La maternité et la chirurgie de l'hôpital du centre-ville de Die ont fermé il y a un an et demi. En guise de « compensation », l'agence régionale de santé prévoit la construction d'un nouvel hôpital : en périphérie, sur trois hectares de terres agricoles. Une douche froide pour les habitants, qui se préparent à un nouveau combat, comme l'explique notre chroniqueuse.
Corinne Morel Darleux est conseillère régionale Auvergne - Rhône-Alpes.
Corinne Morel Darleux
Quand l'ARS, l'agence régionale de santé, a fermé la maternité et la chirurgie de Die en janvier 2018, elle l'avait fait avec la générosité des vainqueurs : en promettant des compensations qui ne remplacent rien ni ne réparent. On connaissait l'arnaque des compensations environnementales, l'ARS nous l'a joué compensation sociale. Elle avait ainsi promis aux habitants, en contrepartie, un pack de promesses assorti de 16 millions d'euros, comprenant un scanner, la rénovation des urgences, un nouvel hôpital et un hélicoptère.
Ce dernier est désormais censé emmener les futures mères à la maternité en cas d'urgence (mais seulement si le pronostic vital n'est pas engagé, il faut bien viser). Quant à l'hôpital, alors qu'on attendait logiquement un programme de rénovation du bâtiment existant situé en centre-ville, à côté du collège-lycée, nous venons d'apprendre avec stupéfaction que l'ARS a acquis un terrain agricole situé à près de 3 kilomètres de là. Il s'agit donc bien de la construction d'un tout nouvel hôpital. Toujours sans maternité, naturellement. Sur trois des plus beaux hectares de terres agricoles qu'il reste à Die. Et, donc, en périphérie. Que va devenir l'hôpital actuel ? Personne n'est capable de nous le dire. Selon la rumeur, l'ARS voudrait le vendre. Public, privé ? À qui, pourquoi ? On ne le sait pas.
Et puis, ils disent qu'en général, c'est moins cher de construire que de réhabiliter
On va donc avoir à Die un nouvel hôpital qui va bétonner trois hectares de terres à vocation alimentaire, dégager autant de pollution, d'énergie et de gaz à effet de serre que n'importe quel chantier de BTP, entraîner le déplacement des 279 personnels hospitaliers, isoler en zone artisanale les pensionnaires de l'Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), tuer ainsi un peu plus toute activité commerciale en centre-ville, et enfin multiplier, dans une zone qui en était jusqu'ici préservée, le trafic automobile. Je ne parle même pas de la tête que doivent faire les actuels propriétaires du bâtiment de ferme dont la vue sur le Vercors donnera désormais sur un parking. Le tout, pour la modique somme de 12 millions d'euros. Je crois que c'est pile-poil ce qu'on appelle communément un remède pire que le mal. Au top pour un hôpital.
Une douche froide. Cet achat de terres n'a visiblement jamais été débattu publiquement, ni au conseil communautaire, ni dans les conseils municipaux et évidemment pas avec la population. Le 9 mai dernier, les membres du collectif pour l'hôpital ont donc provoqué une rencontre avec les élus locaux. Ils leur ont rappelé la situation catastrophique de l'hôpital et la dégradation en cascade des services depuis la fermeture de la maternité et de la chirurgie. Parmi les éléments les plus inquiétants, les urgences, dont le planning n'est apparemment plus assuré alors qu'on est à la veille de la saison touristique (urgences qui, selon l'ARS, devaient être renforcées, promis-juré). Mais aussi les suppressions de lits, les conditions de travail dégradées du personnel et l'insécurité que ressentent les futurs jeunes parents à la suite du décès d'un bébé in utero et de plusieurs accouchements de bord de route. Voilà où on en est. Au nom de la sécurité. Et ce n'est pas la loi « Ma santé 2022 » qui va arranger les choses, elle qui prévoit de nouvelles restructurations, la porte ouverte au privé, et une « proximité » désormais définie sans chirurgie ni maternité.
Réponse des élus locaux ? Certains semblent partager nos inquiétudes, mais... « il faut in-no-ver ». Penser l'hôpital de demain. De toute façon selon eux, c'est trop tard, on ne retrouvera plus ces services maintenant qu'ils ont fermé. Et puis, ils disent qu'en général, c'est moins cher de construire que de réhabiliter. Que de toute manière, l'investissement n'est pas un problème pour l'ARS, qui a les moyens : ce qu'ils ne veulent pas financer, c'est le fonctionnement et les postes humains. Et puis, ça va hein, on est quand même moins mauvais que les autres en matière de bétonnage de terres, regardez en Isère... Formidable.
Ah ! et ils rappellent aussi qu'il y a un problème de médecins urgentistes partout en France et qu'à Die, « le territoire n'est pas attractif ». Ça alors. Être urgentiste dans un hôpital sans chirurgie, venir s'installer dans une ville sans maternité : je ne comprends pas, ça devrait faire rêver tout médecin. Enfin, on apprend au passage que, si le rapport sur le décès in utero d'Aimé a pris du retard, c'est à cause des élections. Sérieux. Il y a des poings qui se perdent.
Est-ce qu'on pourrait commencer à réfléchir un peu intelligemment au futur de ce territoire ?
D'après les élus locaux, construire serait donc moins cher qu'une rénovation. Mais qu'y a-t-il de moins impactant qu'un bâtiment existant ? Il n'est encore une fois question que de pognon. Aucune vision de rien, ni de protéger les terres vivrières pour une alimentation locale, ni des déplacements, ni de la vitalité des commerces en centre-ville, ni des « externalités négatives » en matière de climat, d'environnement et de pollution, ni de la qualité de vie des personnels et des résidents.
Est-ce qu'on pourrait commencer à réfléchir un peu intelligemment au futur de ce territoire ? On vit dans un lieu sublime, où le train s'arrête encore, où les touristes viennent crapahuter l'été, où des projets se montent, où ça vit et bruisse toute l'année. Et tout ce qu'on trouverait à faire, c'est de le bétonner, franchement ?
Le terrain de trois hectares acheté par l'agence régionale de santé.
Si l'ARS ne sait pas quoi faire de son argent, pour 12 millions d'euros, on peut trouver des idées. Et qu'on ne nous dise pas qu'il n'y a pas de médecins en France : on compte 5.000 gynécologues-obstétriciens, dont seulement 1.800 sont dans les hôpitaux, et 25.000 sages-femmes dont 600 pointent au chômage. À Die, on aurait pu avoir un hôpital de plein exercice avec sa maternité et ses urgences : des médecins qualifiés étaient prêts à venir si l'ARS avait daigné nous accorder l'autorisation de fonctionner pour cinq ans. Las, une fois de plus, on constate qu'il est plus facile de détruire que de protéger, toujours plus facile de financer du béton que des emplois (ça marche aussi avec les guichets de gare ou les caméras). Faute de financer de la présence humaine, des embauches et des formations, on risque fort de se retrouver avec un bâtiment tout neuf qui n'aura pas les moyens de fonctionner. Une belle coquille vide en guise de compensation.
Le collectif pour l'hôpital organise, samedi 15 juin à Die, une journée de pique-nique-débat
Quand on vient du centre-ville vers cette zone artisanale où ils veulent construire l'hôpital, on longe une succession d'enseignes commerciales. Parmi elles, un Lidl, un U Express, un Intermarché. Alors qu'à Aouste-sur-Sye, le maire s'y était opposé et qu'à Saillans, c'est un supermarché qui a mis le feu aux poudres de la citoyenneté, à Die la mairie se vante dans son bilan de mi-mandat d'avoir fourni au Lidl un « soutien indirect grâce à des aménagements et travaux divers ». Aujourd'hui, l'enseigne du supermarché cache le Vercors. Le U Express est en train de s'agrandir. L'Intermarché, quant à lui, est en train d'être entièrement reconstruit et sera désormais muni d'un « drive », pour que les Diois puissent venir faire leurs courses en voiture. Dans une ville de 4.500 habitants. Il va falloir arrêter.
J'écrivais cette semaine : « Chaque dixième de degré, chaque invertébré, chaque mètre carré de terre arable : il n'y a rien de trop petit à aller sauver. Plus rien d'insignifiant à ce stade. » Ces trois hectares de terres agricoles, je ne m'y résous pas, j'aimerais vraiment qu'on fasse tout pour les sauver. Le collectif pour l'hôpital organise, samedi 15 juin à Die, une journée de pique-nique-débat auquel seront également conviés les élus et l'ARS pour qu'ils viennent expliquer leurs « accords ». Je serai quant à moi aux dix ans de Bizi ! au Pays basque, mais on commence déjà à réfléchir et s'organiser. Allez-y nombreux le 15 et n'attendez pas, rien ni personne, pour collecter les idées d'actions, de recours, pour écrire et diffuser cette chronique à toutes les bonnes volontés. Que mille mobilisations fleurissent.
Source : Corinne Morel Darleux pour Reporterre
Photos : © Corinne Morel Darleux
chapô : graffiti à Die.
hôpital : collection particulière