Mohamed BELAALI
L'étincelle allumée par Mohamed Bouazizi en Tunisie au mois de décembre 2010 a enflammé les masses arabes opprimées du Maroc à Bahreïn, de l'Egypte au Yémen en passant par l'Irak, la Syrie et la Jordanie. Aucun pays n'a véritablement échappé à cette vague de révoltes qui a déferlé sur le monde arabe. Une profonde aspiration à la démocratie et à la dignité s'est emparée des peuples de cette région du monde. Deux dictateurs sont déjà tombés. Le troisième, Ali Abdallah Saleh restera probablement en Arabie Saoudite en compagnie de Ben Ali. En tout cas le peuple du Yémen considère que son départ est sans retour. Mais les révolutions et les contre-révolutions vont de pair. La révolution arabe n'a pas échappé à cette dialectique de la lutte des classes.
Les classes dirigeantes arabes, avec l'aide de l'impérialisme américain, font tout pour se maintenir au pouvoir, et celles qui l'ont déjà perdu, n'aspirent qu'à le reprendre. Surpris par la rapidité avec laquelle les régimes tunisien et égyptien sont tombés, l'impérialisme américain et son caniche européen tentent de sauver les autres despotes de la colère de leurs peuples. Ainsi ils ont envoyé le 14 mars 2011 l'armée saoudienne à Bahreïn, dans le cadre du Conseil de Coopération du Golfe(CCG), pour briser la révolte du peuple de ce petit royaume et sauver la dynastie des Al Khalifa dont les jours étaient comptés. La place de la Perle, haut lieu de la résistance populaire a été évacuée dans le sang le 16 mars et son monument a été détruit comme l'ont été également plusieurs mosquées. « Tous les moyens, dont les plus abjects et les plus infâmes, sont utilisés pour briser cette magnifique volonté de changement du peuple de Bahreïn » (1). La répression sauvage contre un mouvement pacifique reste la seule arme dont dispose la classe dirigeante et ses alliés extérieurs pour se maintenir au pouvoir. Le 22 juin 2011, un tribunal spécial a condamné à perpétuité huit personnalités, figures emblématiques de la contestation du Royaume. La famille Al-Khalifa poursuit également devant ses tribunaux 48 chirurgiens, médecins, infirmières les accusant de vouloir renverser la monarchie, alors qu'ils ne faisaient que soigner les manifestants pacifiques blessés par les balles de la police du régime. Le silence complice des bourgeoisies américaine et européenne sur les condamnations à mort, les tortures, les assassinats et la répression féroce des manifestations pacifiques, la poursuite devant les tribunaux des médecins etc. montre à quel point l'impérialisme est l'ennemi des peuples, de la démocratie et du progrès.
Au Yémen, malgré un puissant mouvement populaire de protestation, Ali Abdallah Saleh au pouvoir depuis 1978 n'a pu se maintenir à la tête de l'État que grâce, entre autres, au soutien de Washington. Le dictateur du Yémen est considéré par les américains comme un allié dans ce qu'ils appellent « la lutte contre le terrorisme ». Si le peuple du Yémen a enregistré sa première victoire avec le départ de Saleh en Arabie Saoudite pour se faire soigner, le régime et ses institutions sont toujours en place. La contre-révolution menée par les États-Unis et l'Arabie Saoudite vont utiliser la situation chaotique que connaît le Yémen, les divisions qui déchirent les différents acteurs et opposants d'Ali Saleh, la révolte des Houthis au Nord, les sécessionnistes au Sud etc. pour détourner les objectifs de la révolution au profit d'un nouveau régime qui servira leurs intérêts. Selon le New York Times du 8 juin 2011, Washington intensifie ses frappes aériennes au Yémen (2).
Encore une fois, la lutte contre Al Qaida sert de prétexte pour s'immiscer dans les affaires intérieures des pays souverains. En fait ce qui intéresse surtout les États-Unis, c'est la situation géostratégique du Yémen. Ce n'est pas la lutte contre le terrorisme qui pousse la bourgeoisie américaine à s'installer dans cette région, mais c'est bel et bien le détroit de Ba-b al-Mandab et le Golfe d'Aden, deux voies maritimes par lesquelles transite une partie importante du commerce mondial dont une bonne part de pétrole à destination de la Chine et de l'Europe.
La France, qui a toujours soutenu Ali Abdallah Saleh, n'a pas de présence véritable dans cette région. En échange de quelques contrats liés à la vente du matériel de défense et de sécurité notamment, elle a décoré de la légion d'honneur en 2010 Amar Saleh, neveu du président et directeur-adjoint de la sécurité nationale, qui s'est illustré par sa cruauté dans la répression des manifestants.
De ce chaos yéménite, émerge le mouvement des jeunes révolutionnaires dont le but est de construire un Yémen uni, démocratique et moderne (3). Leur ennemi est le régime d'Ali Saleh qu'ils veulent renverser pacifiquement. La contre-révolution intérieure et extérieure mobilisera tous les moyens dont elle dispose pour contrecarrer et anéantir ce projet révolutionnaire. Seul le temps nous dira si la révolution triomphera de l'ensemble de ses ennemis et mettra le Yémen sur la voie de la démocratie et des réformes sociales progressistes.
La situation en Libye est différente de celle de Bahreïn et du Yémen. La fuite de Ben Ali vers l'Arabie Saoudite le 14 janvier 2011 a soulevé un immense espoir de changement dans tout le monde arabe. S'adressant au peuple tunisien non pas pour le féliciter, mais pour regretter le départ de son ami dictateur, Kadhafi déclarait avec beaucoup de mépris et d'arrogance : « Vous avez subi une grande perte (...) Il n'y a pas mieux que Zine(El Abidine Ben Ali) pour gouverner la Tunisie,(...) Je n'espère pas seulement qu'il reste jusqu'à 2014, mais à vie » (4). Ainsi parlait Kadhafi de la révolution tunisienne. Pour lui comme pour tous les dictateurs, le pouvoir n'est pas un moyen mais une fin en soi ; le pouvoir pour le pouvoir. Après 42 ans de règne sans partage, la Libye de Kadhafi est encore une société archaïque et tribale alors que le pays regorge de pétrole et de gaz naturel. Kadhafi comme l'écrivait à juste titre Samir Amin « n'a jamais été qu'un polichinelle dont le vide de la pensée trouve son reflet dans son fameux « Livre vert » » (5). Tantôt socialiste, tantôt nationaliste, Kadhafi n'a réellement jamais été ni l'un ni l'autre. Bien avant les révoltes des peuples arabes, il avait engagé la Libye sur la voie du libéralisme en ouvrant l'exploitation de sa richesse pétrolière et gazière aux compagnies américaines et européennes. Commence alors une période marquée par les privatisations, les réductions des dépenses publiques et l'explosion du chômage. Ces difficultés économiques et sociales, conséquences des politiques libérales, combinées aux soulèvements populaires qui ont chassé Ben Ali et Moubarak dans la Tunisie et l'Égypte voisines ont probablement entraîné l'explosion de février 2011. Ces événements traduisent en même temps la volonté du peuple libyen, comme les autres peuples de la région, d'un changement profond. Mais la Libye n'est ni la Tunisie ni l'Égypte. Dès le départ, cette aspiration au changement du peuple libyen a été confisquée par des groupes armés qui veulent prendre la place de Kadhafi. Le contraste est saisissant entre les masses tunisiennes et égyptiennes qui ont renversé les deux dictateurs pacifiquement, et le Conseil National de Transition libyen (CNT) livrant une véritable guerre au régime de Khadafi pour s'emparer du pouvoir. Le monde entier a vu ces images d'hommes et de femmes scander à l'unisson « Ben Ali dégage » sur l'avenue Bourguiba, ou sur la désormais célèbre place Tahrir des centaines de milliers d'égyptiens exiger pacifiquement le départ de Moubarak. De la Libye, nous avons surtout vu, avant l'intervention de l'OTAN, des hommes en treillis surarmés, des pick-up équipés d'armes antiaériennes, des ruines, des cadavres, bref des images d'une véritable guerre civile entre l'armée d'un despote et un gouvernement provisoire autoproclamé qui parle au nom des libyens et téléguidé par l'impérialisme américain et européen. Car le CNT n'a pas tardé à faire appel à l'OTAN pour renverser le régime de Kadhafi. Et c'est le Conseil de Coopération du Golfe qui a demandé une réunion extraordinaire de la Ligue arabe et a invité « le Conseil de sécurité de l'ONU à protéger les civils libyens, notamment à l'aide d'une zone d'exclusion aérienne ». Ce sont ceux-là mêmes qui massacrent des manifestants pacifiques à Bahreïn et qui exigent la protection des civils en Libye !! Le CCG, instrument de l'impérialisme américain, joue de plus en plus le rôle de la contre-révolution dans le monde arabe.
Depuis son intervention en Libye, combien de victimes civiles innocentes sont tombées sous les bombes de l'OTAN ? Dans la nuit du samedi 18 juin, l'OTAN a mené un raid aérien sur un quartier populaire de Tripoli faisant plusieurs morts dont deux enfants. Les corps ont été retirés des décombres devant la presse mondiale. Il ne s'agit là que d'un crime en plus parmi les innombrables massacres de la bourgeoisie occidentale commis à travers le monde, loin des États-Unis et de l'Europe. En guise de protéger les civils, on les massacre !!
La volonté de l'impérialisme de pomper, à l'instar d'un vampire, le pétrole libyen est sans limite. Il est prêt à sacrifier autant de vies humaines que nécessaire pour assouvir sa soif de l'or noir dont il a besoin pour faire tourner sa machine économique, base matérielle de sa domination (6).
En Syrie, le parti Baath est confronté à son tour à cette formidable volonté de changement qui secoue le monde arabe. Le peuple syrien, à l'instar des autres peuples arabes, aspire profondément lui aussi au changement, à la liberté et à la démocratie. Même Bachar Al Assad a reconnu dans son discours du 20 juin 2011 la nécessité des réformes : « l e processus de réformes est une conviction totale dans l'intérêt de la patrie et aucune personne raisonnable ne peut aller à l'encontre de la volonté du peuple » disait-il. Mais le parti Baath au pouvoir depuis 1963 peut-il répondre à cette aspiration vu sa base sociale petite bourgeoise et sa nature policière dont les deux piliers restent l'armée et les services secrets, les fameuses et redoutables « Moukhabarat » ? C'est ce qui explique, entre autres, le nombre important de victimes.
Le Baath syrien s'est éloigné lui-même de sa propre idéologie nationaliste panarabe (une espèce de foi mystique dans la nation arabe) et laïque. La renaissance arabe(baath signifie en arabe renaissance, résurrection) a été abandonnée. Le parti Baath qui était au pouvoir en Syrie et en Irak n'a jamais réussi à unir ces deux pays. La laïcité est restée un concept creux, vide de tout sens et le parti est devenu un instrument entre les mains de militaires assoiffés de pouvoir. Hafez Al Assad est le principal bénéficiaire de cette dégénérescence du parti. La Syrie est devenue la propriété privée du clan Al Assad. La priorité des priorités est de garder le pouvoir non pas pour transformer la société et sortir la Syrie du sous développement en menant des réformes sociales progressistes, mais pour le pouvoir lui-même. La rhétorique anti-sioniste du régime contraste cruellement avec sa passivité face à l'occupation du plateau du Golan par Israël. Le statu quo reste le meilleur garant de l'hégémonie de l'État sioniste dans la région et la négation des droits du peuple palestinien.
Pour Israël, qui semble regretter quelque peu cette remarquable stabilité, l'affaiblissement du régime syrien risquerait de précipiter celui-ci dans les bras de l'Iran, son principal ennemi dans la région. Mais l'opposition actuelle représente-t-elle vraiment le peuple syrien ?
Quel est son programme ?
Quelle est l'influence des Frères musulmans, des hommes d'affaires et de la réaction en général au sein de cette opposition ? Quel est le rôle de la Turquie dans ce mouvement de protestation ? Pour l'instant l'opposition se contente de slogans et de vouloir renverser le régime. La conférence d'Antalya, financée par la riche famille Wassim Sanqar, qui a réuni du 31 mai au 3 juin 2011 quelques centaines d'opposants n'a pas vraiment apporté de réponses à ces interrogations. Toutefois la déclaration finale des participants affirme « le rejet sans équivoque d'une intervention militaire étrangère » (7).
La manipulation de l'opposition par l'impérialisme pour casser l'axe Syrie/ Iran / Hezbollah / Hamas n'est pas à exclure non plus.
Au Maroc, le Mouvement du 20 février exige une monarchie parlementaire où le roi règne mais ne gouverne pas. C'est une véritable révolution pour un pays habitué à être gouverné par des rois depuis des siècles.
A la suite des manifestations pacifiques, Mohamed VI est intervenu à la télévision le 9 mars pour annoncer un ensemble de réformes constitutionnelles importantes comme le « renforcement du statut du Premier ministre en tant que chef d'un pouvoir exécutif effectif », la « consolidation du principe de séparation et d'équilibre des pouvoirs », ou encore « l'élargissement du champ des libertés individuelles et collectives » etc. Il a désigné une commission ad hoc pour la révision de la constitution. Le 17 juin le roi du Maroc a présenté le projet de la nouvelle constitution qui sera soumis au référendum le premier juillet 2011. La plupart des partis politiques plus ou moins liés au pouvoir, la Confédération générale des entreprises du Maroc(patronat) ont applaudi chaleureusement ce projet comme d'ailleurs l'Union européenne, l'Administration Obama, l'ONU, le FMI etc.
Par contre, le Mouvement du 20 février estime que ni le discours, ni le projet de la nouvelle constitution ne répondent aux aspirations profondes du peuple marocain à un véritable changement. Pour le Mouvement, la constitution doit être votée par une assemblée constituante elle-même élue démocratiquement. Le Mouvement du 20 février appelle le peuple marocain à poursuivre le combat « historique et pacifique contre l'oppression, la corruption et pour la liberté, la dignité et la justice sociale » par des marches pacifiques dans tout le pays et à boycotter le référendum. Il faut préciser par ailleurs que si la direction de l'Union Socialistes des Forces Populaires (USFP) a appelé à voter pour le projet, sa base notamment sa jeunesse appelle, elle, à voter contre.
De son côté, le pouvoir mobilise tous les moyens dont il dispose y compris le recours au lumpenproletariat pour casser la dynamique créée par le Mouvement et faire voter le projet de la nouvelle constitution.
La résistance au changement est menée sur le plan intérieur, pour simplifier au maximum, par la bourgeoisie marocaine tant industrielle que financière très liée au Makhzen (appareil du pouvoir au Maroc), les grands propriétaires terriens, les partis politiques qui depuis de longues décennies ont accepté les règles du jeu politique tracées par le pouvoir. Sur le plan extérieur, nous retrouvons, comme dans tous les pays arabes, l'impérialisme américain et européen qui sont farouchement contre tout changement aussi minime soit-il. Car le processus de changement en cours est fondamentalement en contradiction avec l'immobilisme et le statu quo garants de leurs intérêts. Face à ce bloc réactionnaire se dresse l'ensemble des couches populaires et même la classe moyenne laminée par la mondialisation capitaliste. Les jeunes issus de ces deux classes dont une bonne partie d'entre eux souffrent du chômage ou survivent avec des petits boulots, sont à la pointe de la contestation. Leur maîtrise de la technologie de l'information et de la communication les a aidés à dépasser l'idéologie dominante véhiculée notamment par les grands médias au service du pouvoir.
En Égypte, la contre-révolution est menée par la bourgeoisie (avec toutes ses fractions civiles, militaires, religieuses etc.) et les grands propriétaires terriens. Ces deux composantes de la réaction sont intimement liées à l'impérialisme américain et ses institutions internationales comme le FMI, La Banque mondiale etc. La contre-révolution ne cherche pas à « ressusciter » l'ancien régime qui a fait son temps, mais à limiter l'ampleur des changements démocratiques et surtout détourner les objectifs de la révolution pour sauvegarder ses propres intérêts. Ce bloc réactionnaire utilise non seulement l'État et son appareil, mais également les organisations politiques notamment la confrérie des Frères musulmans pour atteindre ses objectifs. Rappelons que ce courant politique conservateur était le dernier à rejoindre le soulèvement populaire et le premier à le quitter pour aller « dialoguer » avec le vice-président Omar Souleiman qui, dans une ultime tentative de sauver le régime de Moubarak, avait appelé au dialogue national. La révolution égyptienne du 25 janvier est démocratique et non religieuse.
Les États-Unis peuvent jouer la carte des Frères musulmans pour éviter une Égypte démocratique qui remettrait en cause les intérêts de l'impérialisme et d'Israël dans la région.
L'Administration Obama ne se contente pas seulement de déverser directement des milliards de dollars sur le nouveau pouvoir égyptien pour le maintenir dans sa dépendance, mais elle utilise également le FMI, ennemi de tous les peuples, pour ancrer l'économie égyptienne dans le libéralisme à travers ses programmes d'ajustement structurel (PAS) condition essentielle de sa dépendance vis à vis de la mondialisation capitaliste. C'est ce qui explique cette précipitation du FMI à accorder 3 milliards de dollars début juin 2011 au gouvernement égyptien. Les monarchies du Golfe, qui jouent le rôle de la contre-révolution dans le monde arabe, ne sont pas en reste. L'Arabie Saoudite et le Qatar veulent également « aider » au redressement de l'économie égyptienne en investissant 14 milliards de dollars notamment dans le secteur de la presse pour mieux contrôler les médias égyptiens et propager leur idéologie réactionnaire. Au sommet du G8 à Deauville, les dirigeants ont évoqué un « partenariat durable » avec les nouveaux régimes tunisien et égyptien.
Conscient des dangers qui guettent la révolution, le peuple d'Égypte descend régulièrement dans la rue pour rappeler au Conseil suprême des forces armées(CSFA), qui dirige la transition, et à la contre-révolution, son attachement aux objectifs de la révolution et qu'il est prêt à se mobiliser massivement à nouveau pour les réaliser.
Ainsi une immense manifestation a réuni plusieurs millions d'égyptiens dans tout le pays le vendredi 27 mai. Le 8 juillet 2011, les jeunes révolutionnaires appellent les citoyens à manifester massivement « pour protéger la révolution ». Le combat du peuple égyptien pour la démocratie et la justice sociale est un combat permanent.
En Tunisie, d'où est partie l'étincelle qui a embrasé tout le monde arabe (8), la contre-révolution est partout. Car si la tête du régime est tombée, son corps est toujours là. Les figures familières de l'ancien régime sont omniprésentes, à commencer par Fouad Mebazaâ l'actuel président par intérim de la Tunisie. Les difficultés économiques constituent un obstacle de taille que la contre-révolution n'hésitera pas à exploiter, d'une manière ou d'une autre, pour briser la jeune révolution tunisienne. C'est aussi un prétexte supplémentaire pour les États-Unis et la France en collaboration avec la bourgeoisie locale d' enfermer la Tunisie dans des stratégies économiques ultra-libérales à travers notamment les prêts du FMI et de la Banque mondiale.
Mais le véritable danger qui guette la révolution tunisienne, et toutes les révolutions en général, est la déception des classes populaires qui voulaient révolutionner leur condition d'existence, et qui constatent que celles-ci n'ont pratiquement pas changé. Elles avaient mis tout leur espoir dans la révolution. Les chômeurs, qui se comptent par centaines de milliers, sont déçus. Beaucoup d'entre eux, tentés par une vie meilleure en Europe (qui les expulse sans scrupules), quittent la Tunisie. Les mesures prises par le gouvernement (allocations versées aux familles pauvres, titularisation d'une partie des précaires dans la fonction publique, subventions des produits de première nécessité, politique de réinsertion des jeunes diplômés à travers le programme Amal etc.) sont peu visibles, car sans effet réel sur les plus démunis. Trotsky avait raison lorsqu'il a écrit en 1926 que « La désillusion d'une partie considérable des masses opprimées dans les acquis immédiats de la révolution et le déclin de l'énergie et de l'activité révolutionnaire de classe engendre un regain de confiance parmi les classes contre-révolutionnaires » (9).
La révolution et la contre-révolution dans le monde arabe sont le produit de la lutte des classes. Ce sont les conditions matérielles d'existence inhumaines de larges fractions des couches populaires qui ont produit ces soulèvements. Le refus de la démocratie et la résistance à tout changement des bourgeoisies locales et de l'impérialisme, responsables de décennies entières d'exploitation et d'humiliation, montrent que la révolution est un combat de longue haleine. Mais la contre-révolution a également ses propres limites. Les États-Unis sont empêtrés dans une crise économique et financière dont ils n'arrivent pas à s'en sortir. La chambre des représentants a adopté le 13 juin 2011 un amendement interdisant d'utiliser les fonds pour financer l'intervention en Libye. Les États-Unis n'ont plus les moyens, comme il y a encore quelques années, de leurs ambitions. L'échec cuisant de leurs interventions en Irak et en Afghanistan sont des exemples de l'affaiblissement de l'impérialisme américain. L'Arabie Saoudite elle-même doit affronter le rejet du statu quo et la profonde aspiration au changement du peuple saoudien. Sur les réseaux sociaux, les jeunes s'expriment aussi et préparent l'avenir qui passera nécessairement par la contestation de la monarchie. La convergence des luttes des peuples du sud et du nord de la méditerranée peut ouvrir des perspectives plus lumineuses. Et comme l'écrivait le romancier et journaliste yéménite Ahmad Zein dans sa lettre à Mohamed Bouazizi :
« Plus rien n'est impossible depuis que tu as ouvert la route avec ton corps qui continue de brûler comme une torche de lumière dans l'esprit des peuples ».
Mohamed Belaali
balaali.over-blog.com
(1) Voir « Répression et résistance à Bahreïn » balaali.over-blog.com(2) nytimes.com
(6) Des centaines d'hommes et de femmes notamment des travailleurs africains meurent également en méditerranée en tentant de fuir la Libye. Le Gisti va déposer plainte contre l'OTAN, l'Union européenne et les pays de la coalition en opération en Libye. gisti.org
Voir également le témoignage de Donatella Rovera conseillère spéciale d'Amnesty International qui accuse les « rebelles libyens » de commettre des crimes contre les migrants africains, Le Monde du 24 juin 2011 page 5.