par Aziz Krichen
La révolution dans les pays arabes traverse aujourd'hui des moments difficiles. Après les premières victoires remportées sans trop de dégâts en Tunisie et en Egypte, les régimes dictatoriaux semblent désormais décidés à user de la plus extrême violence pour rester au pouvoir. C'est déjà le cas en Lybie. Cela commence à l'être au Yémen. Et l'on peut craindre le pire au Bahreïn, où des troupes d'intervention saoudiennes et émiraties ont été dépêchées hier lundi pour venir au secours de la famille régnante des Al-Khalifa, menacée d'être submergée par la vague du mécontentement populaire.
Les Tunisiens ont soutenu du mieux qu'ils pouvaient le combat des peuples arabes entrés avec eux dans un formidable mouvement général d'émancipation politique. Leur soutien aux Libyens, notamment, a été admirable. Et il se poursuit. Je les invite néanmoins à faire plus et mieux, si possible, à l'égard de nos frères et de nos soeurs au Bahreïn. Et j'invite tous les démocrates et tous les patriotes arabes à se mobiliser sans réserve.
Pourquoi le Bahreïn en particulier ? Pour une raison évidente. Les Bahreïnis sont majoritairement chiites, alors que la dynastie en place à Manama est sunnite. Cette différence confessionnelle est utilisée par les pétromonarchies du Golfe pour présenter la population du Bahreïn comme une cinquième colonne, qui ne se révolte contre son gouvernement que pour servir les intérêts de l'Iran, lui-même chiite.
Les dictateurs arabes ont longtemps instrumentalisés nos divisions religieuses. Ne laissons pas le scénario du pire se répéter au Bahreïn. Il y a sans doute parmi les chiites de ce pays des courants pro-iraniens. Mais ce ne peut être le cas du peuple dans sa totalité. Celui-ci lutte pour s'affranchir, pas pour changer de maître. Les Arabes chiites ne se battent pas pour l'Iran, mais pour être libres dans leur propre pays. Et les armées qui interviennent aujourd'hui sur leur sol ne le font pas pour garantir l'indépendance du Bahreïn à l'égard de l'Iran, mais pour aider à écraser une révolution populaire qui menace de se propager à toute la péninsule arabique - quitte à pousser de nombreux Bahreïnis, par désespoir, à se tourner vers Téhéran comme vers leur seul protecteur.
L'Arabie saoudite, les régimes du Golfe et les pays occidentaux ont d'abord été surpris par le déclenchement de la révolution en Tunisie et en Egypte. Ils se sont ensuite adaptés et certains ont même essayé de voler au secours de la victoire. Mais en s'enracinant au Yémen et au Bahreïn, la rébellion populaire s'est dangereusement rapprochée des puits de pétrole et des pétromonarchies. Dès lors, les faux-semblant ne sont plus de mise. Et Obama - dont la diplomatie est en train de faire capoter le projet d'une force d'exclusion aérienne au-dessus de la Lybie - peut couvrir sans état d'âme l'envoi de troupes à Manama. Cela a au moins le mérite de clarifier les choses...
Bahreïn est un tout petit émirat et sa population n'atteint pas le million d'habitants. Mais ce qui risque de s'y produire aura un impact considérable sur les développement ultérieurs de la révolution arabe, notamment en Iraq, en Syrie et au Liban. L'unité nationale de ces pays en sortira soit confortée, soit considérablement affaiblie, et les divisions s'ajouteront aux divisions.
Voilà pourquoi il nous faut tous soutenir sans réserve la cause du peuple bahreïni ; voilà pourquoi il ne faut pas mesurer nos efforts. Exigeons du gouvernement qu'il réclame le retrait des troupes ! Mobilisons les formations politiques et les structures associatives ! Manifestons en masse devant les ambassades et les consulats de l'Arabie saoudite et des pays du Golfe pour exprimer notre colère !