Francesco PICCIONI
« Tant qu'il y a du butin il y a de l'espoir », titrait hier matin (lundi 22 août 2011, NdT) un site pour expliquer le cours des bourses à la nouvelle de la conquête (très rapidement annoncée, NdT) de Tripoli. Et le butin libyen, en effet, est riche. Cette journée qui, une fois de plus, avait mal commencé sur les places asiatiques et sur celles européennes, changeait maintenant de signe grâce aux photos des rebelles en fête. Et dire que les nouvelles économiques étaient plutôt déprimantes. L'OSCE signalait que dans le second trimestre 2011 le PIL des 30 pays les plus industrialisés - une tranche majeure de la production globale- n'a augmenté que de 0,2% contre 0,3% des trois premiers mois. C'est le quatrième trimestre consécutif de ralentissement de la croissance, le plus drastique ; une année de freinage qui n'annonce pas de « rebonds » à cour terme. Déprimant.
Mais il suffit de parcourir la liste des titres en hausse pour comprendre. Les énergétiques volaient (Eni, +6%) sur la vague des contrats pétrolifères (et de gaz) qu'on allait pouvoir signer avec ceux qui devront dire « merci » d'avoir été portés au pouvoir au son des bombardements. Les entreprises spécialisées en infrastructures (Ansaldo +5%) savaient qu'elles pourraient faire pareil pour reconstruire un pays détruit mais qui peut payer cash, ou éventuellement en barils sonnants et trébuchants. Hausse aussi chez les télécommunications, maintenant qu'on a mis au piquet le « vilain » qui était arrivé à doter l'Afrique de son propre satellite pour la téléphonie, en arrêtant ainsi de payer aux Français un prix anormal. Même Finmeccanica (1) était en hausse, « certaine qu'allaient être maintenus les contrats open interest (2) », mais un peu moins (1,38) parce que ce seront les armes français et les anglais qui se tailleront la part du lion dans la prochaine armée libyenne, « en réorganisation ».
Et voilà le véritable sujet. Dans le match de la « reconstruction » et des contrats, l'Italie se place dans une bande périphérique. Viennent d'abord, bien sûr, la France et la Grande-Bretagne, qui ont voulu l'intervention au point de « plier » les Etats-Unis et l'ONU. Puis il y aura les pétromonarchies du Golfe, enfin délivrées du « chien fou », et sponsors du premier jour des « rebelles de Benghazi » (c'est au Qatar qu'est parti le premier bateau qui apportait du pétrole brut libyen). Voilà aussi pourquoi, cet après-midi, les gains généraux dégonflaient, mais pas seulement en Italie.
La proie libyenne, dans le fond, ne peut pas suffire à tous les charognards qui tournent sous nos cieux. Notre bourse, dans le fond, est une bourse périphérique. Très « spéculative », parce que dominée par des titres bancaires, d'assurances, « à participation d'Etat ». Les autres réagissaient -mal- aux très mauvaises nouvelles arrivant des USA. Comme l'augmentation des crédits immobiliers impayés (signe de crise du revenu, entre licenciements et impossibilités de trouver un nouvel emploi à la hauteur du premier). Mais surtout devant le grand coup de froid qui s'est abattu sur les espoirs d'une quantitative easing 3. Expliquons-nous. Vendredi prochain, à Jackson Hole, vont se rencontrer les présidents des banques centrales d'Occident. L'an dernier, au même endroit, Ben Bernanke -président de la Federal Reserve, la banque centrale étasunienne- annonça une phase de quantitative easing 2 : c'est-à-dire une seconde vague de financements publics du système financier privé. Le malheur veut qu'hier justement aient été publiés les montants des « deux premières phases » : 1.200 milliards de dollars (8% du PIB étasunien). Morgan Stanley - si prodigue d'études et « conseils » aux gouvernements - a reçu 107,3 milliards ; Citigroup (obscène ensemble d'intérêts étasuniens et saoudiens) 99,5 ; Bank of America (le nom se suffit à lui-même) 91,4. Mais les Anglo-saxons européens non plus n'ont pas eu à se plaindre : Royal Bank of Scotland, 84,5 milliards, et la Suisse UBS, 77,2.
Il résulte d'une étude du FMI (dont on est arrivé à débarquer le directeur pour le remplacer par cette bonne Lagarde, NdT) - donc « impartial » - que « certaines banques aient utilisé les fonds de la Fed non pas pour éviter la faillite mais pour maximaliser leurs profits ».
Quand on vous dit que vous devez partir à la retraite après votre mort, vous comprenez ?
Alberto Piccioni
Edition de mardi 23 août de il manifesto
ilmanifesto.it
Traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio