12/07/2019 reseauinternational.net  15 min #159051

Une guerre avec l'Iran se profile-t-elle à l'horizon ?

Que fera l'Europe, joindre les hooligans étasuniens ou respecter ses engagements envers l'Iran?

Par Elijah J. Magnier:  @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Depuis la prise de pouvoir par la Révolution iranienne en 1979, le monde se dresse contre l'Iran parce qu'elle est une « République islamique » qui refuse de reconnaître la domination des USA sur le Moyen-Orient et le reste du monde et de s'y plier. J'évoque le monde parce qu'après cette révolution, il y a eu a pérestroïka russe et la chute de l'empire soviétique, une superpuissance qui faisait contrepoids aux USA. L'Iran met aussi à mal les ventes d'armes étasuniennes au Moyen-Orient (nonobstant le montant exubérant investi par les pays du Moyen-Orient dont les dirigeants envisagent une taxe de protection pour les États-Unis plutôt qu'une nécessité), fixe de nouvelles règles d'engagement inédites et sabote les plans des USA visant à créer un « nouveau Moyen-Orient ». L'Iran compromet aussi les plans de sécurité et d'expansion d'Israël, le principal allié des USA dans la région. Malgré le fait que de nombreux spécialistes, responsables politiques (ayant la double nationalité) et érudits en Occident possèdent une vaste connaissance de l'Iran, les décideurs sont incapables de trouver la bonne politique et les mots qu'il faut pour amener l'Iran à la table de négociation.

Otages américains

Les sanctions contre l'Iran ne datent pas d'hier. La « République islamique » a pris la tête du pays il y a 40 ans et les Iraniens vivent sous des sanctions depuis. Le président Carter a interdit les exportations de pétrole iranien, a gelé 12 milliards de dollars de comptes bancaires iraniens et a interdit les échanges commerciaux avec l'Iran et les voyages dans ce pays en 1980. Le président Reagan a déclaré que l'Iran était un État appuyant le terrorisme, s'est opposé aux prêts internationaux, a autorisé les escortes navales de navires dans le golfe Persique et a imposé un embargo contre les importations iraniennes. Le président Clinton (décret 12959) a élargi le régime des sanctions et a interdit toute forme d'investissement et de participation étasuniennes dans l'industrie pétrolière iranienne. Le président George W. Bush a gelé les avoirs des particuliers, des groupes, des entités étrangères et des entreprises faisant affaire avec l'Iran ou qui le soutenaient. Le président Obama a interdit les produits alimentaires et les tapis iraniens, a imposé des sanctions contre le Corps des gardiens de la Révolution iranienne et a mis fin aux échanges avec les institutions financières faisant affaire avec la banque centrale de l'Iran.

Malgré toutes ces sanctions, on dit que le guide de la Révolution gère des actifs valant des  dizaines de milliards de dollars. Sayyed Ali Khamenei a puisé récemment dans le fonds de développement national quatre milliards de dollars pour le développement des capacités de missiles. En réelle situation de crise, l'Iran peut survivre en vendant une partie de son pétrole à des  pays qui  rejettent les sanctions unilatérales des USA, en  passant en contrebande des centaines de milliers de barils de pétrole par jour sur le «  marché gris » afin  d'augmenter ses exportations pétrolières.

Ces sanctions qui perdurent ont des effets néfastes sur la société iranienne, sans toutefois affecter le  régime en soi. De plus, l'Iran a pris l'initiative de soutenir la « lutte noble de tous les opprimés » et rejette toute forme de domination impérialiste. Sa  constitution (articles 3, 152 et 154) appelle à l'élimination complète de l'impérialisme et de l'influence étrangère sur l'Iran. Les limites et les objectifs des dirigeants iraniens sont clairs.

Le guide iranien Sayyed Ali Khamenei possède suffisamment de pouvoir financier pour continuer à appuyer tous les groupes et les partenaires favorables à l'Iran au Moyen-Orient, peu importe la durée des sanctions. Les menaces israélo-étasuniennes ont amené l'Iran à financer, à armer et à soutenir davantage tous ses partenaires au Moyen-Orient. En cas de guerre menaçant la sécurité nationale et l'existence de l'Iran, il ne sera pas seul et pourra faire très mal à l'ennemi.

Les capacités des missiles et des drones iraniens ont mis à mal les ventes d'armes étasuniennes dans la région à long terme en démontrant que ces armes, notamment les missiles de croisière, ne donnent pas les résultats escomptés. Des drones iraniens ont même frappé un missile Patriot, ce qui a fait ressortir les limites du concurrent étasunien du système S-400 russe.

En livrant des missiles au Liban, l'Iran a aidé le Hezbollah à augmenter sa capacité de causer de lourds dommages aux plateformes pétrolières, aux installations portuaires et aux infrastructures civiles et militaires d'Israël ainsi qu'à ses chars, à ses aéroports, à ses navires, en plus de créer de nouvelles règles d'engagement sans égard à la supériorité écrasante de l'aviation, la marine, l'infanterie et la technologie militaire avancée d'Israël.

De plus, l'intervention rapide de l'Iran en Irak en 2014 après la chute de Mossoul et de 40 % des provinces irakiennes aux mains de Daech a saboté les plans étasuniens de diviser le pays. L'Iran a contribué à faire du groupe de mobilisation populaire irakien, les Hachd al-Chaabi, une force dominante construite sur le modèle du Sepah-e Pasdaran (corps des gardiens de la Révolution). Le Sepah a été créé pour protéger le pays et la « valeur de la Révolution », alors que l'Occident contrôlait la moitié de l'armée iranienne sous le chah. Aujourd'hui, l'Irak se trouve dans une situation analogue, car les USA  contrôlent de nombreux éléments au sein de l'armée irakienne. Mais les Hachd al-Chaabi, qui sont fort engagés idéologiquement, resteront derrière l'Iran pour des dizaines d'années encore.

En Syrie, des dizaines de pays (y compris les USA, l'Europe, l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie) n'ont pu obtenir le changement de régime souhaité, malgré des investissements financiers et militaires massifs. Le soutien de l'Iran et de ses alliés et l'intervention de la Russie à partir de septembre 2015 se sont avérés plus efficaces que les forces terroristes provenant d'une centaine de pays que l'Occident et ses alliés parrainaient. Un gouvernement stable à Damas a déjoué le plan israélo-étasunien de créer un  État en déliquescence et de  diviser la Syrie. Le ministre de la Défense d'Israël Moshe Ya'alon affirmait d'ailleurs qu'il « préfère voir l'État islamique (le groupe armé) contrôler le territoire (Syrie) ».

Les armes coûteuses et perfectionnées que les USA ont vendues à l'Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis se sont révélées incapables de neutraliser les Yéménites et les Houthis. Elles n'ont pu assurer la sécurité des  pétroliers qui ont subi un acte de sabotage aux Émirats et empêcher des attaques contre d'autres pétroliers naviguant dans le  Golfe, le bombardement de deux stations de pompage d' Aramco en Arabie Saoudite et les frappes de missiles sur des  aéroports saoudiens et une batterie de défense antimissile  Patriot.

L'Iran est aujourd'hui un joueur majeur sur l'échiquier du Moyen-Orient. En rendant ses alliés plus forts, il a réussi à empêcher les USA d'imposer un «  Nouveau Moyen-Orient ». Il a négocié et signé un accord sur le nucléaire non contraignant avec les puissances occidentales en 2015, lorsque l'administration Obama a réalisé que les sanctions ne donnaient rien et voulait ralentir les progrès rapides de l'Iran vers une pleine capacité nucléaire, y compris l'obtention de matériel de qualité militaire.

L'Iran n'était pas crédule au point de signer un accord fondé sur une  confiance aveugle entre les signataires. L'accord a créé un équilibre entre les partisans de la ligne dure et les pragmatiques iraniens en intégrant des clauses permettant à l'Iran de se retirer partiellement ou totalement de l'accord en cas de non-conformité. L'Iran a fait preuve de patience en attendant 14 mois avant de lancer son premier avertissement, en élevant le niveau de pureté de son uranium enrichi de 3,67 % à  4,5 %. La progression se fera graduellement et pourrait atteindre 20 % (seuil considéré comme de l'uranium faiblement enrichi qui est le plus difficile à atteindre) ou 70 % (uranium hautement enrichi), ce qui donnera le temps à l'Europe de se distancer des USA avant que les niveaux d'enrichissement permettent la production d'une bombe (80 à 90 %).

Les notions du droit et de l'ordre des gouvernements européens s'appuient sur les principes du siècle des Lumières et ils les invoquent pour se donner une légitimité. Les pays européens sont coincés entre leurs relations avec les USA et les engagements qu'ils ont pris envers l'Iran. Leurs dirigeants seront appelés à respecter le contrat sur le nucléaire iranien qu'ils ont signé (France, Allemagne et Royaume-Uni).

L'Iran ne veut pas paraître faible dans ses négociations ou dans les mesures qu'il prend. Il ne peut revenir sur la position qu'il a adoptée en réponse à l'embargo des USA, sauf si l'Europe propose un allègement considérable sous la forme d'un mécanisme économique lui permettant de contrer une partie des sanctions étasunienne. Il est crucial pour l'Iran de donner l'impression qu'il sauve la face, qu'il préserve la fierté nationale et la dignité de sa population, et qu'il ne recule pas dans sa décision de se retirer graduellement de l'accord sur le nucléaire, d'autant plus que c'est le président des USA qui est responsable de sa révocation.

Le président Donald Trump propose au monde une nouvelle forme d'hooliganisme : j'accapare tout ce que je veux, je prends ce qui me tente, tout m'appartient sans égards aux autres pays ou personnes, et tous doivent  nous payer pour assurer leur protection. Les valeurs des USA ne sont plus respectées à la grandeur du monde et Washington n'est plus considéré comme un partenaire ou un  intermédiaire éventuel en cas de crise mondiale.

Au moment où l'ambassadeur du R.U. à Washington  Sir Kim Darroch décrit Trump comme « irradiant d'insécurité » et la Maison-Blanche « d'unique dans son dysfonctionnement », il est clair que les USA seront incapables de parvenir à un accord fiable et stable avec l'Iran tant que Trump restera au pouvoir. À compter du jour où Trump terminera son premier ou second mandat, un long intervalle sera nécessaire avant que les pourparlers avec l'Iran ne reprennent. Le seul interlocuteur qui reste à l'Iran, c'est l'Europe, même s'il ne peut s'attendre à grand-chose du Vieux continent divisé. Cependant, la possibilité d'une guerre entre les USA et l'Iran (et le reste du Moyen-Orient) augmentera considérablement si Trump est réélu. L'Iran en est conscient, juge que Trump a de bonnes chances d'obtenir un second mandat et se prépare en vue d'une guerre possible de pair avec ses alliés.

source: ejmagnier.com

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