Michel TAUPIN
Chacun connaît cette célèbre réplique du Prince Salina dans Le Guépard : "Il nous faut tout changer pour que rien ne change". Eh bien c'est à cela que s'attachent aujourd'hui les maîtres du monde capitaliste.
La pandémie, sans être une aubaine, est l'évènement mondial qui tombe à pic pour mettre en œuvre cette doctrine. Macron a déjà annoncé qu'il faudra changer son fusil d'épaule. En effet, ses discours apparemment favorables à une nouvelle vision de certains services publics comme celui de la santé, en les "sortant du champ du marché", sont venus intégrer sa démarche communicante, poussé par l'indignation de tout un peuple face à une gestion de la pandémie que celui-ci juge calamiteuse.
Mais l'est-elle vraiment, calamiteuse ?
Oui, si nous estimons que "l'hôpital public a subi des réductions budgétaires depuis des années, et qu'aujourd'hui l'austérité tue".
Oui si nous pensons que le gouvernement n'a rien fait pour préserver la population, en ne fournissant ni masques, ni réactifs pour des tests systématiques, en n'injectant pas d'argent supplémentaire dans les structures hospitalières sursaturées, en n'embauchant pas massivement de personnel soignant, en écartant à priori toute alternative de thérapie susceptible de soigner la maladie, bref en se désintéressant du sort de son peuple face à la pandémie.
Mais non, si nous prenons le point de vue du gouvernement. Car il a choisi une autre stratégie : l'immunisation naturelle ! C'est-à-dire laisser contaminer l'ensemble de la population par le virus avec pour conséquences, la mort de milliers de personnes et l'immunisation pour tous ceux qui en auront réchappé. Et il l'a choisie aussi parce qu'il savait ne pas pouvoir prendre en charge la population faute de moyens humains et matériels, du fait même qu'ils avaient, lui et ses prédécesseurs, terriblement saccagé le service public de santé. C'est clair, cette stratégie non avouée est la pire pour les êtres humains, la plus barbare, mais elle a l'avantage aux yeux des tenants de la finance qui ont un coffre-fort à la place du cœur, de préserver l'essentiel pour eux : l'économie et les profits des entreprises du CAC40 et du second marché. Pas la vie ! De toute façon, eux, seront à l'abri.
Ainsi le gouvernement a-t-il persévéré dans cette voie en ne commandant aucun masque, en restreignant les tests à la seule "élite", en n'ouvrant aucun lit supplémentaire, en acceptant que le corps médical soit contaminé, en communiquant sur des "ne vous inquiétez pas, on maîtrise la situation", "Faites-nous confiance, on gère", etc..., en saturant les médias de prétendus spécialistes pour nous expliquer que ce n'était qu'une "grippette" ou comment se laver les mains, bref en nous infantilisant et en nous trompant sur la gravité et l'étendue du mal.
Bien sûr, au fur et à mesure que les protestations se sont élevées aussi bien du peuple que des soignants et de nombreux scientifiques, qui ne sont pas tous des moutons, le gouvernement a dû adapter sa stratégie. Il ne fallait surtout pas apparaître cruel et cynique aux yeux de son peuple et du monde. Alors il a commencé à décréter le confinement tout en tolérant plus ou moins les sorties. Puis il a serré la vis : confinement total sinon c'est la matraque. Et la matraque est tombée : des centaines de milliers de contraventions pour sorties abusives ! A croire que tous ces français "indisciplinés" serviront plus tard de prétexte au gouvernement pour justifier le nombre de morts par coronavirus...
Pour ne pas avoir à changer sa stratégie et pour circonscrire la protestation qui commence à déborder les chiens de garde de la macronie et leurs maîtres, le gouvernement s'adapte : il recule, consent... provisoirement, fait mine d'écouter, entend d'une oreille, promet (ça ne coûte rien), mais surtout adapte son langage pour mieux nous enfumer. Comme à son habitude, il cherche à dissimuler ses vraies intentions, qui sont de préserver coûte que coûte, la loi des marchés et le libéralisme. Le gouvernement en arrive même à évoquer des nationalisations, ce qu'il est tout à fait capable de faire surtout dans des circonstances qui momentanément desservent sa doctrine. Le capitalisme, et c'est pour cela qu'il est redoutable, sait fort bien s'adapter en utilisant notamment, un vieux stratagème : nationaliser les pertes et privatiser les gains. Certains disent : "capitalisme pour les gains et communisme pour les pertes".
Si une vraie cacophonie s'exerce de la part de ses ministres, le gouvernement n'en garde pas moins sa ligne dure. Il ne cède sur rien ! Ni sur le dépistage systématique, ni sur le besoin manifeste de masques et de réactifs, ni sur la chloroquine qu'il décrie. Le confinement n'a pas réduit sa croisade anti-sociale. Il l'a au contraire poursuivie en restant toujours aussi sourd aux propositions de l'opposition. L'occasion est bien trop belle pour ne pas la saisir et restreindre plus encore les libertés.
Le déconfinement quant à lui, sera graduel, avec sans doute un dépistage massif à la clé, pour éviter le rebond dira Macron, mais surtout pour contenir les critiques qui ne manqueront pas de fuser. Il sera réalisé de telle manière que le peuple sera étroitement encadré et surveillé, et l'opposition bâillonnée pour un bon moment, libérant ainsi l'énergie du gouvernement pour poursuivre à marche forcée, son dépeçage des retraites et des services publics, avant l'été, tout en continuant à servir à la haute finance, des louches de caviar.
Quand viendra l'heure des bilans, Macron, sans vergogne, se prévaudra de son efficience et de son pragmatisme dans le traitement de la pandémie en mettant en avant que son gouvernement a fait le maximum pour réduire les conséquences mortelles de covid-19, tout en ayant assuré la continuité de l'activité économique du pays. Il sera le sauveur de la France puisque les résultats d'une autre stratégie ne pourront lui être opposés, faute d'avoir été tentée dans aucune des régions de France. Il fera renaître du fond de l'abîme où le peuple en colère les aura jetés, les concepts du libéralisme encore chauds et intacts, et les brandira comme de nouvelles idées épurées, débarrassées des scories qui ont tant irrité le bon peuple de France. Comme Eson, ces vieilles idées retrouveront une seconde jeunesse et seront repeintes aux couleurs de l'avenir.
C'est sûr, il y aura un avant et un après-coronavirus. Mais si nous, le peuple, ne réagissons pas suffisamment tôt, puissamment et uni, pour bouleverser ses plans, alors l'après de la macronie sera pavé des pires intentions, celles de berner, une fois de plus, un peuple trop heureux de sortir vivant de cette épreuve. Et qui consistera à limiter les libertés collectives et individuelles, à rétrécir la démocratie jusqu'à la bafouer, à accélérer le processus anti-social, à en finir avec les restes de solidarité qui animent encore la Sécurité Sociale d'Ambroise Croizat, à ne faire du citoyen qu'un vil consommateur taillable et corvéable à merci, et à gaver la cupidité des maîtres du jeu jamais rassasiés que sont les multinationales et la haute finance transnationale, au détriment des contribuables qui eux, ne peuvent échapper à l'impôt, et qui paieront encore une fois l'addition. Un recul de civilisation tel qu'il pourrait bien, par certains aspects, nous ramener 80 ans en arrière...
Soit tout changer pour ne rien changer.