08/08/2019 les-crises.fr  22min #160116

 Les Royal Marines s'emparent d'un pétrolier iranien sous les ordres des États-Unis

Empêcher la guerre de Trump contre l'Iran : un plan simple en 4 étapes que les médias américains doivent suivre. Par Mehdi Hasan

Source :  The Intercept, Mehdi Hasan,

Décollage d'un [chasseur] F/A-18E Super Hornet depuis le pont d'envol de l'USS Abraham Lincoln le 10 mai 2019 en Mer Rouge. Les tensions avec l'Iran s'étant récemment ravivées, le porte-avions d'attaque Abraham Lincoln a été déployé par le U.S. Central Command [Centre de commandement responsable des opérations militaires des États-Unis au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Asie du Sud, NdT]. Photo de Michael Singley/U.S. Navy, spécialiste de la Marine en charge de la communication avec les médias via Getty Images

Et voilà, ça recommence. Seize ans après que les médias américains aient apporté  leur soutien à l'administration Bush en relayant  mythes et mensonges sur la menace que représentait l'Irak pour les États-Unis et leurs alliés, l'administration Trump diffuse les mêmes  mythes et mensonges en ce qui concerne la menace que représenterait l'Iran.

La question à 64 000 rials [soit environ 1,5 euros NdT] est donc de savoir si les journalistes ont tiré les leçons du  fiasco des armes de destruction massive irakiennes de 2003.

Commençons par lire quelques grands titres récents :

« Au vu des menaces iraniennes, les États-Unis déploient davantage de missiles Patriot au Moyen-Orient »  (CNN)

« Le Pentagone renforce sa force de dissuasion contre une éventuelle attaque iranienne » ( New York Times)

« Les États-Unis affirment que l'Iran serait derrière les attaques de navires » ( Wall Street Journal)

« Les menaces iraniennes ont conduit la Maison Blanche à annoncer le déploiement de l'armée américaine, selon des officiels américains » ( Washington Post)

Quelles sont les preuves à l'appui de ces grands titres bellicistes ? De ce flot de reportages alarmistes sur les « menaces » et « attaques » de l'Iran ? Oui, vous l'avez deviné : des communiqués fournis aux journalistes par des responsables américains sous couvert d'anonymat. Parfois même: un seul responsable. Prenons l'exclusivité du Wall Street Journal :

Une première analyse américaine a indiqué que l'Iran était probablement à l'origine de l'attaque de deux pétroliers saoudiens et de deux autres navires endommagés ce week-end près du détroit d'Ormuz, a déclaré un responsable américain, une conclusion qui, si elle était confirmée, exacerberait les tensions militaires dans le golfe Persique.

Pourquoi accorder du crédit à la parole d'un seul responsable sur une question aussi sensible et controversée ? Et pourquoi, mais pourquoi s'en remettre au témoignage d'un membre de l'administration Trump, qui est notoirement connue dans le monde entier pour son indéfectible et rigoureux attachement à la vérité ?

Ça encore : si vous accordez du crédit à un seul responsable anonyme, parmi cette administration de faucons fanatiques et menteurs éhontés, pourquoi ne pas croire cet autre responsable  cité dans le New York Times?

Un fonctionnaire américain, évoquant sous couvert d'anonymat des plans internes confidentiels, a dit que les nouveaux renseignements sur un accroissement de la menace iranienne était de la « gnognotte » et ne justifiait pas les plans militaires mis en place par M. Bolton. Le fonctionnaire a également dit que l'objectif final de la campagne de sanctions économiques menée par l'administration Trump depuis un an était d'attirer l'Iran dans un conflit armé contre les États-Unis.

Beaucoup de journalistes disent qu'ils veulent tirer les leçons de l'Irak. Mais la triste réalité est que beaucoup de mes collègues dans les médias se rendent, sciemment ou pas, complices des tentatives cyniques et dangereuses de l'administration Trump pour « attirer l'Iran dans un conflit armé contre les États-Unis. »

Que faire alors ? Voici quatre suggestions.

1. Arrêtez la sténographie

Se borner à simplement retransmettre les déclarations des responsables américains, sans vérifier si elles sont vraies ou pas, est très loin de la définition du journalisme. Les reporters ne sont pas censés être les sténographes des gens aux pouvoir ; ils sont censés leur demander des comptes.

Accorder une confiance aveugle aux responsables américains, en particulier sur les questions de sécurité nationale, n'a aucun sens. Les États-Unis n'en sont pas à leur coup d'essai pour ce qui est d'initier un conflit ou de le faire dégénérer sur la base de menaces et provocations frauduleuses. Vous vous souvenez  des mensonges sur le Vietnam et le golfe du Tonkin ? Vous vous souvenez de la Première Guerre du Golfe et  du faux témoignage devant le Congrès à propos des bébés koweïtiens qui auraient été jetés hors des couveuses par les troupes irakiennes ? Vous vous souvenez comment George W. Bush a non seulement  fabriqué une menace d'armes de destruction massive qui n'existaient pas, mais aussi comploté pour pousser Saddam Hussein à abattre un avion américain «  aux couleurs de l'ONU » ?

Venons-en à l'Iran. La semaine dernière,  interviewé par une chaîne de radio, Chuck Hagel, l'ancien sénateur républicain et secrétaire à la Défense de Barack Obama, a accusé l'administration Trump de « provoquer l'Iran d'une manière très dangereuse ».

Nous savons tous, bien entendu, que John Bolton veut bombarder l'Iran. Il l'a dit lui-même, dans une  tribune libre du New York Times.

Alors pourquoi les journalistes ne sont-ils pas plus sceptiques face aux déclaration de l'administration vis-à-vis de l'Iran ? Pourquoi sont-ils si enclins à les répéter au public si servilement et sans la moindre critique, comme si elles étaient gravées sur des tablettes venues du ciel ?

Prenons Barbara Starr, correspondante chevronnée de CNN au Pentagone. La semaine dernière, elle a tweeté :

Just In: US officials tell me the threats from Iran included "specific and credible" intelligence that Iranian forces and proxies were targeting US forces in Syria, Iraq and at sea. There were multiple threads of intelligence about multiple locations, the officials said. #Iran

Barbara Starr (barbarastarrcnn) May 6, 2019

[Urgent : des officiels américains me disent que les menaces depuis l'Iran incluent des renseignements « spécifiques et crédibles » selon lesquels des forces iraniennes et alliées prenaient pour cible des forces américaines en Syrie, en Irak et en mer. Selon les officiels il y avait plusieurs sources de renseignements pour plusieurs endroits,. #Iran]

Cette semaine, en revanche, le général britannique le plus haut gradé dans la coalition menée par les États-Unis contre Daech  a dit à des reporters qu'il n'y avait « aucune aggravation de la menace de la part des forces soutenues par l'Iran en Irak et en Syrie. »

Oups.

« Trompez-moi une fois », comme il était si notoire que le président George W. Bush Bush "Fool Me Once..."Bush "Fool Me Once..." , « honte à vous. Trompez-moi deux fois, honte à moi. »

2. Vérifiez vos informations

L'Iran n'a pas d'armes nucléaires. L'Iran n'a pas de programme de développement d'armes nucléaires. L'Iran a obéi à tous les points de l'accord sur le nucléaire.

Ces trois affirmations représentent le consensus qui prévaut au sein, entre autres,  de la communauté américaine du renseignement, des 𝕏 chefs de la sécurité israélienne, des  généraux américains les plus gradés, et plus important encore peut-être, de  l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Si, en tant que journaliste, vous dites le contraire, alors vous tenez un scoop du tonnerre. Mais il y a intérêt à ce que ce soit fondé sur quelque chose de plus solide que les délires de responsables anonymes de la Maison Blanche.

Et pourtant, le  New York Times rapportait plus tôt cette semaine que le plan du Pentagone consistant à envoyer 120 000 soldats au Moyen-Orient dépendait en partie de la décision de l'Iran d'« accélérer ses travaux sur les armes nucléaires. »

Comment les Iraniens peuvent-ils « accélérer leurs travaux » sur des armes qui n'existent pas ?

3. Le contexte, le contexte, le contexte

On nous montre constamment à la télé des images d'Iraniens en train de American flag burned in Iranian parliamentAmerican flag burned in Iranian parliament ou de scander « Anti-U.S. Protests Break Out In Iran | NBC Nightly NewsAnti-U.S. Protests Break Out In Iran | NBC Nightly News  ». Ne serait-il pas utile que des journalistes rappellent aussi le contexte indispensable à la compréhension de ce long conflit. Ne pourraient-ils pas essayer d'expliquer à leurs lecteurs ou leurs téléspectateurs que chaque camp a de longue date des griefs légitimes ?

Après tout, combien d'Américains savent que l'administration Eisenhower à renversé le gouvernement élu démocratiquement du Premier ministre Mohammad Mossadegh dans Blowback: Iran, the Ayatollahs, and the CIABlowback: Iran, the Ayatollahs, and the CIA en 1953 ? Ou que l'administration Carter  a offert refuge au dictateur répressif, le Shah d'Iran, après qu'il ait fui la Révolution iranienne de 1979 ? Ou que l'administration Reagan a aidé l'Irak de Saddam Hussein  à utiliser du gaz de combat contre les forces iraniennes dans la guerre Iran-Irak ? Ou que l'administration George H. Bush  a refusé de présenter des excuses à l'Iran après qu'un navire de guerre américain ait abattu un avion de ligne iranien, tuant les 290 passagers ?

Ce n'est pas si compliqué pour les journalistes d'apporter un éclairage historique à leurs reportages. Bernie Sanders l'a fait face à Hillary Clinton, brièvement et sans ménagement, en févier 2016, lors d'un  débat entre candidats démocrates à la présidence :

Personne ne sait qui était Mossadegh, le Premier ministre de l'Iran élu démocratiquement. Il a été renversé par des intérêts britanniques et américains parce qu'il menaçait les intérêts pétroliers des Britanniques. Le résultat, c'est que le Shah d'Iran, terrible dictateur a pris le pouvoir. Le résultat, c'est que vous avez eu la Révolution iranienne, et nous en sommes là aujourd'hui.

4. Trouvez de meilleures sources.

Pourquoi ne citer que les fonctionnaires de l'administration, pourquoi ne se fier qu'à ces gens là ? Ou à des hommes et femmes portant l'uniforme ? Ou à des mecs de  « think-tanks » bellicistes de Washington ?

Pourquoi ne pas aussi donner la parole aux sceptiques, aux pacifistes ? Aux  Irano-américains peut-être ?

Un mois avant l'invasion de l'Irak, en février 2003, Fairness & Accuracy in Reporting, ou FAIR [Vérité et précision dans les reportages, une organisme de vérification des faits, NdT] a réalisé  une étude de 393 sources filmées concernant l'Irak, elles ont été diffusées par les chaînes d'information. Selon FAIR, pas moins de trois sources sur quatre (76%) étaient des responsables du gouvernement précédent ou actuel, ou des militaires, comparé au minuscule 6% des sources qui doutaient de la nécessité d'un conflit avec l'Irak. Pendant ce temps, moins d'un pour cent - ou trois sources sur 393 ! - étaient « associées à des manifestations organisées ou des groupes anti-guerre ».

J'ai une idée pour les reporters et les présentateurs qui cherchent des invités et des sources pour la crise actuelle : si ils se sont trompé sur l'Irak, ne leur demandez pas leur avis sur l'Iran.

Entre un président au bureau ovale  QUI N'Y CONNAÎT RIEN mais 𝕏 va-t-en guerre, un conseiller à la sécurité nationale qui  rêve d'une guerre depuis des décennies, et des Saoudiens  assoiffés de sang, l'importance d'une couverture médiatique exacte et précise sur l'Iran et la menace qu'il pose ou ne pose pas, ne saurait être trop soulignée. Pensez à une chose :  des centaines de milliers de civils irakiens, ainsi que plus de  4 400 soldats américains, seraient peut-être encore en vie aujourd'hui si les groupes de médias américains -  à quelques exceptions près - avaient fait leur boulot en 2003.

En fait, en mai 2004, un an après l'invasion, les rédacteurs du New York Times ont présenté un saisissant mea culpa, sous le gros-titre  « Le Times et l'Irak ». Ils y admettaient que des informations « controversées » au sujet de l'Irak et des armes de destruction massive, « n'ont pas été correctement évaluées, ou n'ont pas été remises en question. A la lumière des événements, nous regrettons de ne pas avoir été plus insistants dans l'examen des déclarations au fur et à mesure que de nouvelles preuves apparaissaient - ou pas. »

« Des rédacteurs à plusieurs niveaux, qui auraient dû interpeller leurs journalistes et les appeler à plus de scepticisme », poursuivaient-ils, « étaient peut-être trop pressés de faire imprimer leurs scoops... Des articles basés sur des déclarations alarmantes au sujet de l'Irak étaient systématiquement mis en avant, tandis que les articles de relance qui remettaient en question les articles de départ étaient parfois passés sous silence. Dans certains cas, il n'y avait même pas de droit de réponse. »

Est-ce que le New York Times se prépare à diffuser, d'ici un an ou deux, un autre mea culpa titré « Le Times et l'Iran » ? Les reporters, présentateurs, rédacteurs américains, veulent-ils vraiment avoir plus de sang du Moyen-Orient sur les mains ? Si ce n'est pas le cas, ils ont besoin de revoir leur couverture des événements concernant l'Iran et l'administration Trump, couverture qui est quand même actuellement bien crédule et de plus en plus belliciste - et ça, ils doivent le faire rapidement.

Source :  The Intercept, Mehdi Hasan, 17-05-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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