Les indignés s'apprêtent à occuper La Défense, le quartier d'affaires à l'Ouest de Paris. Mercredi soir, 19h, une trentaine de partisans se sont rassemblés boulevard Richard Lenoir, à deux pas de Bastille dans le XIIe arrondissement de Paris. Objectif : préparer l'occupation de ce week-end. "Nous avons l'autorisation de la préfecture pour vendredi entre 17 et 21h" s'exclame l'un des militants à l'adresse de son auditoire, plus ou moins en cercle, plus ou moins silencieux, plus ou moins nombreux.
Parmi la trentaine de participants à la réunion nocturne, des jeunes surtout, mais aussi des personnes plus âgées, des femmes et des hommes de tous horizons, venus de quartiers branchés et d'abris de fortune. Nico, la trentaine, est l'un des organisateurs, un coordinateur plus qu'un donneur d'ordre dans cette structure horizontale où les décisions sont prises par consensus :
Plusieurs collectifs sont à l'origine de cet appel : Acampada Paris, les Indignés, démocratie réelle et Occupy France notamment. Nous sommes rejoints par des activistes, d'anciens militants déçus et des nouveaux militants conquis par le mouvement indigné.
Ils ont reçu le soutien enthousiaste de l'économiste Frédéric Lordon, ainsi que celui de l'ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique Maurice Lemoine, affirme-t-il.
En revanche, ils n'ont pas approché de figures politiques. "Nous ne sommes pas apolitiques, mais nous sommes apartisants" résume Nico. Certains syndicats, notamment lycéens et étudiants, les rejoindront, de même que les jeunes communistes et Attac. Mais ils sont priés de déposer les drapeaux avant d'arriver sur le camp.
Ensemble spontané
Nico raconte avoir milité dans des syndicats étudiants et au sein de Parti communiste. Mais il trouve chez les indignés une structure moins lourde, plus efficace. Greg, 27 ans, s'occupe de la commission juridique et milite ailleurs "pour les droits de l'Homme" et à Uncut, là aussi "un ensemble spontané d'actions concrètes non-violentes". Quand il présente les travaux de la commission juridique, Catherine, la cinquantaine, l'interpelle vivement :
On est à deux jours de l'occupation et on en sait pas plus ? Ca va pas du tout !
S'en suit une discussion animée, puis un dialogue plus posé entre les deux interlocuteurs. Catherine est blogueuse et travaille pour un institut de sondage, "en contrat précaire" précise-t-elle. Quand elle a vu le succès d' Occupy Wall Street, elle s'est rapprochée des indignés en France, mais elle reste avant tout une cyber-activiste "sans hacking, juste en diffusant de l'info". Et une franc-tireur, sans carte dans aucune organisation. Le mouvement, "sans assemblée générale interminable", l'a séduite. Elle aide à rédiger deux documents de la commission juridique : l'un reprenant in extenso les aspects juridiques, l'autre résumant les points principaux que les participants doivent connaître en cas d'arrestation.
Les indignés ont bien l'intention de prolonger leur occupation au-delà de vendredi soir à 21h, soit après l'échéance de l'autorisation préfectorale. Tous se demandent comment réagiront les forces de l'ordre. "En mai, la répression avait été très forte. La police voulait faire peur et empêcher le mouvement de prendre" raconte Nico. Les rassemblements à Bastille se confrontaient systématiquement à un fort déploiement policier, les marches de l'Opéra qui donnent sur la place étaient fermées par un cordon de forces de l'ordre. "Cette fois nous allons essayer de tenir, il faut avoir un maximum de temps" ajoute-t-il. Les indignés seront rejoints le lendemain, samedi, par les militants partis à Cannes pour le contre-sommet du G20.
Créer
Pour tenir, les indignés misent sur l'organisation du camp. D'abord en recrutant du monde. 129 personnes avaient déjà confirmé leur intention ferme de camper. Entre 1000 et 3000 personnes sont attendues pour le moment. Ils attendent aussi des soutiens venus de Berlin et de Grande-Bretagne, sans compter les régions en France. Les militants se sont mis d'accord pour tracter devant les lycées et les universités d'ici vendredi soir. L'assemblée a aussi mis l'accent sur la communication via les réseaux sociaux :
Créez des éléments de communication : des articles, des visuels etc. Utilisez autant possible le hastag #occuponsladéfense dans vos tweets et ouvrez des comptes Twitter ceux qui n'en ont pas.
Une organisation qui passe ensuite par la maîtrise de la vie sur le camp. En fin de rassemblement, une jeune femme prend la parole : "Ce serait bien de limiter l'alcool pour éviter la violence etc." Face aux risques de violence policière, Greg, de la commission juridique, est chargé du "copwatching". Plusieurs personnes filmeront les interventions de la police et d'autres filmeront ceux qui filment. "Nous voulons diffuser ces images en direct sur le campement" espère Greg qui craint la réaction de la police.
La vie du camp sera enfin animée par des ateliers de création de visuels, mais pas seulement. Pièces de théâtre et musique live sont au programme. "Les passants viendront plus facilement si on propose des activités. Et une fois que les familles sont là, la tâche est plus difficile pour la police. Ils ne pourront pas nous déloger brutalement" estime Nico.
Etienne, étudiant en cinéma de 28 ans, attend beaucoup de ces espaces de créativité. Il assistait pour la première fois mercredi à une assemblée générale des indignés. Vendredi sera pour lui l'occasion de mettre en place un projet de "cinéma immédiat" : filmer et projeter en direct, travailler sur le présent. Il résume :
Le présent, c'est la seule chose qu'on ne peut pas nous prendre.
Photos via FlickR CC [by] et [by-nc] empanada_paris ---