par Pepe Escobar
Pousses-toi, Lawrence d'Arabie. Le grand libérateur gaulois de la Libye (et tout autre arabe naïf en vu), le président néo-napoléonien français Sarkozy, flanqué de son acolyte Cameron d'Arabie, premier ministre britannique, ont foulé le sol libyen à l'aéroport de Tripoli, bouclé par la soldatesque, pour chanter un air de "la vie en rose" sur les bords de la Méditerannée, célébrant ainsi le bombardement intensif de la Libye pour lui donner la "démocratie".
Dans leur sillage pour la photo souvenir se tenait l'imbuvable égocentrique et auto-proclamé "nouveau philosophe" Benard-Henri Levy, celui du perpétuel poitrail exposé sous une chemise blanche fraichement repassée, celui du fameux "coup de téléphone" depuis Benghazi qui a "vendu" la guerre au libérateur gaulois si occupé (comme si le roi Sarko refuserait un coup de pouce pour agrandir sa grandeur...).
Pas besoin de se priver des métaphores de la Rome antique "du tour d'honneur" aux "lauriers" en passant par l'inévitable "au vainqueur le fruit de la victoire", parce que c'est exactement ce que ce fut.
Le roi Sarko et le petit David ne ressemblent peut-être pas à la ravissante jeune femme d'Angola qui vient d'être élue Miss Universe, mais ils n'en sont pas moins dans le même mode du "ne vous privez pas de vous baigner dans notre splendeur". Un tour d'honneur dans la périphérie de l'empire, même si vous n'êtes de fait qu'un petit proconsul, est certainement plus valorisant que d'être pulvérisé sans merci par la débâcle économique européenne.
Au son des hélicoptères Apaches qui patrouillent la Méditerranée, escortés par des douzaines de flics anti-émeutes, le roi Sarko s'est senti le besoin de dire au monde qui n'en sait guère plus: "Ce que nous avons fait, nous l'avons fait pour des raisons humanitaires. Il n'y avait pas d'agenda caché."
Mais au cas où le besoin s'en ferait sentir, les deux plus grands hôtels de Tripoli sont envahis par une meute de contracteurs / vautours multilingues et le président du conseil national transitoire, Moustapha Abdul Gelil, a dû expliquer l'agenda de fait: "les alliés et les amis" auraient "la priorité dans le cadre de la transparence" pour se partager les fruits du pillage en règle. Tant de contrats sur le pétrole, le gaz, l'eau, l'uranium et la reconstruction à empocher et si peu de temps pour le faire.
En écho de Sarko, le petit David a proclamé de manière tonitruante que "Le printemps arabe pourrait devenir un été arabe". Ceci est la phrase code pour l'OTAN de se préparer à bombarder plus de dictateurs vers l'anéantissement, aussi loin qu'il y ait des "rebelles" opportunistes désirant appeler la cavalerie européenne en montrant "patte blanche pro-démocratie", simulée ou autre.
Le roi Sarko a même donné en primeur le prochain chapitre: le chemin de Damas. Cher Bashar, il est temps de réserver ton aller-simple vers nulle-part.
Les règles de la Somalie
Le tour éclair de Tripoli du roi Sarko et du petit David fut minutieusement préparé pour éclipser la visite du premier ministre turc Recep Erdogan; car aussi loin qu'est concernée l'âme du printemps arabe: l'Egypte, Recep est la référence, pas les bombardiers de l'OTAN.
Quand on pense que juste hier, les services de renseignement français et britannique étaient si content au lit avec l'appareil de sécurité de Kadhafi... Vraiment dommage que le petit David n'ai pas pris de bon temps avec le nouveau commandant militaire de Tripoli Abdelhakim Belhaj, ancien émir du groupe combattant islamique de Libye, membre d'Al Qaïda, ancien détenu torturé par la CIA, mais (bon pour lui) ennemi éternel de Kadhafi.
Belhaj de son côté, a perdu une excellente opportunité de demander au petit David, en l'absence des américains, une excuse officielle de sa détention et torutre de six ans; peut-être va t'il porter plainte maintenant à la cour pénale internationale.
L'OTAN a capturé essentiellement en Libye un long ruban d'autoroute parsemé de quelques villes le long de la mer Méditérannée. Personne ne sait vraiment ce qui se passe dans le désert... Le véritable agenda de l'OTAN est de voir avec le temps, pendant que Kadhafi et ses forces se regroupent et se réarment au Niger et en Algérie du sud et commence une véritbale guérilla. Ceci sera la parfaite excuse pour l'OTAN de rester, comme en Afghanistan.
Il y a aussi le cas qui n'est pas des moindres, des centaines voire des milliers d'africains sub-sahariens qui ont été harassés ou massacrés par les "rebelles de l'OTAN", une chose qui va donner un plus grand soutien de l'Afrique à Kadhafi.
Avec l'OTAN ayant la volonté de faire durer le plaisir, pas étonnant que les amants infernaux anglo-français se moquent que leur hôte Gelil jette aux ordures l'état séculier, alors que la charia va devenir "la principale source de la loi". Une raison de plus pour l'occident d'être vigilant. Attendons-nous à des bagarres de chifonniers à venir. L'homme à observer est Ali as-Salabi, un islamiste pur et dur aligné avec le Sheikh Youssouf al-Qaradawi. Il a déjà lancé une guerre contre le premier ministre du conseil transitoire Mahmoud Gebril, qui est pour l'heure le visage médiatique des rebelles de l'OTAN. As-Salabi décrit Gebril et ses sbires comme étant des "sécularistes extrêmes", qui mènent la Libye vers "une nouvelle ère de tyrannie et de dictature". L'homme d'Al Qaïda Belhaj, qui commande des milliers de rebelles armés jusqu'aux dents, est allié très proche d'As-Salabi.
Il n'y a absolument aucune évidence pour croire que le conseil transitoire ait la force de désarmer la milice actuelle, fonctionnant déjà dans le style irakien, à Tripoli et ailleurs. Si le conseil transitoire ne le fait pas, l'OTAN s'en fera une joie. Dans ce cas précis, les paris sont sur la Libye qui deviendrait non pas comme un Afghanistan 2.o ou un Irak 2.0, mais bien comme une Somalie 2.0 et fin de partie ?
Envoyez les Marines et faites de Tripoli un nouverau Fallujah. Obama pourrait même gagner de nouveau les élections en 2012 sur ce seul plan.
Vous voulez parier ? Le jeu (tragique) ne fait que commencer. Voyons donc voir combien de temps cela prendra au roi Sarko et au petit David pour refaire leur tour d'honneur, et surtout dans quel Tripoli ils aterriront la prochaine fois: Kaboul, Baghdad ou Mogadiscio ?...
Article original en anglais : atimes.com
Traduction : Résistance 71
Pepe Escobar est l'auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007) and Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge. Son dernier livre est Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009).
pepeasiayahoo.com.