175 ans de prison et la torture, réclament l'extradition.
« On dit que tout ce qui arrivera à Julian Assange dans les trois prochaines semaines diminuera sinon détruira la liberté de la presse en Occident. Mais quelle presse? Le Guardian ? La BBC, le New York Times, le Washington Post ? Non, ces journalistes qui ont flirté avec Julian, exploité son œuvre phare, fait leur « une » avec, et l'ont trahi n'ont rien à craindre. Ils sont sûrs parce qu'ils sont nécessaires. », écrit John Pilger, John Pilger, journaliste et cinéaste australo-britannique basé à Londres.
« La suppression progressive de la liberté de la presse en Hongrie et en Inde est fréquemment critiquée par les commentateurs occidentaux. Mais ces derniers ont largement ignoré ce qui est, de loin, la plus grande attaque du gouvernement américain contre la liberté de la presse depuis au moins dix ans : la poursuite et la tentative d'extradition de Julian Assange », souligne pour sa part Patrick Cockburn, journaliste de The Independent, spécialisé dans l'analyse de l'Irak, la Syrie et les guerres au Moyen-Orient.
« Les extraits publiés par le New York Times, le Guardian, Der Spiegel, Le Monde et El País, ont fourni un aperçu plus approfondi du fonctionnement international de l'État américain que tout ce qui a été vu depuis que Daniel Ellsberg a remis les Pentagon Papers aux médias en 1971. Mais aujourd'hui, Ellsberg est célébré comme le saint patron des lanceurs d'alerte, tandis qu'Assange est enfermé dans une cellule de la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres pendant 23 heures et demie par jour ».
« Compte tenu de la gravité des enjeux, ajoute-t-il, le silence des journalistes sur la détention d'Assange à Belmarsh suite à la révocation de son statut de réfugié par l'Equateur est frappant. C'est la preuve d'un changement radical dans la politique de sécurité des Etats-Unis, vers la position adoptée par des pays comme la Turquie et l'Egypte, qui ont cherché à criminaliser la critique de l'Etat et à confondre la publication de nouvelles qu'ils ne veulent pas que le public entende, avec le terrorisme ou l'espionnage. »
« Et comme tous ces médias ne rendent même pas compte du procès, il nous reste à essayer de briser le silence grâce aux médias alternatifs, en inventant des actions, en créant des publications sur les réseaux sociaux et en allant au-devant des passants pour informer au maximum », conclut pour sa part Marie-France Deprez du Comité Julian Assange.
UN PROCÈS STALINIEN DE LA PIRE ESPÈCE
Le procès de Julian Assamge, qui doit décider s'il doit être extradé ou pas vers le sol américain, où il serait alors jugé pour intrusion dans le système informatique des États-Unis, conspiration et espionnage, a repris le 7 septembre dernier dans des conditions scandaleuses.
De nombreux témoins de la défense ont été récusés. Les autres sont en permanence dénigrés et humiliés. On les oblige par exemple à réciter par coeur des réglements propres à la cour criminelle. Des témoins américains viennent les contredire et affirmer, contre toute évidence, que la prison de haute sécurité dans laquelle se retouverait Assange s'il était extradé aux USA, n'est pas un enfer, mais quasiment un « Club Med ».
Seules 15 personnes dont les parents d'Assange sont autorisés à assister au procès. Et lui même se trouve diminué, sans voix audible et très amaigri.
« Belmarsh est relié au tribunal par un tunnel. C'est une prison de haute sécurité construite pour le procès de 16 terroristes, il n'y a aucune raison pour que Julian s'y trouve. Passer vingt-trois heures par jour en cellule est considéré comme de la torture. Mais la juge a dit donner peu de crédit aux préoccupations exprimées par le groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires. C'est scandaleux », a témoigné son père John Assange.
En mai 2019, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer et son équipe médicale lui ont rendu visite en cellule. Le fondateur de WikiLeaks présente « tous les symptômes typiques d'une exposition prolongée à la torture psychologique ». En novembre 2019, son état s'est aggravé, l'expert estime alors que « sa vie est en danger ». Il en tient l'Angleterre responsable : « Julian Assange continue d'être détenu dans des conditions d'oppression, d'isolement et de surveillance, non justifiées par son statut de détenu. L'arbitraire flagrant et soutenu dont ont fait preuve tant le pouvoir judiciaire que le gouvernement dans cette affaire laisse présager un écart alarmant par rapport à l'engagement du Royaume-Uni en faveur des droits de l'homme et de l'État de droit ». Mais rien n'y fait. Les conditions de détention ne vont pas s'améliorer, elles vont même, les mois suivants, empirer.
« Lors d'un procès d'une telle importance, comment un homme peut-il être en état de se défendre lorsqu'il est traité de manière aussi dégradante ?, s'indigne le rédacteur en chef de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson. « Julian a été menotté 11 fois dans la journée, il a fait l'objet d'une fouille à deux reprises. Le matériel que ses avocats lui avaient laissé lui a été repris à la fin de l'audience. Mais que se passe-t-il ? À quel type de procès sommes-nous en train d'assister ? ». Le lendemain, le rédacteur en chef ne pourra pas accéder à la loge du public ; le garde à l'entrée nous dira avoir « reçu des ordres » pour l'en empêcher.
« Il est à l'isolement et depuis mars, aucun avocat n'a eu le droit de le voir » s'étonne Antoine Ney, son avocat en France.
« Je ne l'ai pas revu pendant le confinement, et les visites sont désormais de 45 minutes une fois par mois, dit son père. Il est interdit aux visiteurs ou à ses enfants de le toucher. Sa santé est désastreuse, il devrait être hospitalisé après des années de torture psychologique et du handicap physique qui en résulte ».
« Chaque fois que j'ai visité Assange dans la prison de Belmarsh, j'ai vu les effets de cette torture. La dernière fois que je l'ai vu, il avait perdu plus de 10 kilos; ses bras n'avaient pas de muscle », rapporte John Pilger.
Les juristes américains venus en nombre accusent Assange, de nationalité australienne, d'avoir conspiré contre les États-Unis et d'avoir mis en danger des sources en Afghanistan. Cependant, à aucun moment ils ne citeront de nom, ou ne donneront d'éléments circonstanciés sur ces dernières accusations. De leur côté, les avocats de Julian Assange, et en premier lieu le célèbre ancien juge espagnol Baltasar Garzón, qui avait fait arrêter Pinochet, prouvent que ce procès est politique. D'ailleurs, lui tout comme son client n'ont-ils pas été espionnés pour les autorités américaines ? Lors de l'élection présidentielle américaine de 2016, Donald Trump ne lui a-t-il pas proposé de le gracier s'il affirmait que la Russie n'était pas impliquée dans la fuite de milliers d'-mails piratés du parti démocrate. Preuve que ce procès est politique ?
L'ancien juge Baltasar Garzón avait déclaré : « Ceux qui poursuivent Julian Assange comme criminel sont ceux qui ont commis des crimes ». Il faut croire que l'Histoire lui donne raison. En mars dernier, la chambre d'appel de la Cour pénale internationale ouvrait une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité en Afghanistan. L'enquête vise l'ensemble des forces en présence, dont l'armée américaine et ses services de renseignement.
« Je suis journaliste depuis plus de 50 ans, témoigne John Pilger, et je n'ai jamais connu une campagne de diffamation comme celle-ci (à propos des accusations de viol contre Assange) : l'assassinat et la fabrication par la calomnie d'un homme qui refusait de rejoindre le club: qui croyait que le journalisme était un service rendu au public ».
« Assange a fait honte à ses persécuteurs. Il a produit scoop après scoop. Il a dénoncé la fraude des guerres promues par les médias et la nature homicide des guerres américaines, la corruption des dictateurs, les maux de Guantanamo. Il nous a forcés en Occident à nous regarder dans le miroir. Il a dénoncé les diseurs de vérité officiels dans les médias comme des collaborateurs: ceux que j'appellerais journalistes de Vichy. Aucun de ces imposteurs n'a cru Assange lorsqu'il a averti que sa vie était en danger: que le «scandale sexuel» en Suède était une mise en place et qu'un enfer américain était la destination ultime. Et il avait raison, et à plusieurs reprises.
Aujourd'hui, la terre qui nous a donné la Magna Carta, en Grande-Bretagne, se distingue par l'abandon de sa propre souveraineté en permettant à une puissance étrangère maligne de manipuler la justice et par la torture psychologique vicieuse de Julian - comme celle affinée par les nazis parce qu'elle était le plus efficace pour briser ses victimes. John Pilger est un journaliste et cinéaste australo-britannique basé à Londres.
Le site Web de Pilger est: www.johnpilger.com.
Source : consortiumnews.com
Dates clés : Julian Assange, cloîtré depuis 8 ans : un rappel d'Amnesty International
- Juillet 2010 : WikiLeaks diffuse 250 000 télégrammes diplomatiques et environ 500 000 documents confidentiels portant sur les activités de l'armée américaine en Irak et en Afghanistan.
- Novembre 2010 : La Suède lance un mandat d'arrêt européen à l'encontre de Julian Assange dans le cadre d'une enquête pour viol et agression sexuelle présumés.
- Juin 2012 à avril 2019 : Julian Assange est réfugié politique dans l'ambassade de l'Équateur à Londres, où il aurait été espionné à partir de 2015.
- 2016 : Diffusion par WikiLeaks de milliers d'emails piratés du Parti démocrate et de l'équipe de Hillary Clinton. Selon ses avocats, Donald Trump aurait offert à Assange de le gracier s'il affirme que la Russie n'est pas impliquée dans la fuite de ces e-mails.
- Mai 2017: Le parquet suédois classe sans suite l'enquête pour viol présumé.
- Avril 2019 : Julian Assange est arrêté puis enfermé à Belmarsh.
- Mai 2019 : les Ėtats-Unis inculpent Julian Assange.
- Octobre 2019 : La justice espagnole ouvre une enquête sur une société de sécurité à la solde des États-Unis qui espionnait Julian Assange à Londres.
- Novembre 2019 : le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer estime alors que la vie de Julian Assange est en danger.
- Février 2020 : Le Conseil de l'Europe s'oppose à l'extradition de Julian Assange. Celle-ci aurait un « effet paralysant sur la liberté de la presse », selon la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe.
- Mars 2020 : La chambre d'appel de la Cour pénale internationale ouvre une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité en Afghanistan.
- Février, puis septembre 2020 : Audiences en extradition
Sources : Le grand Soir ( legrandsoir.info), Mediapart, Investig'action, sites de John Pilger et de Craig Murray CraigMurray.org.uk.
Voir aussi les interventions des « Avocats pour Assange » : LawyersforAssange.org
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