Par Youssef Girard
Depuis le mois de janvier 2011, la nation arabe est en pleine effervescence révolutionnaire. Manifestations, affrontements, grèves ou chutes de régime, pas une semaine ne s'écoule sans nouvelles actions visant à bouleverser l'ordre établi. Du Maroc au Bahreïn, de l'Egypte au Yémen, de la Tunisie à la Jordanie, de la Libye à la Syrie, la nation arabe fait éclater toutes les contradictions qui la traversent.
Tunisie : les révolutionnaires brulent le drapeau de l'entité sioniste
Cependant, cette effervescence révolutionnaire pose nombre de questions notamment concernant le rôle joué par les forces sociales et politiques internes aux pays arabes et par rapport à l'implication des puissances occidentales et de leurs alliés régionaux dans ce processus de recomposition politique de la nation arabe ?
Face à cette double question, les réponses sont souvent unilatérales et ne distinguent pas clairement les dynamiques propres à chaque pays. Deux types d'analyses globales diamétralement opposés s'affrontent souvent. Un premier type d'analyses ne voit dans les révolutions arabes qu'une manipulation de l'Occident impérialiste visant à étendre son hégémonie sur l'ensemble de la nation arabe en façonnant de nouveaux régimes « démocratiques » à sa solde. Un deuxième type d'analyses perçoit ces révolutions uniquement comme des mobilisations populaires libératrices qui visent à remettre en cause des régimes autoritaires et les intérêts de l'Occident impérialiste.
Les tenants du premier type d'analyses mettent principalement en avant le rôle important des états-majors des armées dans les révolutions tunisienne et égyptienne. Ils mettent aussi en avant la différence de traitement entre le Bahreïn, où les auxiliaires de l'Occident ont maté une révolution remettant en cause les intérêts des occidentaux et de leurs alliés, et la Libye, où les occidentaux sont intervenus militairement pour défendre et aider les « insurgés ». Dans ce cadre, le rôle ambigu de la chaine qatarie al-Jazeera est souvent souligné.
Les tenants du deuxième type d'analyses voient dans la capacité de la population à se mobiliser contre des régimes autoritaires le facteur décisif ayant permis l'éclatement du processus révolutionnaire. Ils mettent principalement en avant le rôle décisif joué par les forces sociales - partis politiques d'opposition, syndicats ou associations de défense des droits de l'homme - dans les différentes révolutions arabes.
Ces deux grands types d'explications ne permettent pas véritablement de distinguer les processus à l'oeuvre dans les différents pays arabes. Multidimensionnels et contradictoires, ces processus ne peuvent pas être confondus et rangés à la même enseigne. Il est nécessaire d'établir des critères discriminants afin de distinguer clairement une révolution authentique d'une trahison caractérisée. Cela est d'autant plus nécessaire que le discours occidental entretient savamment le flou sur les processus à l'oeuvre dans le monde arabe.
L'un de ces critères discriminants fondamentaux se rapporte aux relations que les différentes révolutions et leurs dirigeants se proposent d'établir ou de rompre avec l'entité sioniste.
En Tunisie suite à la révolution, la commission de réforme politique a adopté, en juillet dernier, un « pacte républicain » affirmant notamment refuser « toute forme de normalisation avec l'Etat sioniste ». Dans le même temps, la Tunisie nouvelle y affirmait son soutien à la cause palestinienne. Au cours des discussions, le mouvement Ennahdha avait insisté sur le caractère essentiel de l'inclusion de cette motion dans le « pacte républicain », tandis que d'autres ne la jugeaient pas nécessaire (1).
Suite à son succès aux élections du 23 octobre 2011, Ennahdha a réaffirmé son refus de « toute forme de normalisation avec l'Etat sioniste » en s'engageant à fermer le bureau de contact avec « Israël » qui avait été ouvert durant le règne de Ben Ali. Dirigeant d'Ennahdha, al-Mounsel Ben Salem a affirmé que le futur gouvernement allait stopper l'importation des marchandises « israéliennes » en Tunisie (2).
La chute de Moubarak et la poursuite du processus révolutionnaire remettent directement en cause les « relations » entre l'Egypte et l'entité sioniste. L'attaque par des manifestants égyptiens de l'ambassade d'« Israël » au Caire, dans la nuit du 9 au 10 septembre 2011, marque clairement cette remise en cause de ces « relations » entretenues avec l'entité sioniste depuis la capitulation d'Anouar el-Sadate à camp David en septembre 1978. A la suite de l'attaque, l'entité sioniste a été contrainte de rappeler son ambassadeur au Caire. La poursuite du processus révolutionnaire en Egypte entrainera très certainement une rupture définitive des « relations » avec l'entité sioniste et la remise en cause de tous les « accords » passés.
En Libye la situation est toute autre. Après l'exécution extrajudiciaire du colonel Kadhafi, le CNT (Conseil national de transition libyen) serait prêt à reconnaître « Israël » et à établir des relations diplomatiques avec l'entité sioniste. L'heure serait à l'échange d'ambassadeurs entre les deux Etats. « Israélien » d'origine arabe - druze -, Raslan Abu Rukun serait pressenti pour remplir cette mission à Tripoli. Parrain et bénéficiaire de cette nouvelle alliance, le Qatar aurait pour fonction d'améliorer l'image de l'entité sioniste dans l'ensemble du monde arabe et singulièrement en Libye (3). Quid de l'action de la chaine qatarie al-Jazeera dans cette opération promotionnelle ?
Après les révolutions tunisienne et égyptienne, la nouvelle alliance de la Libye du CNT et de l'entité sioniste sera un moyen de faire pression sur l'Egypte et la Tunisie afin de préserver la domination occidentale et sioniste sur la nation arabe. Evaluer un processus politique dans le monde arabe à l'aune des relations que ses dirigeants et ses porte-paroles se proposent d'établir ou de rompre avec l'entité sioniste reste le plus sûr critère permettant de faire une distinction claire entre une révolution authentique et une trahison caractérisée.
(1) « Tunisie : adoption d'un "pacte républicain" comme base de la future Constitution », Jeune Afrique.
(2) « Tunisie : Ennahda va fermer le bureau de contact avec Israël », Atlas Info.
(3) « Accélérer les inévitables relations israélo-libyennes », Oumma.com.