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Tedros A. Ghebreyesus : « On ne saurait trop insister sur l'importance d'un instrument juridiquement contraignant: il fera partie de notre héritage collectif pour les générations futures ».
Fabrice COFFRINI / AFP
SANTÉ/DROIT - Un lapsus ou une véritable « déclaration d'intention » ? Lors d'une table ronde organisée le 22 mai 2023 en marge de la 76e Assemblée générale de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Genève, le co-président d'un groupe de travail de cette instance internationale a ouvertement appelé les États membres à se doter de « mesures qui restreindraient les libertés individuelles », afin de lutter contre les prochaines pandémies.
Le coup d'envoi de la 76e Assemblée mondiale de la Santé a été donné le 22 mai dernier, à Genève. Cette édition est dédiée au Traité sur les Pandémies, qui prévoit « d'habiliter l'OMS à remplir son mandat en tant qu'autorité de direction et de coordination du travail sanitaire international, y compris pour la préparation et l'intervention en cas de pandémie ».
Il s'agit là de l'une des propositions émises en juin 2022 par l'Organe intergouvernemental de négociation (OIN), initié en décembre 2021 par les 194 États membres de l'OMS et « chargé de rédiger et de négocier une convention, un accord ou un autre instrument international de l'OMS sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies ».
Après cette première réunion de juin 2022, cet organe s'est de nouveau réuni en juillet 2022 pour convenir que ce Traité sur les pandémies sera adopté en vertu de l'article 19 de la Constitution de l'OMS et sera « juridiquement contraignant » pour les signataires.
Une décision saluée par le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. « On ne saurait trop insister sur l'importance d'un instrument juridiquement contraignant: il fera partie de notre héritage collectif pour les générations futures », avait-il déclaré.
Un rapport de cet OIN, dont une copie a été transmise aux États membres le 1er février 2023, a été examiné lors de cette 76e Assemblée mondiale de la Santé. L'OIN espère conclure l'accord en mai 2024, permettant à l'OMS de déclarer les pandémies et soumettre les États membres à son autorité « de direction et de coordination du travail sanitaire international ».
« Restreindre les libertés »... « C'est nécessaire »
Plusieurs tables rondes autour de ce Traité ont été organisées en marge de cette Assemblée. La première, portant sur « le renforcement de la prévention, la préparation et la riposte aux pandémies », s'est tenue le 22 mai 2023 et réunissait plusieurs décideurs de l'OMS, à commencer par son chef, Tedros A. Ghebreyesus. Ce n'est toutefois pas sa déclaration qui suscite une polémique. C'est l'intervention du Dr Abdullah Assiri, co-président d'un groupe de travail sur les amendements au Règlement sanitaire international ( WGIHR) ( À partir de 15:00) qui provoque des interrogations, voire des craintes.
Abdullah Assiri a d'abord dressé un bilan du Règlement sanitaire international (RSI) de 2005, « seul document contraignant que nous avons ». « Cela fait 16 ans que le RSI est en vigueur. Sa mise en œuvre était la composante la plus problématique du processus mais le monde a évolué », a-t-il dit.
Après avoir rappelé la genèse de l'OIN, il a déclaré que les États membres ont examiné les 300 amendements proposés par cet organe, devant permettre « la mise en œuvre du RSI, qui permettra aux pays membres de détecter les urgences de santé publiques, de riposter et de réduire les risques de pandémies ».
Néanmoins, l'OMS a besoin, dit-il, d'un « autre niveau de mandats juridiques ». Il évoque « un traité pour gérer une éventuelle pandémie » qui doit non seulement « prioriser certaines mesures » mais « qui le fera ». Il cite « une restriction des libertés individuelles », le « partage les informations et les ressources et surtout, la fourniture des fonds pour les efforts de lutte contre la pandémie ».
« Tout cela est nécessaire », justifie celui qui a occupé de nombreux postes au ministère de la Santé d'Arabie saoudite. Mais « les moyens de réaliser ces objectifs ne sont pas disponibles pour l'instant », poursuit le Dr Assiri, sans donner plus de détails, reprenant son résumé du calendrier devant mener à l'examen des amendements du RSI lors de la prochaine Assemblée en 2024.
À se référer à cette intervention, énoncée en présence du patron de l'OMS, celle-ci assume ouvertement une volonté de restreindre les libertés individuelles chez les populations des États membres au nom d'une lutte contre les prochaines pandémies. S'agit-il d'un malentendu ? Le Dr Assiri a-t-il mal exprimé l'un des objectifs du Traité sur les pandémies ou exprime-t-il une opinion personnelle ?
Son passage, qui suscite de vives réactions, conforte surtout les craintes déjà exprimées par de nombreuses parties, comme le professeur de droit international, Francis Boyle, des sénateurs républicains aux États-Unis ou encore des associations médicales en Europe.
Un « État sanitaire policier mondial »
Dans un « Debriefing » pour France-Soir, Francis Boyle affirmait que ce Traité de l'OMS « violerait la Convention de Vienne sur le droit des Traités », car le texte contournerait le consentement des parlements nationaux. Il alertait contre le risque que représente l'accès de l'OMS à « ces pouvoirs dictatoriaux ».
De son avis, cette organisation « pourra ordonner d'entreprendre de prétendues mesures médicales qui vous (..) ne vous guériront pas (...) Ils pourront, pendant une pandémie, ordonner des confinements, des masques ou encore plus de vaccins ». Ce Traité, une fois son texte en vigueur, instaurera « un État mondial, policier, médical et scientifique » dont l'autorité « outrepassera celle des États et leurs constitutions ».
Le Traité a été rejeté dès la constitution de l'Organe intergouvernemental de négociation. Le 22 avril 2022, l'Association des médecins et chercheurs indépendants polonais s'est réunie à la Maison de la presse de Varsovie afin de mettre en garde la population internationale contre ce projet. « Que va-t-il se passer quand le chef de l'OMS va appuyer sur le bouton 'pandémie' ? ». Quelques semaines plus tard, c'était l'Alliance internationale pour la justice et la démocratie qui a dénoncé un projet « liberticide et anti-démocratique ».
En février 2023, 17 sénateurs républicains, menés par Ron Johnson, représentant du Wisconsin, ont présenté le « No OMS Pandemic Preparedness Treaty Without Senate Approval Act* ». Les auteurs de ce texte exigent que cet accord sur la pandémie doit être considéré comme un traité, ce qui exige le consentement d'une majorité du Sénat, soit les deux tiers.
Les sénateurs rappellent que « l'OMS et nos organismes fédéraux de santé ont lamentablement échoué dans leur réponse à la COVID-19 ». Un « échec » qui, poursuivent-ils, « ne devrait pas être récompensé par un nouveau Traité international augmentant le pouvoir de l'OMS au détriment de la souveraineté américaine ».
Sur Twitter, le passage du Dr Abdullah Assiri est largement relayé depuis le 22 mai dernier. Pour certains internautes, l'OMS « montre son vrai visage » en voulant « instaurer un État mondial policier ». D'autres appellent à rejeter ce traité.
*Pas de Traité sur la préparation aux pandémies de l'OMS, sans l'approbation du Sénat