M. Saâdoune - Le Quotidien d'Oran
Le constat est simple, même si les responsables de l'Otan ne veulent pas l'admettre : la Libye s'installe dans une sanglante impasse.
Les bombardements aériens des Occidentaux ont causé des pertes importantes chez les forces gouvernementales libyennes, elles ne les ont pas anéanties. Au sol, les insurgés n'arrivent pas à gagner du terrain, alors que les forces gouvernementales, qui se sont adaptées aux tirs aériens, résistent et font même preuve d'initiatives.
Le général Carter Ham, chef du haut commandement de l'US Army pour l'Afrique, a utilisé le mot qui déplaît aux dirigeants occidentaux : impasse. Il a également tiré une conclusion qui paraît évidente : les insurgés ont peu de chance d'arriver à Tripoli pour renverser le régime.
Techniquement, on s'installe dans une partition du pays entre l'Est et l'Ouest. Sauf si les Occidentaux décident de sauter allègrement le semblant de ligne à ne pas dépasser : l'intervention directe au sol. La résolution 1973, obtenue avec l'aval de la Ligue arabe, est officiellement destinée à protéger les civils. Elle a été déjà transgressée par la « redéfinition » de l'objectif, qui est devenu le changement de régime. Aujourd'hui, au niveau de l'Otan, c'est la question d'une intervention des troupes au sol qui est en discussion.
Il en sera question dans les prochains jours au Qatar à la réunion du « groupe de pilotage politique ». Amr Moussa a compris tardivement. Il devra se résigner à aller à l'élection présidentielle égyptienne avec un gros handicap libyen : avoir fourni un alibi aux Occidentaux ou, ce qui n'est guère meilleur, avoir fait preuve d'une énorme naïveté. L'Emir du Qatar, contrairement à M. Moussa, n'a pas de compte à rendre, ni une opinion à convaincre ; il est totalement à l'aise dans son compagnonnage dans la guerre en Libye. Il dispose aussi d'Al Jazeera…
« L'enlisement », évoqué par les médias occidentaux et par certains responsables occidentaux, est en train de servir de justification et d'appel à une intervention terrestre. Ce n'est plus la protection des civils - qui ne sont pas épargnés par les raids de l'Otan sous les zones sous contrôle de Kadhafi - qui va servir d'argument, mais la nécessité d'en « finir » vite. Comme les insurgés ont apporté la démonstration qu'ils ne peuvent pas aller très loin vers l'Ouest, l'Otan est donc tentée d'intervenir pour bousculer les lignes. Pour aller vers une occupation en bonne et due forme. A l'irakienne.
Et dans le cas où une intervention des troupes de l'Otan ferait trop « colonial », on pourrait recourir aux compagnies de sécurité occidentales privées - euphémisme pour ne pas dire groupe de mercenaires - dirigées par d'anciens membres de services secrets. Qui peut oublier la compagnie américaine Blackwater et son amour si profond et si sanglant pour les civils irakiens tirés comme des lapins à Bagdad ? Pourquoi ne pas rééditer le coup, sachant que la compagnie de mercenaires n'a pas été poursuivie et s'est contentée de changer son nom, Xe ?
Le succès d'une solution politique, telle que préconisée par la Turquie, serait presque un « miracle ». Pour l'instant, on est dans le scénario irakien : un débarquement occidental qui favorisera le djihadisme. Et aucune fatwa de commande de Qaradhawi ne résistera à ceux qui dénonceront un débarquement des « croisés » en terre d'Islam.
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