par Andrew Korybko
Pashinyan fait dangereusement le pari que la Russie interviendra pour protéger l'Arménie malgré toutes ses provocations à son encontre ou que l'OTAN dissuadera ses voisins d'attaquer, mais il y a des raisons de penser que ni l'un ni l'autre ne se produira et que l'Arménie se retrouve seule pour combattre l'Azerbaïdjan et peut-être aussi la Turquie.
Les liens entre la Russie et l'Arménie se détériorent rapidement à la suite de l'interview du Premier ministre Pashinyan à la fin de la semaine dernière, dans laquelle il a critiqué l'allié de défense mutuelle de son pays au sein de l'OTSC. Cette interview a été analysée ici et comprenait notamment des liens vers plusieurs documents d'information que les lecteurs qui n'ont pas suivi la situation feraient bien de consulter. L'Arménie a ensuite brusquement rappelé son envoyé de l'OTSC, la Russie a demandé pourquoi Erevan envisageait de ratifier le Statut de Rome, et des exercices conjoints avec les États-Unis ont soudainement été annoncés pour les 11-20 septembre.
La première de ces trois dernières provocations suggère que l'Arménie abandonne son engagement envers cette alliance de défense mutuelle pour protester contre le fait que la Russie ne fera pas la guerre à l'Azerbaïdjan en son nom. Quant à la deuxième, elle obligera Erevan à arrêter le président Poutine s'il se rend dans ce pays nominalement allié qui, officiellement, fait toujours partie des mêmes blocs militaire (OTSC) et économique (Union économique eurasiatique). La troisième va jusqu'au bout de la logique des deux précédentes en laissant entendre que l'Arménie se prépare à pivoter vers l'OTAN.
Ces trois démarches anti-russes vont à l'encontre des intérêts nationaux objectifs de l'Arménie. Même si ce pays en veut au Kremlin d'avoir refusé de mener une guerre d'agression visant à perpétuer l'occupation illégale du Karabakh, Moscou reste déterminé à garantir l'existence de l'État arménien. Signaler son intention d'abandonner le même pacte qui assure sa sécurité est une réaction émotionnelle excessive qui risque de se retourner contre elle d'une manière qui sera décrite plus loin.
Il en va de même pour l'adoption d'une législation hyper-politisée et centrée sur l'Occident qui aura pour effet de neutraliser l'élément stratégique des liens russo-arméniens si le dirigeant de l'un ne peut plus se rendre dans l'autre. Il est difficile d'imaginer que Moscou reste attaché à ses alliances militaires et économiques avec Erevan si le président Poutine n'est pas autorisé à mettre les pieds dans ce pays. Cette démarche agressive vise à déclencher une réaction de la Russie que l'Arménie pourra ensuite interpréter comme une «nouvelle preuve de son manque de fiabilité».
La dernière de ces trois mesures montre que Pashinyan augmente inconsidérément les enjeux de sa querelle avec la Russie en prenant des mesures tangibles pour créer inutilement un dilemme en matière de sécurité régionale. Il se trompe s'il pense que cela rendra Moscou «géostratégiquement jaloux» au point de promettre secrètement de faire la guerre à l'Azerbaïdjan en échange d'une prise de distance de l'Arménie avec le Pentagone. Les États-Unis sont en fait en train de préparer l'Arménie à provoquer un nouveau conflit du Karabakh à des fins de division et de domination.
Ce point de vue nous amène à la véritable raison de l'évolution rapide de la dynamique régionale que l'Arménie est en train de déclencher unilatéralement après que Pashinyan ait capitulé face à la pression de la diaspora ultranationaliste radicale pro-occidentale basée en France et aux États-Unis, qui fait tacitement office d'«agent d'influence» de ces deux pays. Les observateurs ne doivent pas oublier qu'il est arrivé au pouvoir à la faveur d'une révolution de couleur qui a exploité le sentiment anti-russe et irrédentiste que les «ONG» de cette même diaspora ont cultivé à partir de 1991.
Nombreux sont ceux qui, dans la communauté des médias alternatifs, ont refusé de le reconnaître parce qu'ils sont favorables à la guerre de l'information menée par la diaspora arménienne, qui présente faussement sa cause irrédentiste contre l'Azerbaïdjan comme une «lutte existentielle pour la survie de la plus ancienne communauté chrétienne du monde». En outre, ces mêmes personnes ont tendance à être critiques à l'égard de la Turquie, voire carrément turcophobes, ce qui a été exploité au maximum par la diaspora après qu'elle ait également présenté l'Azerbaïdjan comme une «marionnette turque».
Cette opération de gestion de la perception, qui a duré des années, a eu pour effet que ceux qui se considèrent sincèrement comme des partisans de la transition systémique mondiale vers la multipolarité ont été dupés et sont devenus les «idiots utiles» de l'Occident pour diviser et régner sur le Sud Caucase par le biais de l'irrédentisme arménien. Cet objectif néfaste est favorisé par le refus de Pashinyan de se conformer aux mêmes obligations de médiation russe qu'il a acceptées en novembre 2020 et par sa volonté de provoquer un nouveau conflit.
Ses seigneurs de la diaspora basés en France et aux États-Unis, qui font tacitement office d'«agents d'influence» de ces deux pays, s'attendent à ce que ce scénario puisse infliger des dommages stratégiques sans précédent à la Russie. Si l'Azerbaïdjan se sent obligé de lancer une mission d'imposition de la paix contre l'Arménie, sur le modèle de celle que la Russie a menée avec succès contre la Géorgie il y a 15 ans, cela pourrait déclencher une série de développements rapides qu'il serait très difficile pour Moscou de contrôler, et encore plus d'en sortir indemne.
Le Kremlin pourrait estimer qu'il «perdra la face» s'il n'empêche pas les incursions azerbaïdjanaises à grande échelle dans le territoire universellement reconnu de l'Arménie, allié nominal de l'OTSC, ce qui pourrait conduire à une guerre avec l'Azerbaïdjan et/ou son allié turc de l'OTAN par erreur de calcul, ou au moins ruiner les nouvelles relations stratégiques avec ces deux pays. Dans un cas comme dans l'autre, la prédiction inquiétante de Pashinyan dans sa dernière interview, selon laquelle l'influence russe dans la région pourrait soudainement disparaître un jour, pourrait devenir une prophétie autoréalisatrice, même si elle est souhaitée par Pashinyan.
Il fait dangereusement le pari que la Russie interviendra pour protéger l'Arménie malgré toutes ses provocations à son encontre ou que l'OTAN dissuadera ses voisins d'attaquer, mais il y a des raisons de penser que ni l'un ni l'autre ne se concrétisera. Le premier pourrait considérer que le rappel abrupt de son envoyé de l'OTSC et les exercices conjoints à venir avec les États-Unis annulent ses engagements mutuels en matière de défense, tandis que le second n'a pas les armes, l'accès géographique ou la volonté politique de mener une autre guerre par procuration, sans parler d'une guerre directe.
Pour développer ces points, la Russie est restée à l'écart en septembre dernier lorsque l'Azerbaïdjan a mené sa propre «opération militaire spéciale» contre l'Arménie, qui a été analysée ici et ici à l'époque, de sorte que les précédents suggèrent qu'elle répétera probablement la même politique. En ce qui concerne les critiques susmentionnées à l'égard de l'OTAN, ses stocks ont été épuisés en fournissant l'Ukraine, il n'est pas acquis que la Géorgie permette à l'alliance de transiter vers l'Arménie, et l'opinion publique occidentale s'est lassée au cours des derniers mois.
Dans ces conditions, si Pashinyan provoque un nouveau conflit du Karabakh et que ni la Russie ni l'OTAN n'interviennent pour arrêter l'Azerbaïdjan (et peut-être aussi la Turquie), l'Arménie risque d'être démilitarisée de force dans l'intérêt d'une paix durable dans le Caucase du Sud. Les conditions de sa reddition inconditionnelle dans ce scénario pourraient aboutir à l'imposition d'une constitution pacifiste qui consacrerait également le droit de ses voisins à commercer sur son territoire dans le but d'intégrer la région.
La mort et la destruction qui pourraient précéder cette issue ne sont évidemment pas dans les intérêts nationaux objectifs de l'Arménie, bien que cela puisse encore être évité si Pashinyan se contente de respecter les mêmes obligations sous médiation russe que celles qu'il a acceptées en novembre 2020. Il lui suffit de retirer ses forces du Karabakh et de débloquer les liaisons de transport régionales à travers le territoire de son pays. Dans ce cas, l'Arménie conserverait ses forces armées tout en récoltant les fruits de la paix et du développement.
Le temps presse pour arrêter la mission d'imposition de la paix de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie, qui semble imminente, mais Pashinyan semble déterminé à faire tout ce qui est en son pouvoir pour la mettre devant le fait accompli, après avoir suivi les conseils de sa diaspora radicale pro-occidentale et ultranationaliste. Ces «agents d'influence» français et américains veulent provoquer un nouveau conflit qui, selon eux, pourrait infliger des dommages stratégiques sans précédent à la Russie, mais qui risque de se retourner contre l'Arménie en lui infligeant des dommages stratégiques sans précédent.
source : Andrew Korybko
traduction Réseau International