Vladimir Poutine vient d'annoncer le traité historique passé avec la Turquie et, en même temps, l'annulation du projet gazier South Stream. Le premier journaliste protestataire de France, créateur et directeur du site boulevard voltaire des plus visités (1 Million tous les jours) Thierry Meyssan résidant à Damas admire le doigté génial du Président de Russie.
La Voix de la Russie : Thierry Meyssan, selon la décision de Vladimir Poutine le projet South Stream se trouve annulé. En revanche un autre projet avec la Turquie vient d'éclore. Qu'en dites-vous ?
Thierry Meyssan : Je pense que l'alliance que vient de conclure Vladimir Poutine va rester dans les annales. C'est un coup de maître face à l'OTAN !Parce que la Russie et la Turquie restent des adversaires politiques irréductibles ! Et c'est le cas aussi par rapport à l'Ukraine où la Turquie était impliquée dans les événements du Maïdan et dans le soutien à l'actuel gouvernement de Kiev contre la population de Donbass. Mais Vladimir Poutine a choisi de dissocier la question économique de la question politique. Pourquoi ? Mais parce que la Turquie est membre de l'OTAN, principale alliance antirusse. Mais au sein de l'OTAN M.Erdogan est devenu un cas particulier qui a pris une certaine autonomie et qui pose un certain problème très grave à l'OTAN. Et je ne pense pas que Vladimir Poutine ait choisi cette alliance parce qu'il aurait changé d'avis sur l'Ukraine ou la Syrie ou encore parce qu'il serait enamouré de M. Erdogan ! Non ! Il sait très bien à qui il a affaire. Il sait très bien que M. Erdogan est à la fois un chef mafieux, le représentant des Frères musulmans sur la scène politique internationale et qu'il emmène progressivement son pays vers une forme de dictature de plus en plus forte.
Mais M. Erdogan, au cours des derniers mois, a refusé de suivre les Etats-Unis dans certaines de leurs prescriptions. Notamment évidemment par rapport aux sanctions que les Etats-Unis ont contraint tous leurs alliés à prendre contre la Russie. La Turquie est le seul Etat de l'OTAN à ne pas avoir obéi. De même la Turquie ne participe pas de facto à l'alliance contre Daesch que le Président Obama a constitué. Donc actuellement M. Erdogan est un cauchemar pour l'OTAN puisqu'il incarne lui-même les valeurs contre lesquelles l'OTAN est censé se battre. Il incarne de même tous les travers que l'OTAN reprochait pendant la Guerre Froide à certains alliés de l'Union Soviétique. Il s'agit de construire un palais 4 fois plus grand que le palais de Versailles et d'autres choses invraisemblables. Normalement aujourd'hui les Etats-Unis réfléchissent à comment se débarrasser de ce M. Erdogan et comment organiser un changement de gouvernement au profit d'un autre parti politique. Et voilà que M. Poutine vient le soutenir à ce moment-là sur le plan économique.
Il est très probable que les Etats-Unis n'arriveront pas à se débarrasser d'Erdogan. Ils vont devoir avoir ce personnage au sein de l'OTAN ce qui est terrible pour les Etats-Unis ! Ca va créer une décomposition au sein de l'Alliance Atlantique !
D'autre part, pour la Russie, la Turquie est un pays agricole et pas seulement une puissance industrielle ! Elle va emmener des denrées alimentaires que l'UE refuse maintenant de livrer à la Russie.
C'est un client pour le gaz alors que l'UE refuse d'acheter le gaz russe... En fait, M. Erdogan tout en étant membre de l'OTAN fait exactement le contraire de la politique des Etats-Unis vis-à-vis de la Russie. Poutine, lui, il a accepté de faire un grand écart pour venir soutenir M. Erdogan sans pour autant abandonner les principes de la politique russe qui reste toujours claire à l'égard de l'Ukraine, de la Syrie et du reste du monde.
VDLR :Quid du South Stream ?
Thierry Meyssan : Depuis son discours au sommet de Sécurité de Munich où il avait appelé l'UE à se tourner vers la Russie, Vladimir Poutine a toujours souligné à quel point c'était l'intérêt réel et actuel des Etats Européens même si dans le passé il envisageait les choses différemment. Donc là il constate qu'au cours de 7 dernières années, non seulement les Etats-Unis n'ont pas laissé l'UE prendre sa liberté mais au contraire : ils ont encore plus vassalisé cette UE !
Il décide logiquement d'arrêter la construction de South Stream puisque c'est un projet voué à l'échec à cause de ce comportement suicidaire de l'UE ! Mais en s'alliant avec la Turquie, en fait il va contourner toutes les sanctions que l'UE a faites contre lui ! Parce que la Turquie va être la porte d'entrée des produits européens. L'UE va perdre sur tous les tableaux dans cette affaire ! Tandis que la Russie va, elle, gagner sur tous les tableaux ! Je trouve qu'il est très audacieux de mener ce type d'alliance avec un adversaire politique, mais il est clair que pour la Turquie aussi il n'y a pas d'autre alternative que d'accepter la main tendue par la Russie.
Commentaire : Résolument le monde devient multipolaire comme Pierre Rousselin, journaliste du Figaro l'a fait valoir dans son dernier ouvrage « Les Démocraties en danger ». On ne saura retenir l'eau qui s'échappera par tous les orifices. Les Etats-Unis ont beau essayer de garder le monde sous leur boisseau mais leur temps est désormais révolu, car leurs féaux désertent leur aleud rendant leur politique dérisoire et caduque. La Turquie brise cette ceinture d'endiguement que les puissances occidentales ont créé autour de l'Etat russe en direction de l'Ouest. Qui plus est, les pays régionaux trouvent en Russie leur propre pôle d'attraction car l'aigle bicéphale est à la fois gardien de l'orthodoxie et défenseur de l'islam. La Turquie qui est une grande puissance historique l'a compris et ne fait que suivre la tendance générale. Quant aux Européens, ils se privent de gaz russe et des marchés pour leurs produits. Comme disaient les Anciens, quand Dieu veut perdre quelqu'un, il le prive de raison.