Par Will Morrow
27 avril 2019
Le gouvernement d'Emmanuel Macron lance une attaque de grande envergure contre les droits démocratiques et la liberté d'expression. Il s'apprête à poursuivre en justice les journalistes qui ont dénoncé la complicité de la France dans la guerre illégale de l'Arabie saoudite au Yémen. De surcroît, le gouvernement Macron cherche toujours à dissimuler l'affaire.
L'action du gouvernement fait suite à la publication d'un rapportage le 15 avril dernier par l'organisation journalistique Disclose, en partenariat avec The Intercept, Radio France, Mediapart, Arte Info et Konbini. Le reportage comprend un document de renseignement interne adressé au président et aux principaux ministres en septembre de l'année dernière avec des informations précises sur l'utilisation des armes françaises au Yémen. Cela prouve que les affirmations du gouvernement Macron selon lesquelles il n'avait aucune preuve que des armes françaises avaient été utilisées pendant la guerre, qui ont tué des dizaines de milliers de civils, étaient des mensonges.
Mercredi en fin d'après-midi, Disclose et ses partenaires ont publié une déclaration conjointe qui indique qu'hier le gouvernement a convoqué les cofondateurs de Disclose. Geoffrey Livolsi et Mathias Destal, ainsi que Benoit Collombat de Radio France, ont reçu des demandes de se présenter devant la police pour être interrogés au sujet des révélations.
«Nous avons pris connaissance qu'une enquête préliminaire pour "compromission de secrets de la défense nationale" a été ouverte par le Parquet de Paris», déclare-t-il. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI l'agence nationale de renseignement de l'intérieur) mène l'enquête.
Condamnant l'agression du gouvernement Macron contre une presse libre, la déclaration de Disclose note: «Les documents confidentiels révélés par Disclose et ses partenaires présentent un intérêt public majeur. Celui de porter à la connaissance des citoyens et de leurs représentants ce que le gouvernement a voulu dissimuler. Ils sensibilisent les citoyens et leurs représentants à ce que le gouvernement a cherché à dissimuler. À savoir des informations indispensables à la conduite d'un débat équilibré sur les contrats d'armement qui lient la France aux pays accusés de crimes de guerre.»
«Cette procédure contre des journalistes n'a d'autre objectif que de connaître leurs sources. En effet, cette convocation de la DGSI donne toute latitude éventuelle pour rechercher l'auteur principal du délit dont nous serions le receleur: les personnes ayant permis la divulgation d'informations d'intérêt public.»
«Soyons clair. Cette enquête de police est une atteinte à la liberté de la presse, qui suppose le secret des sources d'information des journalistes. Une atteinte d'autant plus grave que le pouvoir exécutif profit du "secret défense" pour étendre abusivement la notion de sauvegarde des intérêts de la nation à la question des transactions commerciales avec les pays en guerre...»
«À la question: "Les français ont-ils le droit d'être informés sut l'usage qui est fait des armes vendues à des pays accusés de crimes de guerre?", le gouvernement a donc choisi de répondre par des menaces.»
Une déclaration signée par 36 organes de presse française a condamné les actions du gouvernement, dont Le Monde et l'AFP. elle affirme que «les secrets de défense ne peuvent être opposés au droit à l'information qui est indispensable à un débat public digne, ou servir d'épée de Damoclès pour dissuader les journalistes d'enquêter et de publier.»
Le rapport de renseignements confidentiel qui a fait l'objet d'une fuite à Disclose s'intitule: «Yémen: Situation en matière de sécurité». Emmanuel Macron a reçu un exemplaire de ce document pour une réunion du Conseil de défense du 3 octobre 2018, dont assistait également le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et la ministre des armées, Florence Parly.»
Il fournit des informations détaillées sur l'emplacement des armes utilisées au Yémen. Il confirme que les pièces d'artillerie, des obusiers CAESAR, fournies par les Français étaient stationnées le long de la frontière entre le Yémen et l'Arabie saoudite. Leurs tourelles font face à des villes et villages habités par des centaines de milliers de personnes. Disclose déclare que les images satellites confirment que la coalition saoudienne a utilisé les pièces d'artillerie dans leurs offensives. Disclose déclare aussi que la coalition a également utilisé des chars français et des systèmes français de missiles guidés par laser pour bombardiers dans ces offensives.
Depuis 2014, la coalition dirigée par la monarchie saoudienne a mené la guerre contre le Yémen, l'un des pays les plus pauvres du monde. Les Administrations Obama et Trump, ainsi que des puissances impérialistes européennes, dont la Grande-Bretagne et la France, ont toutes aidé cette coalition. La coalition a tué des dizaines de milliers de civils. Jusqu'à 14 millions de personnes, soit la moitié de la population, font face à la famine. Cela en raison de la stratégie de la monarchie saoudienne qui consiste à bloquer les ports yéménites pour arrêter l'approvisionnement en nourriture et en aide humanitaire.
Le rapport indique clairement que les actions de la France sont contraires au droit international. Notamment ils sont en conflit avec le traité européen de 2014 sur le commerce des armes. Celui-ci interdit les ventes d'armes lorsque le pays «sait au moment de l'autorisation que les armes ou les objets seront utilisés dans la commission» de crimes de guerre. Cela suggère fortement que les hauts fonctionnaires de l'Administration Macron ont violé le droit européen.
Alors que le gouvernement a refusé de répondre aux révélations, la ministre des Armées, Parly, a tenté d'en minimiser l'importance la semaine dernière. Elle a déclaré à Radio classique le 18 avril que «à ma connaissance, on n'utilise pas ces armes de manière offensive dans cette guerre au Yémen [...] En tout cas, je ne possède aucune preuve qui permet de dire que les armes françaises soient la source des victimes civiles.»
Ces paroles équivoques doivent être rejetées avec le mépris qu'elles méritent, comme le montre clairement l'examen du bilan objectif. Le 20 janvier, deux mois après que le gouvernement Macron eut reçu le rapport confidentiel, Parly a dit à la radio France Inter qu'elle n'avait pas «connaissance du fait que des armes [françaises] soient directement utilisées dans le conflit», et a ajouté que «nous n'avons récemment vendu aucune arme qui puisse être utilisée dans le conflit.»
Dans la foulée des révélations de Disclose, cette histoire a tout simplement été adaptée. Dans le même temps, selon l'AFP, citant une source juridique anonyme, le gouvernement avait découvert la fuite du rapport en décembre dernier, et ordonné une enquête interne le 13 décembre, tout en maintenant ses mensonges. Pourtant, le 18 avril, Parly ajoutait grotesquement que «tous nos efforts [...] sont orientés pour essayer d'arrêter ce conflit et de lui trouver une solution politique», tout en dénonçant ce qu'elle appelait «une guerre sale».
Le gouvernement Macron réagit à la révélation de sa propre complicité dans les crimes de guerre en cherchant à poursuivre ceux qui ont mis ces informations à la disposition de la classe ouvrière française et internationale. Ses actions s'inscrivent dans le piétinement des droits démocratiques et se tournent vers des formes autoritaires de gouvernement de l'élite capitaliste dans les pays européens et internationaux.
Ceci trouve son expression la plus nette dans la persécution de WikiLeaks et de son rédacteur en chef Julian Assange et Chelsea Manning. Leur seul «crime» consiste en leurs actions courageuses en exposant des preuves documentaires des crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan, et les activités criminelles d'autres gouvernements capitalistes. Grâce à une conspiration des gouvernements de l'Australie, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'Équateur, Assange est maintenant en prison, menacé d'une restitution extraordinaire illégale aux États-Unis. Là-bas les tortionnaires et les criminels de guerre qu'il a exposés cherchent à le mettre en prison à vie, ou pire. Manning reste derrière les barreaux aux États-Unis après avoir refusé de témoigner devant un grand jury établi afin de porter d'autres accusations frauduleuses contre l'éditeur de WikiLeaks.
Les actions du gouvernement Macron confirment les avertissements émis par le World Socialist Web Site: la persécution d'Assange et Manning vise à créer un précédent. À savoir: la criminalisation du journalisme et la poursuite de ceux qui mettent en lumière les crimes gouvernementaux. Toutes les puissances européennes soutiennent la restitution d'Assange aux États-Unis, parce qu'elles aussi ont peur de l'opposition sociale croissante à leurs propres régimes au sein de la classe ouvrière. Comme les États-Unis, ils aussi vont utiliser les mêmes méthodes policières pour réprimer l'opposition.
Le WSWS utilisent cette année leur rassemblement annuel en ligne du 4 mai pour construire l'opposition à la persécution de Manning et Assange, et relier la lutte pour leur défense à la construction d'un mouvement socialiste international de la classe ouvrière contre la guerre, les inégalités, la croissance de l'extrême droite et le système capitaliste. Les lecteurs qui veulent se battre pour la défense des droits démocratiques et s'opposer à la guerre impérialiste peuvent s'inscrire au rassemblement dès aujourd'hui.
(Article paru d'abord en anglais le 26 avril 2019)