K. Selim - Le Quotidien d'Oran
Les Bahreïnis, comme les Syriens, les Égyptiens ou les Tunisiens, sont des êtres humains. Qu'ils soient chiites, sunnites, agnostiques ou athées, ce sont incontestablement des êtres humains.
Et quand ils demandent, comme les Syriens, les Égyptiens ou les Tunisiens, d'être reconnus comme des hommes et d'avoir le statut de citoyens, cela n'en fait pas des envieux, des perturbateurs de « paradis », des assoiffés de pouvoir qui feraient preuve d'une coupable ingratitude à l'égard d'un suzerain qui les aurait trop bien nourris.
Pourquoi marteler des évidences élémentaires, flagrantes ? Parce qu'un écrivain algérien, récemment en visite dans ce pays à la manière d'un froufroutant « philosophe » français, nous assène doctement ce qu'il faut penser de Bahreïn, de la grande mansuétude de son sultan éclairé et de la fourberie de la majorité de son peuple, qui se pique d'exister aussi comme l'exigent les Syriens, les Égyptiens et les Tunisiens.
Mais pourtant, à Bahreïn aussi, et autant qu'ailleurs, l'enjeu est la liberté. Nul besoin d'aller à Manama pour trouver les réponses à des questions universelles. Pourquoi des femmes et des hommes se soulèvent-ils contre un ordre donné ? Ils peuvent, bien sûr, le faire pour protester contre la misère qu'ils subissent, l'injustice dans la répartition des richesses...
C'est connu et la littérature mondiale abonde de récits sur les révoltes légitimes des peuples et des individus contre les tyrannies, les ploutocrates, les oligarques et autres exploiteurs. La littérature a fait de ces combats sociaux pour une vie décente, une vie vraiment humaine, un élément du patrimoine universel et a contribué à son irrévocable légitimité. Mais la littérature nous raconte également que des peuples sans graves problèmes économiques et que des individus plutôt aisés se sont également battus pour la liberté, pour le droit de s'organiser et de désigner des gouvernants représentatifs. Ces révoltes et ces combats aux motivations diverses sont aujourd'hui consignés de manière assez consensuelle dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Vivre dans un pays riche ou pauvre n'est pas une raison de renoncer à la liberté, à la citoyenneté et aux droits fondamentaux. Les discours de la « démocratie spécifique » - si tant est qu'ils aient fait illusion quelque part - sont désormais totalement balayés par les peuples. Il s'agit d'une escroquerie intellectuelle qui tord le cou à la dialectique pour justifier les dictatures.
Est-il besoin de spécifier de surcroît que Bahreïn n'a rien d'un paradis social qui pousserait un peuple rassasié à se révolter par oisiveté ? Les inégalités sont criantes, la pauvreté est très présente au sein de la majorité, chiite, de la population, que l'on accuse systématiquement d'être inféodée à l'Iran. Et dans ce pays, une insidieuse opération de modification de la démographie de la population est menée avec des naturalisations en masse de « sunnites » syriens, yéménites, jordaniens...
Que des Bahreïnis aient leur mot à dire et exigent des réformes et une citoyenneté authentique n'est ni une hérésie, ni une lubie de désuvrés qui « s'amuseraient » à faire la révolution. La répression à Bahreïn est brutale ; combattre pour la liberté y est un engagement très sérieux. On peut même dire que Bahreïn, comme le reste des pays arabes, combine aussi bien les raisons économiques que politiques et morales pour une contestation politique légitime.
Mais a-t-on besoin d'un autre argument que celui de l'évidence : les Bahreïnis sont des femmes et des hommes comme les autres, et tout comme les autres, ils sont fondés à réclamer leur droit inaliénable à la liberté et celui de choisir leurs dirigeants. Même dans un présumé paradis, la liberté est une exigence qui atteste de l'humanité d'une société et fonde celle d'un individu.
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