Par Bruno Guigue
Deux millions de personnes manifestent aux USA pour défendre les droits des femmes et protester contre l'élection du nouveau président. Comme on est aux Etats-Unis, les stars du show-bizz sont promues en porte-parole de ce vaste mouvement populaire. De loin la plus éloquente, Madonna a annoncé clairement la couleur. Cette manif, elle nous le dit, c'est celle du bien contre le mal. « Le bien n'a pas gagné à cette élection, mais le bien finira par l'emporter » a-t-elle déclaré, faisant allusion à l'élection présidentielle américaine. Coiffée d'un bonnet noir, elle a accueilli la foule par ces mots : « Êtes-vous prêts à secouer le monde ? Bienvenue à la révolution de l'amour! » (Les Inrocks, 22/01/2017).
Banco pour « la révolution de l'amour », bien sûr, mais quel est ce « bien », au juste, qui aurait perdu cette élection ? Vaincue le 8 novembre, Hillary Clinton en serait-elle l'incarnation ? Un ange blanc, cette secrétaire d'Etat qui planifia la destruction de la Libye, pays où la condition des femmes était la plus avancée du continent africain ? Un modèle de vertu féministe, cette criminelle de guerre qui ordonna le massacre de 30 000 Libyens, dont plusieurs milliers de femmes ? Une référence morale pour la lutte en faveur de l'égalité, cette politicienne corrompue qui reçut dix millions de dollars d'une monarchie obscurantiste où l'on décapite les femmes adultères ?
Le plus cocasse, c'est que les manifestantes de Washington, lorsqu'elles applaudissent Madonna à tout rompre, ne voient même pas que leur combat est détourné au profit de ceux pour qui la critique du nouveau président vaut quitus pour l'ancien. Deux millions de protestataires dans les grandes villes américaines ? Beau palmarès. Mais combien de victimes écrasées sous les bombes US dans les pays pauvres sous le président sortant? A chacun son record ! Avec une moyenne de 72 bombes par jour lancées sur sept pays, le Prix Nobel de la Guerre Barack Obama est champion hors catégorie.
Combien de manifestants des deux sexes, aux USA, contre l'enfer déchaîné en Libye ou contre la guerre par proxys djihadistes en Syrie ? Fort peu. Dans la gauche féministe américaine on pardonne plus facilement la dévastation d'un pays africain que des paroles salaces. On fait preuve d'une indulgence notable pour le bombardement meurtrier de populations civiles, mais on hurle d'indignation contre les propos graveleux d'un Donald Trump. On accuse le nouveau président de racisme, mais on ne trouve que des vertus à une secrétaire d'Etat qui a gloussé de plaisir devant le cadavre mutilé d'un chef d'Etat arabe en s'exclamant : « We came, we saw, he died ».
Cette échelle de valeurs, au fond, n'est pas nouvelle. Cette foule est ardente à se mobiliser pour ses droits individuels (parfaitement légitimes), mais elle se moque éperdument du sort des peuples victimes d'un impérialisme dont elle est complice. Peu importe qu'Obama et Clinton aient semé le chaos dans le reste du monde, le progressiste des deux sexes se met au service du capitalisme le plus rapace s'il pense que c'est dans son intérêt. Brailler dans les rues contre Trump-le-méchant, pour la pseudo-gauche, est un exercice qui a des vertus cathartiques. Il permet de se refaire une bonne conscience à moindres frais, sur le dos des autres, en se lavant des saletés accumulées d'une présidence indigne.
On dira évidemment que ce tableau est exagéré et qu'on y mélange tout, la lutte féministe et la politique étrangère. Mais c'est l'une des porte-parole du mouvement qui fait ce rapprochement, sans se rendre compte, peut-être, de l'énormité de ce qu'elle dit. Une fois de plus, écoutons les stars du show-bizz. « Nous continuerons à nous soulever jusqu'à ce que nos voix soient entendues, jusqu'à ce que la sécurité de la planète ne soit plus reportée, jusqu'à ce que nos bombes arrêtent de tomber sur d'autres terres, jusqu'à ce que notre dollar soit le même que le dollar des hommes ! » a scandé Alicia Keys.
Magnifique envolée ! Comment résister à un appel aussi vibrant ? Sauf que la jeune chanteuse fut l'une des supportrices les plus enthousiastes d'Hillary Clinton durant la campagne présidentielle, et qu'on aurait aimé l'entendre sur les bombardements sanglants ordonnés par son idole. Amnésie ? J'en doute. Bêtise, hypocrisie ? Un peu des deux, sans doute, mais on penchera plutôt pour la schizophrénie. Chez Alicia Keys, il faut croire qu'il y a un lobe du cerveau qui réprouve les bombardements et un autre qui les approuve lorsque les bombes sont made in USA.
Bruno Guigue
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