09/07/2019 les-crises.fr  11 min #158915

Une guerre avec l'Iran se profile-t-elle à l'horizon ?

Les options militaires de l'Iran

Source :  Consortium News, As`ad AbuKhalil,

As'ad AbuKhalil estime que la relation de l'Iran et des États-Unis a atteint un stade dangereux, mais affirme que les perspectives de guerre ne sont pas aussi sombres que les régimes du Golfe et Israël le souhaitent.

Par As`ad AbuKhalil

Exclusivité pour Consortium News

La crise diplomatique entre l'Iran et les États-Unis a atteint un stade dangereux, et Israël et ses alliés du Golfe espèrent une guerre majeure entre les États-Unis et l'Iran. Le régime iranien dispose clairement d'options limitées puisqu'il est lié par l'accord nucléaire, tout en en récoltant de moins en moins les bénéfices avec la réimposition des sanctions américaines. Mais il a néanmoins certaines options, notamment en cas d'affrontement militaire.

Ses ennemis partent de l'hypothèse que les sanctions pousseront le régime à se rendre ou conduiront à une révolution populaire qui mettra fin au régime islamique. Aucun des deux scénarios n'est probable dans un avenir proche, et le régime - si sa survie est menacée - combattra impitoyablement (et le régime iranien a une base populaire plus large que le régime syrien). Mais les perspectives de guerre ne sont pas aussi sombres que les régimes du Golfe et Israël le souhaitent.

Trump : Il est arrivé au pouvoir en tant qu'isolationniste. (Maison Blanche/Joyce N. Bogosian)

L'administration Trump s'est inscrite dans un programme exclusivement axé sur la politique intérieure, et le président Donald Trump s'oppose depuis longtemps à l'intervention militaire des États-Unis au Proche-Orient. Il a critiqué l'invasion de l'Irak par le président George W. Bush dès le début, alors que de nombreux démocrates y étaient favorables.

Trump est l'héritier d'une politique étrangère républicaine traditionnelle isolationniste, bien que son administration soit composée d'un curieux mélange de néo-conservateurs et de conservateurs interventionnistes. (Le conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, se vante d'être un néo-conservateur pour laisser entendre qu'il a déjà été un démocrate, ce qu'il n'a jamais été).

Mais les recrutements de Trump en politique étrangère et en défense ne peuvent préjuger du contenu de son programme de politique étrangère ou de sa « doctrine » parce qu'il s'est aliéné tellement de membres de l'establishment républicain en politique étrangère qu'il n'a pas pu embaucher sur le traditionnel rolodex républicain, et il semble faire passer la loyauté personnelle et la flatterie bien avant tout critère idéologique.

Les intentions de Trump ne sont pas claires

On ne sait pas exactement ce que Trump attend de l'Iran. Même au Moyen-Orient: il a commencé sa campagne en appelant à une position « neutre » des États-Unis à l'égard du conflit israélo-arabe, tout en affichant à la Maison-Blanche le parti pris le plus pro-israélien jamais vu au Bureau ovale (poursuivant le modèle selon lequel chaque président américain devient plus pro-israélien et anti-palestinien que son prédécesseur, à l'exception de l'équipe du président George W. Bush et du secrétaire d'État James Baker).

En ce qui concerne l'Iran, M. Trump s'est simplement prononcé contre l'accord nucléaire iranien sans formuler de critiques spécifiques (il est peu probable qu'il ait lu l'accord ou même écouté un exposé détaillé). Tout comme la question des soins de santé, M. Trump se préoccupe moins du fond et de la politique publique que de son propre nom de marque et de l'héritage qu'il laissera, et du désir de démanteler ce qui est perçu - à tort ou à raison - comme les réalisations du gouvernement Obama.

L'Iran a été conscient des manigances israéliennes ; de son empressement à provoquer un affrontement avec les forces iraniennes en Syrie. Le régime iranien a constamment résisté aux provocations israéliennes mais a maintenu sa présence en Syrie. Il a continué de fournir un soutien et un financement aux milices du Hezbollah et du Hachd al-Chaabi [organisation paramilitaire chiite comprenant le Hezbollah irakien formée durant la seconde guerre civile irakienne en 2014, NdT] (malgré  les rapports exagérés de Liz Sly du Washington Post et d'autres correspondants occidentaux qui semblent parler exclusivement aux ennemis de l'Iran et du Hezbollah au Moyen Orient).

L'Iran est également conscient que certaines factions de l'administration Trump sont alignées sur les plans israélo-saoudiens de confrontation militaire majeure avec l'Iran.

Notion impensable

Mais l'idée que les États-Unis iraient en guerre contre l'Iran est plutôt impensable. La guerre contre l'Irak, un pays épuisé, qui a souffert de deux guerres majeures successives et de sanctions paralysantes imposées par les États-Unis, a entraîné la débâcle qui a donné naissance à diverses organisations terroristes. Une guerre contre l'Iran coûterait (en termes humains et financiers) beaucoup plus cher que les deux guerres en Irak et en Afghanistan. De plus, contrairement à l'Afghanistan et à l'Irak, l'Iran a des partisans, des alliés et des clients dans toute la région qui prendraient sa défense dans le cas d'une guerre majeure. Il ne peut pas y avoir de guerre limitée contre l'Iran.

L'équipe Zarif-Rouhani : La prospérité promise. (Erfan Kouchari via Wikimedia Commons)

Le régime iranien est également divisé selon des lignes idéologiques. Le président Hassan Rouhani et le ministre des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif avaient promis prospérité et stabilité si les pourparlers avec les États-Unis se poursuivaient et si un accord nucléaire était conclu.

Mais l'équipe de Rouhani-Zarif, qui s'enorgueillit de ses connaissances et de sa familiarité avec la pensée occidentale, a commis des erreurs majeures dans ses négociations avec l'équipe du président Barack Obama. Ils auraient dû savoir qu'un accord avec un président au cours de ses deux dernières années ne durerait pas nécessairement s'il était remplacé par un président de l'autre parti (en d'autres termes, ils présumaient qu'un démocrate succéderait à Trump et respecterait l'accord). Mais les négociateurs iraniens - qui, soit dit en passant, sont beaucoup plus compétents et astucieux que les négociateurs de l'Autorité palestinienne, depuis Oslo jusqu'au dernier cycle de négociations - ont échoué sur deux points principaux.

N°1 - Ils n'ont pas conclu de traité officiel, ce qui aurait nécessité une ratification par le Sénat américain (ce qui aurait été peu probable sous Obama).

N°2 - Ils n'ont pas inclus dans l'accord une clause qui récompenserait spécifiquement l'Iran (ou punirait les États-Unis) si Washington décidait unilatéralement de violer l'accord, clause qui avait le soutien juridique international du Conseil de sécurité de l'ONU.

L'équipe de Rouhani-Zarif s'est toujours heurtée à une équipe intransigeante en Iran, qui n'a pas fait confiance aux pourparlers avec les États-Unis. Le chef suprême s'est identifié à l'équipe intransigeante, mais a fini par accepter le plan de Rouhani-Zarif.

Le secrétaire d'État américain John Kerry s'entretient avec Hossein Fereydoun, frère du président iranien Hassan Rouhani, et Zarif, 14 juillet 2015. (Département d'État)

Téhéran doit être frustré

Téhéran, aujourd'hui, doit être frustrée: Tout en s'accrochant à l'accord et en respectant ses termes, les Européens n'ont pas réussi à mettre au point un mécanisme financier alternatif permettant à l'Iran d'acheter et de vendre sur le marché international. Les sanctions américaines sont devenues plus efficaces, et l'intimidation mondiale des États-Unis a découragé les pays et les entreprises de faire des affaires avec l'Iran.

Il y avait des raisons de s'attendre à ce que cela se produise. Le Parti républicain a clairement fait connaître sa position sur l'accord lorsqu'il a invité un dirigeant étranger, le président israélien Benjamin Netanyahou, à énumérer une litanie de plaintes devant le Congrès américain (où les démocrates avaient trop peur du lobby israélien pour exprimer leur désapprobation et la Maison-Blanche d'Obama était généralement trop docile pour répondre).

La faction dure en Iran - quoi que cela signifie - ne semble pas avoir d'alternative aux pourparlers avec les États-Unis. Les récents entretiens avec M. Zarif aux États-Unis visaient à formuler une nouvelle politique de l'Iran, dans laquelle le gouvernement exprime sa volonté de parler à l'administration.

Zarif combat les sceptiques en Iran en faisant la distinction entre Trump et ce qu'il appelle « Team B » (Bolton et compagnie). Et si l'Iran veut préserver l'accord et n'a pas d'autre plan, les pourparlers avec l'administration Trump pourraient devenir inévitables.

M. Trump n'est pas une personne qui s'intéresse aux questions ou aux détails des politiques, mais il préfère que son nom et son empreinte personnelle soient inscrits sur tout accord international. L'administration a ajouté à sa liste de demandes de dénucléarisation l'insistance sur le fait que les pourparlers avec l'Iran porteraient sur les points suivants : 1) les missiles balistiques ; 2) les questions régionales ; 3) le soutien de l'Iran aux groupes classés comme groupes terroristes (qui comprend maintenant les Gardiens de la révolution, c'est-à-dire que les États-Unis voudraient que l'Iran cesse de soutenir ses propres forces armées).

L'équipe d'Obama étudie les points de négociations sur le nucléaire Iranien. (Département d'État)

L'administration Obama a déjà essayé de mettre toutes ces questions à l'ordre du jour lors des dernières négociations et Téhéran a catégoriquement refusé. Pas plus tard que la semaine dernière, le Guide suprême a indiqué que son gouvernement refusait de nouveau de discuter de ces questions, ce qui pourrait indiquer que le Guide suprême serait ouvert à une nouvelle ronde de négociations avec l'administration Trump, mais uniquement sur les questions nucléaires.

 Ce qui s'est passé la semaine dernière pourrait indiquer la ligne de conduite de l'Iran en cas d'attaque militaire contre ses forces. Il pourrait facilement frapper des cibles en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis avant de frapper des cibles en Israël parce que leurs réactions seront moins sévères et qu'ils se laissent beaucoup plus facilement intimider.

Il y a quelques années à peine, lorsqu'un envoyé officiel des Émirats arabes unis a rencontré un dirigeant du Hezbollah et envoyé des notes sur le comportement du Hezbollah dans la région, il a reçu un message sévère sur les scénarios de guerre possibles qui pourraient inclure des cibles aux Émirats arabes unis, ce qui a rendu cet envoyé livide (je l'ai appris par une source bien placée).

Les médias saoudiens et des Émirats arabes unis semblaient moins enclins à la guerre qu'il y a deux semaines (à l'exception du journal Arab News en langue anglaise, qui s'adresse à un public occidental). Les attaques contre les navires et les installations pétrolières ont peut-être suffi à effrayer les deux régimes. Il n'y a pas un grand risque de guerre, mais si Israël et l'Arabie saoudite parviennent à leurs fins avec une guerre américaine, il en résultera une déstabilisation de l'ordre régional, un ordre qui est très avantageux pour les intérêts américains. Pour cela, et compte tenu de ses propres penchants, Trump y réfléchira peut-être à deux fois.

As'ad AbuKhalil est professeur de sciences politiques libano-américain à la California State University, Stanislaus. Il est l'auteur du « Dictionnaire historique du Liban » (1998), de « Ben Laden, l'islam et la nouvelle guerre américaine contre le terrorisme » (2002) et de « The Battle for Saudi Arabia » (2004). Il tweete comme

Source :  Consortium News, As`ad AbuKhalil, 21-05-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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