Par Wafa Amr
Les Palestiniens sont désorientés. Les commentaires et les déclarations contradictoires et souvent vagues des dirigeants palestiniens sur la demande palestinienne de reconnaissance d'un Etat par les Nations Unies laissent la population perplexe. Le président palestinien Mahmoud Abbas a dit que la démarche de reconnaissance de l'Etat de Palestine aux Nations Unies prévue pour septembre n'est pas un coup de pub et que, bien que les négociations restent sa première option, la poursuite de l'expansion des colonies et l'impossibilité de reprendre des pourparlers sérieux avec Israël l'ont contraint à se tourner vers les Nations Unies pour mettre fin au conflit de façon pacifique (1). Puis Abbas a dit que si on lui présentait une offre de paix avant septembre, il ferait machine arrière (2).
La plupart des responsables palestiniens avec lesquels j'ai discuté, en particulier des diplomates et des officiels qui travaillent sur le dossier de la reconnaissance à l'ONU, affirment qu'avec ou sans nouvelle offre de paix, la candidature à l'ONU sera maintenue.
Les hauts fonctionnaires palestiniens ont une compréhension faible des aspects techniques liés à cette reconnaissance. Ils font aussi des déclarations contradictoires sur la manière de contourner l'imminent véto US, comment ils utiliseront les lois et les règlements des Nations Unies, le lobbying intense, les batailles diplomatiques, etc. pour gagner la reconnaissance.
Alors se pose la question du lendemain. Que se passera-t-il si les dirigeants palestiniens n'obtiennent pas cette reconnaissance après avoir soulevé les espoirs de leur peuple ? Certains prévoient une "troisième Intifada", et Israël s'y prépare en mettant ses troupes en état d'alerte. D'autres disent qu'ils continueront la lutte diplomatique parce que la "bataille de la reconnaissance" commence par le dépôt de la demande au secrétaire général des Nations Unies en juillet, et que le processus se déroule sur une année.
Je me suis rendue à Ramallah, quartier général de la direction palestinienne en Cisjordanie, pour essayer de comprendre, j'ai rencontré des diplomates palestiniens qui travaillent aux Nations Unies, des officiels palestiniens de haut rang, des journalistes et des éditorialistes, les conseillers d'Abbas et autres. Je suis partie encore plus confuse et avec la conviction que peu de gens savent réellement ce qu'Abbas a en tête.
"C'est une situation gagnant-gagnant", m'a dit un proche collaborateur d'Abbas.
"Nous allons à l'ONU sans tenir compte des offres de paix qui pourraient nous être faites parce que jusqu'à présent, aucune proposition de paix n'a réussi à stopper les constructions de colonies et Netanyahu a clairement rejeté les pourparlers basés sur les frontières de 1967", m'a-t-il dit. Une déclaration reprise par au moins trois autres conseillers palestiniens.
Une autre source proche d'Abbas a dit que le dirigeant palestinien était clair lorsqu'il a affirmé à maintes reprises que les négociations étaient sa première option et qui si on lui présentait avant septembre une offre de paix qui conduirait à un engagement israélien à mettre fin aux constructions de colonie et à reprendre les négociations sur la base du discours du président Obama (les frontières de 1967 avec des échanges de terre), Abbas abandonnerait la candidature à l'ONU et reprendrait les pourparlers.
Y aura-t-il une reconnaissance en septembre ? Les Palestiniens ont-ils obtenu la reconnaissance des 130 Etats nécessaires ? Le Palestinien lambda s'est entendu répondre "oui" par certains responsables, "non" par d'autres, et "On les aura d'ici septembre" par quelques-uns.
Un fonctionnaire palestinien qui travaille à l'ONU a dit que les Palestiniens n'ont jusqu'à maintenant obtenu la reconnaissance que de 114 Etats, mais qu'ils s'efforcent de parvenir au chiffre de 130.
Toutefois, cela ne suffit pas pour que les Palestiniens obtiennent la reconnaissance de l'Etat de Palestine comme nouveau membre des Nations Unies.
Nasser Qidwa, ancien diplomate palestinien à l'ONU, est très clair : "Malheureusement, il n'y aura pas de reconnaissance de l'Etat de Palestine en septembre. Cela n'arrivera pas."
"Pourquoi ? Parce qu'il faut le vote du Conseil de Sécurité et que c'est une exigence qu'on ne peut pas contourner," ajoute-t-il.
D'autres responsables ont dit à la presse qu'ils pouvaient éviter l'obstacle en utilisant d'autres mécanismes, dont les deux-tiers des votes de l'Assemblée générale et la Résolution "S'unir pour la Paix" (3) et ils ont expliqué d'autres méthodes techniques dont le Palestinien de la rue n'a aucune connaissance.
Le veto US est important. Les Etats-Unis l'ont jusqu'à présent opposé 27 fois sur des résolutions en faveur des Palestiniens. Dans son dernier discours sur le Moyen-Orient, le président Obama a promis de continuer à défendre Israël dans toutes les instances publiques internationales. Et cela va continuer, même si les Etats-Unis sont isolés au plan international pour être le seul pays à opposer son véto.
Donc, nous savons qu'il n'y aura pas de reconnaissance en septembre. Les Palestiniens ont-ils un autre plan ?
Oui, répondent-ils.
"C'est un processus qui commence en septembre. Ce n'est pas la fin," déclare un diplomate palestinien à l'ONU.
"Nous envisageons de pousser la reconnaissance de l'Etat d'un pas en avant et nous sommes certains de gagner un rehaussement de notre statut aux Nations Unies," dit-il.
Les Palestiniens seront-ils plus proches d'un Etat après septembre ?
Oui et non, disent les fonctionnaires.
Oui, parce que la lutte à l'ONU continuera et la communauté internationale travaillera plus dur pour présenter des propositions de paix basées sur les frontières de 1967. La pression s'accentuera sur Israël pour qu'il accepte l'offre d'Obama de reprendre les pourparlers sur la base d'un Etat palestinien dans les frontières de 1967 avec des échanges de terre convenus. Combien de temps Israël peut-il refuser et résister ? Le discours d'Obama était important parce qu'il est le premier président états-unien à affirmer publiquement ce qui était depuis longtemps la politique US officieuse.
Washington croit qu'une fin pacifique au conflit repose sur un Etat palestinien en Cisjordanie (y compris Jérusalem Est)et dans la Bande de Gaza, à côté d'Israël. Des échanges de terre seraient négociés entre les deux parties, et ainsi le problème des colonies serait résolu une fois que les frontières seraient convenues. C'est sur cette base que l'ancien envoyé d'Obama George Mitchell a travaillé pendant des mois avant de démissionner.
Abbas et l'ex-premier ministre israélien Ehud Olmert avaient aussi négocié sur ces principes de base mais ils ont divergé sur la localisation et le pourcentage des terres qui seraient échangées.
Toutes les parties sont conscientes que la possibilité de la solution de deux Etats se ferme.
Le président israélien Shimon Peres a dit récemment à CNN, lors d'un entretien, que l'échec à trouver un accord avec les Palestiniens menaçait le caractère juif de l'Etat israélien.
"Un Etat sans majorité claire ou avec une majorité non-juive serait ce contre quoi nous essayons de travailler," a dit Peres. (4)
La Cisjordanie est toujours sous occupation totale, les colonies continuent de s'étendre, les Israéliens s'emparent rapidement de Jérusalem Est arabe et le peuple palestinien est convaincu qu'il n'y a pas de bases réelles pour de futures négociations.
Les Palestiniens attendront-ils indéfiniment que les Etats-Unis et la communauté internationale convainquent Israël de reprendre les discussions ? L'expérience nous a appris que la situation exploserait à tout moment.
Ce pourrait être un troisième soulèvement, mais pas nécessairement violent. La situation pourrait conduire à une forte poussée pour la solution d'un seul Etat, le scénario de cauchemar pour Israël. Les dirigeants réfugiés en exil débattent déjà des manières de pousser pour cette solution et la jeune génération des territoires palestiniens a déjà perdu espoir en une solution à deux Etats.
(1) Lire l'article de Mahmoud Abbas, "The Long Overdue Palestinian State", New York Times, 16 mai 2011.
(2) "Given options, we won't go to UN", YnetNews, 21 juin 2011
(3) Résolution 377 (V) "S'unir pour la Paix" de l'Assemblée générale des Nations unies, 3 novembre 1950. Elle stipule que lorsque le Conseil de Sécurité des Nations Unies n'agit pas en raison de divergences entre les cinq membres permanents, la question sera soumise à l'Assemblée générale en faisant usage du mécanisme de 'session spéciale urgente'
(4)"Need to strike peace with PA 'urgent'", YnetNews, 19 juin 2011
newsnet_55641_wafa31.jpgWafa Amr est née en Jordanie, elle est journaliste depuis 1987. Elle couvre le conflit palestino-israélien depuis 1987 pour de nombreuses agences de presse et journaux arabes et internationaux.
Source : Blog Wafa Amr
Traduction : MR pour ISM