Par Alex Lantier
Hier matin, les dirigeants de l'Allemagne, de la France, de la Russie et de l'Ukraine ont conclu un accord de cessez-le-feu pour l'est de l'Ukraine obtenu après dix-sept heures de négociations dans la capitale biélorusse Minsk. Il est censé entrer en vigueur dimanche.
Les détails de l'accord restent cependant entourés de flou et ceux qui ont participé à sa formulation cherchent déjà à minimiser les attentes. Tandis que le porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel, Steffen Seibert, a écrit sur Twitter que l'accord « incite à l'espoir », le ministre allemand des Affaires étrangères a été moins enthousiaste. « Pour certains cela ne sera pas suffisant. Nous voulions aussi obtenir plus. Mais c'est tout ce sur quoi le président ukrainien et le président russe ont pu se mettre d'accord cette nuit, » a-t-il déclaré.
« Nous avons réussi à nous mettre d'accord sur les questions principales » a commenté le président russe Wladimir Poutine. « La prochaine chose très importante selon moi est le retrait des armes lourdes... et le retrait des milices du Donbass ». Par contraste, le président ukrainien Petro Poroshenko a dit aux journalistes, « la chose principale que nous avons obtenue est qu'à partir de la nuit de samedi à dimanche devrait être déclaré sans conditions quelles qu'elles soient, un cessez-le-feu général. » (souligné par nous)
Le président français François Hollande a dit qu'il restait beaucoup de travail à faire mais il a qualifié l'accord de chance d'améliorer la situation en Ukraine. Hollande et Merkel devaient demander à L'Union européenne de soutenir l'accord lors d'un sommet de l'UE plus tard dans la journée.
L'accord a été obtenu après que Washington a annoncé de nouveaux déploiements militaires dirigés contre la Russie en Europe de l'est et alors que les combats battaient leur plein dans l'est de l'Ukraine.
Le commandant de l'armée américaine en Europe, le lieutenant général Ben Hodges, a annoncé que 600 parachutistes du 173d Airborne Brigade Combat Team de Vicenza en Italie, seraient déployés à Lviv, en Ukraine, pour entraîner les bataillons de volontaires d'extrême-droite qui constituent la Garde nationale ukrainienne. « Nous les formerons dans le domaine de la sécurité, le domaine médical, dans la façon d'opérer dans un environnement où les Russes créent une situation de blocage, et dans la manière de se protéger de la Russie et de l'artillerie rebelle, » a dit Hodges.
Comme cela a été documenté par les groupes de défense des droits humains, les bataillons composés de volontaires combattant pour Kiev ont perpétré des atrocités en Ukraine de l'Est, dont des meurtres de civils.
L'armée de l'air américaine a aussi annoncé hier qu'elle déploierait une dizaine d'avions de chasse A-10 et 300 membres de personnel aérien à la base de Spangdahlem en Allemagne.
Afin d'exercer le maximum de pression sur la Russie, Washington menace toujours de vouloir directement armer le régime de Kiev contre les forces soutenues par la Russie dans l'est de l'Ukraine - une stratégie dont les responsables de l'OTAN ont dit qu'elle pouvait mener à une guerre entre l'OTAN et la Russie. Obama a confirmé le 9 février que la Maison Blanche envisageait d'armer Kiev. Le lendemain, un groupe bipartisan de députés de la Chambre des représentants a présenté une loi qui mettrait à la disposition de Kiev des armes létales à hauteur de 1 milliard de dollars.
Des pays européens, dont la Grande-Bretagne et la Pologne, ont eux aussi indiqué qu'ils pourraient livrer des armes au régime de Kiev.
Les Etats-Unis considèrent la guerre civile en Ukraine, déclenchée par le coup d'Etat d'il y a un an à Kiev, appuyé par les Etats-Unis et l'OTAN, comme partie intégrante d'une stratégie dont l'ultime objectif est de réduire la Russie au statut de semi colonie. Les stratèges militaires et les spécialistes en politique étrangère estiment qu'une guerre sanglante et ruineuse de la Russie en Ukraine, associée à des guerres ethniques menées ailleurs en Russie ou dans l'ancienne URSS par des combattants islamistes associés aux Etats-Unis, pourrait ébranler l'armée russe.
Le Financial Times a écrit que le fait d'empêtrer la Russie dans le bourbier « d'une longue et vaste guerre [en Ukraine] la rendrait plus vulnérable sur d'autres flancs, comme le Nord-Caucase et l'Asie centrale rebelles. » Si ces conflits s'embrasaient, a dit un expert militaire au journal, « il n'y aura tout simplement pas assez de soldats russes pour mener une guerre d'usure en Ukraine. »
Durant la négociation du 11 février, la délégation ukrainienne a demandé que les forces séparatistes abandonnent les armes russes, le contrôle de postes sur la frontière avec la Russie et les gains territoriaux ayant résulté de leurs combats avec les forces de Kiev depuis l'ancien accord de Minsk en septembre dernier. Si elle considère une « autonomie » pour l'Est ukrainien, elle rejette l'exigence de la Russie que Kiev mette fin au blocage financier de l'est de l'Ukraine où le financement des retraites et des programmes d'Etat a été arrêté par Kiev.
La délégation russe a elle, proposé une ligne de démarcation plus rapprochée de l'actuelle ligne de front. Elle a contesté que la Russie dispose de troupes et d'équipement militaire en Ukraine de l'est.
Comme le montre clairement l'attitude de Washington l'impérialisme américain est en train de pousser à l'escalade du conflit même si un accord était finalement conclu à Minsk; il garanti pratiquement par là que tout accord deviendra nul, à l'image de l'accord de cessez-le-feu signé à Minsk en septembre dernier. Ce dernier avait échoué en l'espace de quelques semaines dû aux combats pour le contrôle de Donetsk, le centre de la région du Donbass tenue par les rebelles.
Alors même que les pourparlers débutaient à Minsk, les combats faisaient rage hier en Ukraine de l'est. Le régime de Kiev a rapporté que 19 de ses soldats ont été tués au cours de combats près du nœud ferroviaire stratégique de Debaltseve et que les forces séparatistes tiennent en grande partie encerclé. A Donetsk, l'hôpital numéro 20 a été touché par un obus, tuant une personne et forçant l'évacuation de plusieurs patients.
Les deux camps se préparent à une escalade plus générale. Alors que les responsables de la République populaire séparatiste de Donetsk ont annoncé préparer la mobilisation de 100.000 hommes pour combattre dans leur armée, Porochenko a annoncé la conscription de 75.000 hommes.
Il existe une opposition grandissante dans la population de l'ouest de Ukraine à la politique militaire et économique du régime de Kiev. Alors que s'aggravent l'effondrement de l'économie et le bilan des victimes des combats à l'Est, la résistance est en train de croître contre l'enrôlement ordonné par Porochenko et sa politique de la confrontation avec la Russie.
« Ici, du moins, la mobilisation est un échec total, » a dit au Guardian Iryna Vereshchuk, la maire de la petite ville de Rava-Ruska en Ukraine occidentale. Elle a dit que sur 100 convocations à distribuer dans le cadre de l'enrôlement, six seulement ont pu être délivrées. Les autres hommes étaient soit en fuite soit manquaient à l'appel.
« Nous entretenons toujours des liens diplomatiques et financiers avec la Russie et, en dépit de cela, les gens disent que nous devons aller combattre contre leurs troupes et mourir, » a-t-elle ajouté. « Si notre région devenait la cible d'attaques, les gens prendraient les armes mais ils ne sont pas prêts à aller à l'Est pour y tuer d'autres citoyens ukrainiens. »
Les mineurs de charbon qui ont perdu leur travail suite à la suspension des subventions par le régime de Kiev ont organisé des manifestations à Kiev. Les responsables du régime insistent pour dire que rien ne sera fait pour faire face à l'escalade de la crise sociale à laquelle est confrontée la population ukrainienne.
« Presque tous les secteurs de l'économie subiront cette année des licenciements à une échelle plus ou moins grande, » a dit Oleksandr Zholud, économiste du Centre international d'études politiques de Kiev. Il a dit s'attendre à une réduction significative des salaires et à des exigences que les travailleurs acceptent de prendre des vacances impayées jusqu'à ce que l'économie s'améliore.
« Un poste unique à pourvoir attire actuellement entre 30 et 35 postulants, » a dit le ministre à la Politique sociale, Pavlo Rozenko, qui a déclaré qu'une critique de l'augmentation du chômage en Ukraine était illégitime. « Les prévisions d'un avenir sombre pour l'Ukraine sont dénuées de fondement et se basent sur les critiques d'opposants et de ceux qui ne s'intéressent pas à des réformes de grande envergure. Beaucoup de gens perdront leurs emplois et leurs salaires mais nous n'avons pas le choix, » a-t-il déclaré.
Le régime de Kiev menace d'imposer une dictature militaire. « Moi, le gouvernement et le parlement sommes prêts à prendre la décision d'instaurer la loi martiale dans tous les territoires de l'Ukraine, » a déclaré Porochenko durant une réunion gouvernementale.
« La loi martiale signifierait de nombreuses restrictions, dont celle de la liberté d'expression, des libertés démocratiques dont les conséquences seront très nombreuses. Ce serait un transfert total du pays sur la voie militaire, » a déclaré Igor Lapin, député et membre du bataillon ukrainien fasciste « Aïdar ».
Alex Lantier
Article original paru le 12 février 2015