25/12/2025 les-crises.fr  8min #299920

 Les États-Unis «poursuivent» un troisième pétrolier vénézuélien dans une série d'actes de piraterie dans les Caraïbes

Venezuela : le doute plane sur la stratégie de Trump

Entre l'opinion publique, ses propres agences de renseignement et ses partenaires internationaux, l'administration a encore beaucoup à faire pour convaincre.

Source :  Responsible Statecraft, Ted Snider
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Donald Trump aurait eu une conversation téléphonique surprise avec le président vénézuélien Nicolás Maduro la semaine dernière. Quelques jours plus tard, le département d'État américain a officiellement désigné le Cartel de los Soles du Venezuela comme une organisation terroriste étrangère et a en outre déclaré que Maduro était le chef de cette organisation terroriste étrangère.

Par conséquent, étant donné que le Cartel de los Soles est « responsable d'actes de violence terroriste dans tout notre hémisphère ainsi que du trafic de drogue vers les États-Unis », la première affirmation met la guerre avec le Venezuela à l'ordre du jour, et la seconde ajoute un coup d'État contre Maduro.

Il y a juste un problème : l'administration Trump a du mal à convaincre ses propres agences et ses partenaires internationaux les plus proches de l'une ou l'autre de ces affirmations. Elle ne les a pas non plus convaincus que le Venezuela est un État « narco-terroriste », ni que la solution proposée par Trump pour résoudre le problème - bombarder les petits bateaux qui transporteraient du fentanyl et d'autres drogues vers les États-Unis - est légale.

Le problème avec la désignation du Cartel de los Soles comme organisation terroriste est que le Cartel de los Soles n'existe pas tel que le décrit l'administration Trump. Comme le rapporte le New York Times : « Le Cartel de los Soles n'est pas une organisation au sens littéral, mais une figure de style. » Il s'agit d'une référence ironique vieille de trois décennies à l'insigne solaire que portent les généraux vénézuéliens et aux responsables militaires corrompus par l'argent de la drogue.

« Il n'y a pas de réunion du conseil d'administration du « Cartel de los Soles ». Cette organisation n'existe pas en tant que telle », a déclaré Phil Gunson, analyste senior de l'International Crisis Group, au Times.

De plus, selon Jeremy McDermott, cofondateur d'InSight Crime, un groupe de réflexion spécialisé dans la criminalité et la sécurité en Amérique latine : « Le Cartel des Soleils est devenu une expression fourre-tout pour désigner le trafic de drogue intégré à l'État, mais ces groupes ne sont pas intégrés - la main gauche ne sait pas ce que fait la main droite. Il ne s'agit absolument pas d'une organisation en soi », a-t-il déclaré, ajoutant : « Si vous voulez partir en guerre, le langage a son importance. »

De plus, les analystes du renseignement ne s'accordent pas à dire que Maduro est à la « tête » d'un cartel, et encore moins d'un cartel qui n'existe pas.

Un mémorandum du 26 février sur un autre groupe désigné comme terroriste par Trump, le syndicat du crime Tren de Aragua (TDA), qui rassemblait les conclusions des 18 agences de la communauté du renseignement américaine sous l'égide du Bureau du directeur du Renseignement national, concluait que le TDA « n'agissait pas sous la direction de l'administration Maduro et que les deux étaient au contraire hostiles l'un envers l'autre. »

Apparemment, selon le Times, le Bureau du directeur du Renseignement national a demandé à un analyste principal du renseignement de « repenser » cette analyse de février et de proposer une nouvelle évaluation. La nouvelle note, datée du 7 avril, « confirmait l'évaluation initiale des services de renseignement » et continuait de contredire les affirmations de l'administration au sujet de Maduro, concluant : « Le régime Maduro n'a probablement pas pour politique de coopérer avec le TDA et ne dirige pas les mouvements et les opérations du TDA aux États-Unis. »

La communauté du renseignement a maintenu dans cette note qu'elle « n'avait pas observé que le régime dirigeait le TDA. » Au contraire, la note conclut que « les services de renseignement, l'armée et la police vénézuéliens considèrent le TDA comme une menace pour la sécurité et mènent des opérations contre lui d'une manière qui rend très improbable une coopération stratégique ou cohérente entre les deux parties. »

Le nouveau mémo, cependant, ajoutait une vision plus nuancée de la position du FBI, qui partageait cette évaluation mais exprimait son désaccord en affirmant que certains éléments du gouvernement vénézuélien facilitaient la migration des membres du gang TDA vers les États-Unis et les utilisaient comme intermédiaires pour faire avancer les objectifs du régime.

Quelques semaines après le deuxième rapport, Michael Collins, président par intérim du Conseil national du renseignement, et Maria Langan-Riekhof, son adjointe, ont été licenciés. Le Bureau du directeur du renseignement national a nié toute implication dans ces mémos et s'est contenté de déclarer que « le directeur (Tulsi Gabbard) travaille aux côtés du président Trump pour mettre fin à l'instrumentalisation et à la politisation de la communauté du renseignement. » Cependant, une personne proche du dossier a déclaré à Reuters « Il est clair que Collins a été limogé pour avoir simplement fait son travail. »

Les États-Unis n'ont pas réussi à convaincre leurs partenaires que le Venezuela est une source importante de fentanyl ou d'autres drogues entrant aux États-Unis.

Des responsables américains actuels et anciens affirment que la plupart des bateaux touchés par l'armée américaine se trouvaient sur la trajectoire entre le Venezuela et Trinité-et-Tobago, un point de passage qui n'est utilisé ni pour transporter du fentanyl ni d'autres drogues vers les États-Unis. La marijuana domine avec 80 % des drogues qui transitent par ce passage, et la plupart du reste est de la cocaïne. Et ces drogues ne sont pas destinées aux États-Unis, mais à l'Afrique de l'Ouest et à l'Europe.

Selon la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine, 90 % de la cocaïne qui transite vers les États-Unis entre par le Mexique, et non par le Venezuela. Et le Venezuela n'est pas une source de fentanyl. Le Rapport mondial sur les drogues 2025 de l'ONUDC estime que le Venezuela « a consolidé son statut de territoire exempt de culture de feuilles de coca, de cannabis et de cultures similaires » et que « seulement 5 % des drogues colombiennes transitent par le Venezuela. »

À ce jour, au moins 20 frappes ont été menées contre des bateaux soupçonnés de transporter de la drogue, et 80 personnes ont été tuées sans avoir été inculpées ni jugées. La légalité de ces frappes suscite de sérieuses inquiétudes au niveau national. Hegseth [secrétaire à la Défense, NdT] est dans une situation délicate cette semaine, car on lui reproche d'avoir ordonné une deuxième frappe meurtrière contre un bateau, tuant les survivants.

Le 16 octobre, l'amiral Alvin Holsey, chef du Commandement Sud des États-Unis, qui supervise toutes les opérations en Amérique centrale et en Amérique du Sud, a annoncé qu'il démissionnait suite à des informations faisant état de « réelles tensions politiques concernant le Venezuela » entre l'amiral et le secrétaire à la Défense Pete Hegseth. Des responsables américains actuels et anciens affirment que Holsey « avait fait part de ses inquiétudes concernant la mission et les attaques contre les bateaux soupçonnés de transporter de la drogue. »

Le Washington Post rapporte que l'administration Trump a « à plusieurs reprises ignoré ou écarté les avocats du gouvernement qui remettaient en question la légalité de cette politique provocatrice. » À l'instar des responsables militaires et des services de renseignement, de nombreux avocats et responsables inquiets « ont quitté le gouvernement ou ont été réaffectés ou démis de leurs fonctions. »

De nombreux alliés clés des États-Unis ne sont plus convaincus. Le Royaume-Uni a cessé de partager avec les États-Unis des renseignements sur les bateaux soupçonnés de trafic de drogue au large des côtes du Venezuela, car il estime que ces frappes « violent le droit international. » Le Royaume-Uni est l'un des alliés les plus proches des États-Unis et l'un de leurs partenaires les plus importants en matière de partage de renseignements. Il dispose de nombreux agents de renseignement basés dans les Caraïbes.

Et le Royaume-Uni n'est pas le seul allié proche à agir en fonction de ses préoccupations. Le Canada, qui aide traditionnellement les États-Unis à intercepter les trafiquants de drogue dans les Caraïbes, a également informé les États-Unis qu'il ne souhaitait pas que ses renseignements soient utilisés pour aider à cibler des bateaux en vue de frappes meurtrières. Le Canada affirme que le partage de renseignements dans la région est « distinct » de ces frappes et que le Canada « n'est pas impliqué » dans les frappes américaines contre des navires vénézuéliens.

Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, a également déclaré que la France était préoccupée par le fait que ces frappes « violaient le droit international. » Les autorités néerlandaises avaient déjà restreint le partage de renseignements avec les États-Unis, craignant que la « politisation des renseignements » ne soit utilisée à des fins de « violations des droits humains. »

La Colombie a également cessé de partager des renseignements avec les États-Unis « car cela reviendrait à collaborer à un crime contre l'humanité. »

Si vous ne parvenez pas à convaincre les autres nations - et votre peuple - du bien-fondé de votre recours à la force militaire, vous avez peut-être tort d'y avoir recours. Il semble que Trump ait encore beaucoup à faire pour convaincre.

*

Ted Snider est chroniqueur régulier sur la politique étrangère et l'histoire des États-Unis pour Antiwar.com et The Libertarian Institute. Il contribue également fréquemment à Responsible Statecraft et à d'autres médias.

Les opinions exprimées par les auteurs sur Responsible Statecraft ne reflètent pas nécessairement celles du Quincy Institute ou de ses associés.

Source :  Responsible Statecraft, Ted Snider, 03-12-2025
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

 les-crises.fr