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Lamees Dhaif dit à Al Jazeera : « Ils peuvent aujourd'hui nous empêcher de raconter ce que nous savons, mais ils ne pourront pas toujours nous en empêcher. »
Depuis le début du soulèvement à Bahreïn, des journalistes comme Dhaif ont été visés et arrêtés par le gouvernement - Photo : Matthew Cassel
Les femmes et les journalistes du pays ont longtemps été à l'avant-garde du mouvement pour le changement dans le monde arabe. Bahreïn Lamees Dhaif est les deux à la fois, et depuis près d'une décennie, elle a été un ardent défenseur de la justice sociale dans la petite nation insulaire.
Dhaif, âgée de 34 ans, a parlé avec Al Jazeera à Doha le week-end passé, au sujet de sa carrière de journaliste et de la répression gouvernementale qui l'a fait se taire, elle comme beaucoup d'autres dans le royaume du Golfe.
Dhaif se décrit comme un « enfant-roi » quand elle entra dans le journalisme en 2002, disant qu'elle avait « tout ce qu'il fallait » pour être une grande journaliste. Depuis lors, Dhaif est devenue l'une des personnalités les plus reconnues et les plus controversées dans les médias de Bahreïn.
« Je suis venu avec une approche agressive du journalisme », dit-elle. « A Bahreïn, ils essaient d'éviter les conflits dans le journalisme ; ils ne veulent déranger personne. C'est une petite société, si vous écrivez à propos de quelqu'un vous allez déranger ses proches..."
Dhaif, une musulmane chiite qui vient d'un milieu « conservateur », a déclaré : « j'ai critiqué [l'establishment religieux chiite] et j'ai été la cible de mes propres concitoyens. »
« Et puis j'ai commencé à dénoncer les puissants et les élites ; il fallait bein quelqu'un pour dire quelque chose. »
« Par exemple, nous avons 21 fédérations sportives du Bahreïn, et les dirigeants de 17 d'entre elles sont membres de la famille royale », a expliqué Dhaif. » « J'ai demandé, 'pourquoi le président de l'Union de natation est-il si gros ?' J'ai demandé la même chose pour le ministre de la santé : 'ne devrait-il pas être un médecin ?' »
« Au début j'étais futée, un peu gâtée. Je voulais faire mes preuves. Quand je me suis investie plus profondément dans mon travail et que je suis allée pour la première fois dans les villages et ais vu la pauvreté et l'injustice, j'ai commencé à me mépriser de penser qui travailler dans les médias était quelque chose qui pourrait faire de moi une star. »
« J'ai commencé à aborder les questions qui ont fait que les puissants veulent me briser, je me suis faite beaucoup d'ennemis, » dit Dhaif.
Dhaif parle ensuite de la campagne du gouvernement visant à ruiner sa réputation. Des déclarations ont été faites au sujet de son apparence physique et de son comportement, qu'elle rejette comme les rumeurs et des tentatives de « la salir » aux yeux de la société conservatrice du Golfe.
Dhaif a déclaré que ces attaques s'est retournée contre eux et « m'ont rendue plus déterminée, et la propagation des rumeurs m'a fait plus célèbre. »
Toutefois, Dhaif a depuis peu été réduite au silence depuis que le gouvernement a imposé la loi martiale pour réprimer un mouvement de protestation qui a démarré en février de cette année.
Bahreïn, un allié-clé des Etats-Unis et qui héberge la cinquième flotte de la marine américaine, est contrôlée par une monarchie sunnite. les chiites, qui représentent plus des deux tiers de la population, sont privés de droits sont exclus de la plupart de haut niveau des positions politiques, comme des forces de sécurité.
Le mouvement de protestation ressemblaient à ceux de Tunisie et d'Egypte qui sont parvenus à évincer les disctateurs respectifs des deux Etats. Au Bahreïn, les manifestants exigeant le changement ont initié leur propre occupation de la place Tahrir, au croisement central Pearl à de Manama, avant d'être expulsés de force. Le gouvernement a ensuite détruit le rond-point.
Les troupes de l'Arabie saoudite ont eu comme mandat de faire taire les manifestants et de mettre fin aux manifestations.
Un mois après que les protestations aient commencé, la monarchie de Bahreïn a imposé la loi martiale et a fait entrer des milliers de soldats saoudiens pour l'aider à réprimer le mouvement de protestation.
Menacée
Depuis, plus de 30 manifestants ont été assassinés et des centaines de manifestants, des défenseurs des droits humains, du personnel médical, des journalistes et d'autres ont été arrêtés et emprisonnés par les autorités. Les groupes de défense des droits ont condamné la généralisation des détentions et des tortures à l'intérieur des prisons. Au moins quatre détenus sont morts en détention, et deux ont été condamnés à mort. Amnesty International a condamné les procès militaires à Bahreïn comme « politiquement motivés et injustes. »
Dhaif raconte comment sa famille avait été menacée à cause de son travail, et, encouragée par ses parents, elle a décidé d'éviter d'écrire depuis l'imposition de la loi martiale. « J'ai arrêté de [pratiquer le journalisme] parce que je ne voulais pas être arrêtée. Si je suis arrêtée aujourd'hui, comment pourrais-je informer sur les autres en prison ? Tout le monde est arrêté. »
Depuis le début de la répression, de nombreux militants, des journalistes et d'autres ont dû se cacher pour éviter d'être arrêtés par les autorités - qui ont affiché des photos des personnes « recherchées » sur divers médias, y compris sur Facebook.
« Nous avons atteint un point où nous avons peur même d'écrire sur nos portables car c'est la première chose qu'ils prennent quand ils envahissent nos foyers. Donc, je garde toutes les récits dans ma tête », a déclaré Dhaif.
« Ils peuvent nous empêcher de raconter des histoires maintenant, mais ils ne peuvent pas le faire éternellement. Même les morts racontent ce qu'ils savaient. »
Les médias gouvernementaux et de l'État de Bahreïn ont dépeint le mouvement de protestation comme sectaire et a tenté de justifier la répression en mettant en garde contre l'influence iranienne dans le pays. En avril, le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn a déclaré que les troupes étrangères resteraient dans le pays pour éliminer toute « menace extérieure », qu'il associe avec l'Iran.
Selon Dhaif, à Bahreïn, « il y a des chiites qui ont beaucoup. Et il y a beaucoup de sunnites qui souffrent, mais ils ont peur [d'agir] parce que le gouvernement leur fait peur avec l'Iran. »
« Le gouvernement dit que les manifestants veulent que l'Iran [contrôle Bahreïn]... c'est une vieille chanson qu'ils ont chanté depuis des décennies. Mais qu'est-ce que nous voulons avec l'Iran ? Ce n'est pas un gouvernement civilisé, c'est une dictature. Nous souhaitons une vie meilleure pour les gens en Iran. »
Dhaif demande : « Est-ce tous les sunnites veulent un gouvernement comme l'Arabie Saoudite ? Alors pourquoi ils accusent les chiites de vouloir un gouvernement religieux comme en Iran ? »
Contrairement à des manifestations dans d'autres pays arabes, Dhaif soutient que la majorité des manifestants à Bahreïn ne veulent pas « isqat al-nitham » (renverser le régime), mais plutôt la réforme des droits et l'égalité.
« Les Bahreïnites sont des gens pacifiques et intelligents, et nous méritons un pays moderne. Nous méritons d'être traités comme des citoyens et des partenaires, pas des adeptes et des esclaves. Nous ne voulons pas de leur loi, nous ne voulons pas de leurs palais, de leurs trônes, de leurs Rolls Royce et de leurs jets, nous voulons simplement être traités avec dignité. »
« Si le gouvernement dit : 'Nous gardons nos trônes, et nous vous donnons la dignité que vous méritez' le peuple accepterait », ajoute Dhaif.
« Si le gouvernement attribuait des droits réels, il ne serait pas nécessaire de protester ; [le gouvernement] doit cesser d'être si têtu. Ils ne pourront pas changer de peuple, mais le peuple peut les changer. »
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