Pepe Escobar
Pousse-toi, Lawrence d'Arabie ! Le grand (?) gaulois libérateur de la Libye (et tout autre pays arabe suffisamment crédule), le président français néo-napoléonien Sarkozy, flanqué de son acolyte le premier ministre David Cameron d'Arabie, s'avançait dans un aéroport de Tripoli bouclé militairement pour chanter La Vie en Rose en Méditerranée, célébrant ainsi le succès de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord pour bombarder la Libye dans la « démocratie. »
Pour des dirigeants occidentaux, bombarder des populations arabes est toujours une source d'extrême plaisir... surtout si cela permet de faire aussi main basse sur les ressources naturelles de tout un pays.
S'incrustant sur la photo, on trouvait l'insupportable auto-promotionné et soi-disant « nouveau philosophe » Bernard-Henri Lévy, le torse perpétuellement dénudé sous une chemise blanche bien repassée... celui qui a lancé le fameux appel téléphonique depuis Benghazi pour « vendre » une guerre au libérateur gaulois (comme si le roi Sarko allait repousser une sollicitation pour déployer sa grandeur).
Inutile de chercher des métaphores avec la Rome impériale - le « tour de la victoire » avec « lauriers » et l'inévitable « au vainqueur le butin » (de guerre), parce que c'est exactement ce qui se passe.
Un tour de la victoire dans la périphérie de l'empire - même si vous n'êtes qu'un humble proconsul - sera pourtant certainement et impitoyablement rattrapé par la débâcle économique européenne.
Au son des hélicoptères Apache patrouillant sur la Méditerranée, et escorté par des dizaines de policiers anti-émeutes, le roitelet Sarko a ressenti le besoin de dire à une foule crédule : « Ce que nous avons fait était pour des raisons humanitaires. Il n'y a pas d'objectif caché. »
Mais juste au cas où - avec les deux principaux hôtels de Tripoli grouillant d'entrepreneurs/vautours multilingues - le président du fragile Conseil national de Transition (CNT), Mustafa Abdul Jalil, s'est senti obligé de préciser quel était l'objectif en question : « nos alliés et amis » devraient « avoir la priorité dans un cadre de transparence » dans le partage du butin. Autant de contrats juteux dans le sac - en pétrole, en gaz (et pour l'eau et l'uranium et la reconstruction) - en si peu de temps !
Reprenant le roitelet Sarko, Petit Dave a pompeusement proclamé, « le printemps arabe pourrait devenir un été arabe. » C'est la formule codée pour dire que l'OTAN se tient prête à bombarder d'autres dictateurs jusqu'à plus soif - aussi longtemps qu'il y aura des « rebelles » opportunément prêts à appeler la cavalerie (européenne) en se présentant à tort ou à raison comme des « pro-démocrates. »
Le petit roi Sarko a même précisé le chapitre qui allait suivre : le chemin de Damas. Cher Bachar, il est temps de t'occuper de ta réservation pour un billet aller simple.
La visite éclair de Tripoli a été soigneusement programmée pour éclipser la visite du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Pourtant pour l'Egypte, l'âme du printemps arabe, c'est Recep qui tient la vedette et non pas les bombardiers anglo-français de l'OTAN.
Et dire que hier encore, les services secrets britanniques et français étaient si heureux au lit avec l'appareil de sécurité de Kadhafi ! Quel dommage que Petit Dave n'ait pas profité de ce moment à Tripoli pour s'expliquer avec le commandant militaire Belhaj Abdelhakim - ancien émir du Groupe islamique combattant en Libye (GICL), ancien militant actif d'Al-Qaïda, ancien torturé de la CIA, mais (heureusement pour lui) éternel ennemi de Kadhafi.
Belhaj pour sa part a perdu une excellente occasion de demander à Petit Dave - en l'absence des Américains - des excuses officielles des Britanniques pour les tortures et ses six ans de prison. Peut-être va-t-il maintenant opter pour la Cour pénale internationale ?
L'OTAN a essentiellement conquis en Libye une bande de terre autour d'une autoroute parsemée de quelques villes du bord de la Méditerranée. Personne ne sait ce qui se passe réellement dans le désert. Le vrai plan de l'OTAN est d'attendre et de voir si Kadhafi et ses forces se regroupent, se réarment au Niger et au sud de l'Algérie et démarrent une vraie guérilla. Ce sera pour l'OTAN l'excuse parfaite pour rester - comme en Afghanistan.
Il y a aussi la question loin d'être négligeable des centaines, voire des milliers d'Africains sub-sahariens harcelés ou massacrés par les « rebelles de l'OTAN » - quelque chose qui garantit que de larges pans de l'Afrique soutiendront activement Kadhafi.
Avec l'OTAN s'attendant à prolonger le plaisir, pas étonnant que les amateurs anglo-français ne se soucient guère de la promesse de leur hôte Jalil de jeter État laïque de la Libye à la poubelle (puisque la charia devient la « source principale du droit »). Une raison de plus pour l'Occident d'être « vigilant ». Attendez les grandes bagarres à venir. L'homme à surveiller est Ali-Salabi - un islamiste radical aligné sur le cheikh Youssef al-Qaradawi. Il a déjà lancé une guerre contre Premier ministre du CNT, Mahmoud Jibril - jusqu'ici le visage des rebelles de l'OTAN dans les médias internationaux. As-Salabi qualifie Jibril et ses cohortes, de « laïques extrémistes » qui conduisent la Libye vers « une nouvelle ère de tyrannie et de dictature ». Belhaj, proche d'Al-Qaïda et qui commande des milliers de rebelles armés jusqu'aux dents - se trouve être un allié très proche d'as-Salabi.
Il n'y a aucune évidence que le CNT ait la force de désarmer cette milice - déjà dans le style de l'enfer irakien - à Tripoli et au-delà. Si le CNT ne le fait pas, l'OTAN se fera un plaisir de rendre ce service. Dans ce cas, les paris sur la Libye vont dans le sens non pas d'un Afghanistan ou d'un Irak 2.0, mais d'une Somalie 2.0. Fini de jouer ? Envoyez les Marines et faites de Tripoli un nouveau Falloujah. Sur ce coup-là, Barack Obama pourrait même gagner les élections en 2012.
Le plaisir (tragique) et les jeux ne font que commencer. Voyons voir combien de temps cela prendra au roi Sarko et au Petit Dave pour refaire leur tour de la victoire - et dans quel type de Tripoli ce sera. Kaboul, Bagdad ou Mogadiscio ?
* Pepe Escobar est l'auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007) et Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge. Son dernier livre vient de sortir ; il a pour titre : Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009).
On peut le joindre à pepeasia_AT_yahoo.com.
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