On ne cesse de le répéter, alors répétons-le une fois encore : l'ancien libéral-atlantiste russe Dimitri Medvedev, qui assura un intervalle (2008-2013) à la présidence de la Fédération de Russie dans l'ère Poutine, est sans aucun doute le porte-parole le plus haut placé, le plus prestigieux et le plus significatif pour avertir que la Russie parle très sérieusement de choses extrêmement sérieuses.
L'habituel bordel américaniste autour des bégaiements de Biden ayant achevé sa séquence de communication désordonnée par une décision de livraison de quelques systèmes mobiles de lance-roquettes MLRS et HIMARS à l'Ukraine, la riposte de communication est venue d'une interview de Medvedev à la chaîne télévisée 'Al Jazeera'. Il n'y est pas question spécifiquement de la décision US sur ses systèmes mais sur le fait même de la possibilité de frappes profondes des Ukrainiens en territoire russe, du fait du matériel qu'on (les USA) leur aurait livrés. Voici le bref récit qu'en fait RT.com, où l'on voit que l'hypothèse ultime est évoquée d'une façon un peu plus précise, et surtout un peu plus variée...
« Depuis le lancement de l'offensive militaire russe en Ukraine fin février, les relations entre Moscou et l'Occident se sont dégradées pour atteindre le niveau le plus bas dans l'histoire moderne. La Russie a averti à plusieurs reprises les États-Unis et ses alliés que l'envoi de plus d'armes en Ukraine risquait de provoquer une confrontation directe entre la Russie et l'OTAN.» Dans une interview accordée à Al Jazeera, M. Medvedev, qui occupe actuellement la fonction de vice-président du Conseil de sécurité russe, [vient de déclarer] que, bien qu'il ne veuille effrayer personne, "lorsque les gens disent que quelque chose est impossible, parce que [cela semble n'être] jamais possible, ils ont toujours tort". Il a noté que le monde a déjà été témoin de l'utilisation d'armes nucléaires, - et "par nul autre que les Américains".
» Faisant référence à la doctrine nucléaire russe, Medvedev a déclaré que le commandant en chef de la Russie [le président] peut ordonner une frappe nucléaire dans plusieurs scénarios, - par exemple, si la Russie ou ses infrastructures critiques sont visées par une frappe nucléaire.
» "Il peut aussi y avoir une autre raison, - dans le cas où la Russie serait soumise à une frappe par des armes conventionnelles, mais cette frappe étant d'une nature telle qu'elle menace l'existence même de l'État. Personne ne doit oublier cela non plus".
» Medvedev a exhorté les autres pays à prendre des décisions en "tenant compte de toutes les réalités". [Pour autant], Medvedev a souligné que "personne ne souhaite une guerre nucléaire". »
On sait de quel "imbroglio américaniste" il s'agit. On l'a déjà évoqué, et Biden a déjà changé deux fois d'avis, ou disions de téléprompteurs, avant d'arriver à une décision d'apparence mi-chèvre mi- choux, mais en fait marquée d'une complète irresponsabilité et dispensant à tous (y compris à eux-mêmes, les USA) une complète incertitude. Il n'est même pas assuré que ceux qui ont décidé Biden à faire ce choix, aient les moyens de savoir si cette décision (dont l'exécution est confiée au Pentagone) est effectivement exécutée, ou dans tous les cas porte sur les systèmes annoncés... Voyons rapidement les points incertains qui sont affirmés comme disons des "certitudes incertaines"...
• La décision de livrer "quelques" lanceurs, MLRS et surtout HIMARS.
• L'affirmation de ces lanceurs (les HIMARS) sont équipés de roquettes (fusées) ayant un rayon d'action au maximum de 80 kilomètres.
•... Mais les fameux HIMARS peuvent aussi tirer des roquettes qu'on doit plutôt qualifier de missiles, avec guidage et rayon d'action d'autour de 300 kilomètres (ce qui signifierait une frappe profonde, - et, dans le cas qui nous occupe, "sur le territoire russe").
•... Mais (suite), Zelenski s'est engagé à ne pas utiliser les roquettes des HIMARS contre le territoire russe, - parole d'honneur !
• Alors, s'exclament les mauvaise et septiques esprits, pourquoi livrer de tels systèmes avec de telles capacités si c'est pour s'edngager à ne pas les utiliser ?
Etc., etc., - bla-bla-bla, dans l'extraordinaire chaudron, ou 'cauldron' de communication qui est une importante partie de Ukrisis, y compris sur le terrain du fracas des armes, en Ukraine. On donne ici une interprétation de la situation par le commentateur russe d'une tendance "dure", - souverainiste nationaliste, - Boris Guennadevitch Karpov. Le titre de son article appuie évidemment sur l'évidence (en riposte d'une situation hypothétique d'attaque stratégique, «...la Russie frappera les centres de décision même hors d'Ukraine », - c'est-à-dire aux USA). Pour lui, « Les Etats-Unis ont décidé de franchir une nouvelle étape dans leur guerre par procuration contre la Russie... »
Le commentaire de Karpov a l'avantage d'être clair, puisque venu d'un esprit qui ne s'encombre pas de tournures de style et qui est partisan d'une riposte au niveau de l'attaque supposée. Or, si l'on en vient aux situations évoquées, il n'y aura plus trente-six moyens de réagir, mais une seule façon : une riposte à mesure ; à cet égard, il est donc préférable de voir cela exposé dans un langage clair.
Ce qui est d'ailleurs la première idée affirmée dans l'extrait du texte de Karpov.
«...Car soyons clairs: Si les Etats-Unis fournissent à l'Ukraine (et justement ils le font!) des armes capables de frapper la Russie, ils seront responsables de leur usage contre la Russie, qui n'aura alors pas d'autre alternative que d'en tirer les conséquences sur le plan militaire. Et la Russie n'a ni les moyens ni l'envie d'une guerre longue contre les Etats-Unis et l'OTAN, elle aura donc l'obligation d'utiliser des moyens non conventionnels (Il ne s'agit pas forcément de frappes nucléaires, la Russie ayant à sa disposition d'autres armes, [qu'elle seule possède] actuellement) pour frapper massivement et fort, pour sa simple survie.» Au Kremlin on est quasiment certain que les Etats-Unis ne riposteront pas autrement que par de violentes déclarations et menaces si la Russie est obligée de lancer une attaque ciblée contre des objectifs situés aux Etats-Unis. A part quelques irresponsables hystériques comme l'ancien ambassadeur américain McFaul qui propose de lancer des frappes nucléaires contre la Russie, les déclarations de la plupart des hauts responsables américains semblent bien montrer d'une part qu'ils en sont conscients, et d'autre part qu'ils ne veulent pas entrer en guerre contre la Russie.
» C'est d'ailleurs ce que Biden lui-même a déclaré à plusieurs reprises. On peut alors se demander pourquoi il a finalement accepté de livrer ces MLRS à Zelenski. Il est clair que Biden n'est qu'une marionnette aux mains de certaines structures : lui a-t-on imposé ces livraisons ? Quoiqu'il en soit, si Zelenski frappe la Russie, ces questions n'auront plus grande importance : La Russie frappera massivement ceux qui ont livré le matériel. »
On notera deux choses intéressantes :
• L'affirmation qu'une riposte, pourtant qualifiée de "non-conventionnelle" et que nous tendrions à qualifier de "stratégique", sinon de "stratégique intercontinentale", pourrait n'être pas nucléaire. Il s'agit de l'option que nous avions détaillée le 22 mars 2022 lors du premier tir opérationnel en Ukraine d'un missile hypersonique 'Kinzhal' :
« Le missile hypersonique doit être considéré au moins autant comme une arme conventionnelle nouvelle d'une extrême puissante (et alors sa vitesse, avec son énergie cinétique, agit comme un multiplicateur considérable de la force de destruction à l'impact), que comme une arme nucléaire (à ogives nucléaires) très rapide et indétectable mais qui n'a que faire de l'énergie cinétique puisque l'arme nucléaire se déclenche elle-même hors de tout choc d'impact.» Cela donne un échelon intermédiaire tout nouveau et d'une extrême importance dans l'escalade militaire, entre la guerre conventionnelle classique de haut niveau et la guerre nucléaire. Il s'agit d'un très grave problème pour les forces occidentales, qui doivent très vite (mais avec quel espoir ?) tenter de trouver une parade. »
• L'affirmation que les USA ne riposteront pas à une telle attaque, bien entendu affirmation "non-sourcée" mais qui reflète sans doute un jugement assez général dans les milieux de la sécurité nationale et de la communication à Moscou. La phrase qui caractérise cette idée est bien entendu celle-ci :
« Au Kremlin on est quasiment certain que les Etats-Unis ne riposteront pas autrement que par de violentes déclarations et menaces si la Russie est obligée de lancer une attaque ciblée contre des objectifs situés aux Etats-Unis »
Cette phrase représente à notre sens la description d'une situation où aurait lieu une attaque directe et très ciblée contre les USA, ou contre des territoires, des bases contrôlés par les USA, et une attaque effectuée par les moyens de missiles hypersoniques remplaçant la puissance nucléaire massive et incontrôlable par ses effets, par l'énorme énergie cinétique des missiles hypersoniques. Dans ce cas, une riposte nucléaire américaniste, - les USA n'en disposent d'aucune autre à mesure de l'attaque russe, - se ferait dans les pires conditions possibles pour les USA, du fait des capacités de défense et de contre-attaque nucléaire de la Russie.
L'énigme américaniste
Notre intertitre résume en effet l'essentiel de cette situation de tension extrême. Comme nous l'estimons dès l'origine, le cœur d'Ukrisis se trouve dans la crise du système de l'américanisme, plus précisément de son pouvoir, avec une multitude d'inconnues et de variables.
• Nul ne sait quelle est précisément la politique des États-Unis, au point évidemment que l'hypothèse de loin la plus crédible est bien qu'il n'y a pas de véritable "politique" aux USA, sinon les restes d'une ' politiqueSystème' aux abois, qui peut aussi bien être dynamisée dans le sens de la destruction par l'un ou l'autre groupe disposant de positions efficaces, - ce qui va dans le sens de l'engagement maximaliste et nihiliste en Ukraine, s'arrêtant au seuil d'un engagement direct de forces armées qui est la seule option pouvant être discutée publiquement.
• Il n'y a aucune possibilité d'établir la moindre certitude quant à la structure du pouvoir, avec un président dans l'état de santé de Biden, et essentiellement sa très grande faiblesse cognitive et mentale ; par conséquent, le pouvoir est n'est pas "à prendre" comme s'il n'y avait plus personne pour l'exercer à son sommet, il est "à saisir" par intermittences et par jeux d'influence par les uns et les autres, et surtout il est susceptible d'être constamment "saucissonné" entre divers groupes qui peuvent d'ailleurs suivre des impulsions concurrentielles, voire antagoniste dans tel ou tel domaine politique.
• Plus encore, - ou disons : pire, - il y a une sorte de course à l'autruche, ou à l'écrevisse pour traiter réellement le problème, qui fait que l'immense gravité du nucléaire, et surtout dans le cas des USA à cause de la crise du pouvoir, est écarté, ignoré, le moins visible possible ; par exemple avec cet article sur les débats internes de l'"administration" Biden sur la question, que le New York 'Times' "enterre" dans un fond d'une page intérieure à laquelle 95% de ses lecteurs n'arriveront jamais... Ce qui fait dire à Dan Frommkin, sur l'"enterrement" en pompes discrètes de cet article, de ce débat, etc. :
« Ainsi, pour ce qui est de provoquer Poutine, Biden trace la ligne quelque part entre 48 miles et 186 miles [de la portée d'une fusée]. Mais pourquoi ? Nous ne le savons pas. Et nous ne savons pas si cela a un sens.» Et si ce sont ces fusées, - les armes les plus avancées envoyées à ce jour, - qui transformeront la guerre en Ukraine en une conflagration nucléaire, voire mondiale. Cela en aura-t-il valu la peine ? Que penserons-nous du fait qu'il n'y ait eu pratiquement aucun débat public avant que cela ne se produise ?
» Ce que l'histoire nous a appris, encore et encore, c'est que souvent, on ne voit pas les points d'inflexion majeurs en temps réel, mais seulement rétrospectivement. C'est pourquoi les journalistes doivent poser des questions difficiles, voire impopulaires, lorsque les enjeux sont si importants. »
De toutes les façons, le personnel et les élites de Washington D.C. sont actuellement de plus en plus sollicitées par les élections de novembre prochain. La communication électorale laisse assez peu de place à l'engagement en Ukraine, après un petit mois d'emballement avec des positions extrêmes. Désormais, les sujets centraux sont la situation économique générale désastreuse, l'affrontement sociétal d'une puissance toujours grandissante entre les deux partis, etc. Actuellement, par exemple, on constate la montée d'une critique multilatérale, parfois pour des raisons intérieures opposées, à l'encontre de l'aide massive à l'Ukraine ($40 milliards sur plusieurs années), qui fut votée tout aussi massivement par le Congrès, sans doute comme le point d'orgue de cet emballement signalé plus haut.
Un domaine particulièrement important et intéressant est la position, du Pentagone et la question de savoir si les chefs militaires des deux puissances (USA et Russie) continuent à avoir des relations parlées, depuis la reprise des communications téléphoniques (le 12 mai au niveau des ministres de la défense, le 18 mai au niveau des chefs d'état-major), à l'insistance répétée de la partie US. On ignore par exemple la position du Pentagone dans le processus de livraison des systèmes MLRS et HIMARS, comment ces livraisons sont assurées, si les chefs militaires des deux parties en discutent, si le Pentagone accélère ou freine ces livraisons, s'il contrôlera précisément ou non leur emploi par les Ukrainiens, etc.
Quoi qu'il en soit, on comprend que ce qui est appréhendé comme une très grave crise pour la Russie (un tir stratégique ukrainien en Russie et la question d'une riposte russe contre les USA), est une tout aussi grave crise, peut-être même encore plus grave crise pour les USA si la Russie riposte. (Nous parlons bien entendu des décisions à prendre dans ces divers cas, plus que les actes eux-mêmes, qui ont "toutes les chances" d'être limités par rapport à ce qui est possible, comme autant de coups de semonce stratégique de part et d'autre.)
Il doit nous rester à l'esprit la conception que nous rappelons à chaque occasion, et à chaque occasion de plus en plus gravement, que, si l'affrontement est nécessairement et directement existentiel pour la Russie, il l'est indirectement tout autant pour les USA pris dans leur seule notion acceptable d''empire'. Nous conclurions alors qu'il est préférable d'être clairement averti, comme dans le cas russe, que de ne l'être guère, comme dans le cas des USA avec une psychologie totalement déformée par la certitude de l'exceptionnalité... Sur ce dernier cas, on notera que nous y revenons souvent dans ces temps agités d'Ukrisis, que ce soit
• le 9 mai 2022, où ces phrases générales concernaient évidemment et en priorité la pâle caricature qualitative d'"empire" que sont les USA par rapport à Rome au moment de sa chute, ce qui laisse présager que les USA s'effondreront sans le savoir, sans prêter attention à la désintégration de leur hybris : « Peu à peu s'impose cette formidable vérité-de-situation : nous sommes à un tournant de notre chaîne civilisationnelle. Nous sommes à un moment qui renvoie à des souvenirs d'une symbolique d'éternité brisée [la chute de Rome], - et nous voyons alors, à l'évocation de ces souvenirs de ceux qui en furent les témoins proches ou lointains, que nous manquons, par comparaison, singulièrement de grandeur, par les simulacres de nous-mêmes que nous entretenons pour mieux nous entretenir nous-mêmes dans l'illusion... » ;
• le 14 mai 2022, avec cette réflexion sur... « C'est le message effrayant ici. C'est un peu l'empire romain devenu fou. »
Mise en ligne le 4 juin 2022 à 16H55