Par Patrick Martin
Des responsables du gouvernement Obama ont fait savoir jeudi que le gouvernement américain se préparait à des représailles contre la Corée du Nord pour le rôle présumé de celle-ci dans le piratage dont a été victime Sony Pictures. Tout en refusant de faire porter officiellement à la Corée du Nord la responsabilité du piratage - en partie et probablement parce qu'ils n'ont pas de preuves - plusieurs hauts responsables ont suggéré que des contre-mesures de guerre cybernétique étaient déjà en préparation.
L'attaché de presse de la Maison-Blanche, Josh Earnest, a dit jeudi dernier qu'il ne donnerait pas nommément à la Corée du Nord la responsabilité du piratage de Sony avant de connaître les résultats des enquêtes du FBI et du ministère de la Justice. Mais il a ajouté que l'attaque informatique était un exemple « d'activité destructrice et de malfaisance intentionnelle à l'origine de laquelle il y avait un acteur sophistiqué. » Les responsables américains considèrent que le piratage est « une grave question de sécurité nationale » et qu'il « conviendrait d'y apporter une réponse proportionnée », a-t-il dit.
Le secrétaire du Department of Homeland Security, Jesh Johnson, a informé un journaliste de la télévision ce même jour que le gouvernement « se penchait activement sur un ensemble d'options qu'il prendrait pour répondre à cette attaque. » Il n'a pas exclu l'emploi de la force militaire, bien que la référence d'Earnest à « une réponse proportionnée » soit interprétée par les médias américains comme la menace d'une sorte de sabotage électronique, plutôt qu'une attaque militaire directe sur la Corée du Nord.
La semaine dernière, on a vu, en l'espace de deux jours, un incident à propos d'un scandale d'entreprise chez Sony - des informations privées sur des dizaines de milliers d'anciens et de nouveaux employés jetées en vrac sur Internet - être transformé en une sinistre affaire, qui avait entraîné des menaces américaines contre la Corée du Nord et la Chine.
A partir du 24 novembre, des pirates informatiques qui s'étaient donné le nom de « Gardiens de la paix » avaient déposé plusieurs lots d'informations internes de Sony sur Internet pour exiger que les studios de cinéma retirent leur film The Interview, un film comique dont l'intrigue se fonde sur le recrutement par la CIA de deux journalistes américains (interprétés par Seth Rogen et James Franco) dans l'objectif d'assassiner le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un.
Cette semaine l'affaire s'est intensifiée, le tout s'accompagnant de vagues menaces de violence contre les salles de cinéma qui prévoient de projeter le film lors de sa sortie le 25 décembre. Mercredi dernier, les quatre plus grandes chaines américaines de cinéma ont annulé leurs premières, faisant état des menaces et puis Sony a entièrement retiré le film de la circulation.
Le Conseil national de sécurité américain a alors fait une première déclaration formelle, sans nommer le Corée du Nord, mais indiquant que la Maison-Blanche avait proposé son soutien à Sony contre les attaques cybernétiques. La déclaration expliquait: « Nous savons que des criminels et des pays étrangers cherchent régulièrement à accéder aux réseaux gouvernementaux et privés - aux Etats-Unis et ailleurs.... Le gouvernement américain travaille sans relâche dans le but de traduire les responsables de cette attaque en justice et, considérant une réponse potentielle, nous envisageons un ensemble d'options. »
Mercredi dernier également, les responsables du gouvernement Obama ont fait des déclarations non-attribuées aux médias américains affirmant que la Corée du Nord était responsable des attaques menées contre Sony, ce qui déclencha une frénésie médiatique et des spéculations sur une guerre cybernétique ou des ripostes militaires contre le régime de Pyongyang. Ceci était accompagné de suggestions que l'Iran était un des conjurés dans les attaques cybernétiques, en représailles de la guerre cybernétique menée par les Etats-Unis et Israël contre l'infrastructure nucléaire de l'Iran.
Aucune preuve quelle qu'elle soit n'a été présentée et les reportages de la presse se limitaient aux suggestions que le code du 'malware' utilisé pour infecter le système informatique d'entreprise de Sony avait été écrit en Corée et qu'il ressemblait à celui qui avait été utilisé dans les cyber-attaques précédentes en Corée et en Arabie saoudite.
De surcroit, les Etats-Unis se sont lourdement investis dans les mesures de guerre cybernétique, particulièrement dans celles qui ciblent la Chine. Au début de l'année, le lanceur d'alertes de la NSA, Edward Snowden, avait révélé des mesures offensives étendues de guerre cybernétique dont des attaques sur des cibles gouvernementales et militaires.
Il y a aussi des éléments qui démontrent que les Etats-Unis attisent des conflits avec la Corée du Nord dans plusieurs domaines simultanément. L'intensification de l'affaire de Sony Pictures coïncide avec la publication d'un rapport mardi par un comité de l'ONU qui recommande le renvoi des responsables nord-coréens devant la Cour criminelle internationale (CCI) concernant des violations de droits de l'homme.
Jeudi, au moment où le porte-parole de la Maison-Blanche menaçait d'une « réponse proportionnée » au piratage de Sony, l'Assemblée générale de l'ONU a approuvé le renvoi de la Corée du Nord devant la CCI, envoyant la résolution au Conseil de Sécurité de l'ONU, où on s'attend à ce que la Russie et la Chine bloquent la poursuite de l'action.
Le rôle de Sony Pictures mérite également un examen approfondi. Le studio a des relations bien documentées avec la CIA, il a produit le film Zero Dark Thirty en 2012 en collaboration directe avec la CIA; le film dépeint la torture des prisonniers comme étant vitale au repérage d'Osama bin Laden par l'escadron de la mort des Navy Seals l'année précédente. Le film a servi de sorte de déni vidéo en avance du rapport du Comité du renseignement du Sénat sur la torture, achevé à l'été 2012, mais dont la publication a été retardée pendant deux ans par la Maison-Blanche jusqu'à ce qu'il soit rendu public il y a deux semaines, sous forme lourdement censurée.
La décision de tourner un film qui atteint son point culminant dans l'assassinat de Kim Jong-un était pour le moins bizarre. Comme l'a écrit le New York Times: « Dépeindre l'assassinat d'un dirigeant mondial exerçant encore son mandat, drôlement ou pas, est quasiment sans précédent pour les grands studios cinématographiques, affirment les historiens du cinéma. » Si la Corée du Nord, l'Iran ou la Russie avaient produit un film semblable au sujet d'un plan d'assassinat d'Obama, couronné d'images épouvantables du président qui se fait anéantir par un missile (la dernière scène de The Interview), le gouvernement des Etats-Unis et les médias auraient fait un tollé.
De plus, étant donné que le gouvernement Obama prétend que le président a le droit d'ordonner l'assassinat par drone de tout individu sur la planète, y compris de citoyens américains, à sa discrétion, la représentation d'une telle attaque par un grand studio de cinéma pourrait bien être comprise comme une menace voilée. Il n'y a aucun doute qu'il y avait des éléments dans le gouvernement américain qui, conscients de la crise grandissante et de l'isolement de la dictature nord-coréenne, s'attendaient justement à ce que le film soit interprété de cette façon à Pyongyang.
Selon une information du service officiel de radiodiffusion Voice of America, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Jennifer Psaki a confirmé que le diplomate américain qui coordonne la campagne contre la Chine, Daniel Russel, « avait tenu une réunion de routine avec les cadres de chez Sony pour discuter la politique étrangère en Asie. » La publication on-line Daily Beastrapporte avoir vu des courriers électroniques indiquant qu'au moins deux responsables américains avaient vu « The Interview » en avant-première et avaient donné leur bénédiction.
L'enquête sur le piratage de Sony est coordonnée par le FBI et l'unité de médecine légale Mandiant de l'entreprise FireEye Inc. Celle-ci est la même entreprise privée qui était à l'origine d'une série d'articles, publiés dans le New York Times et salués par le gouvernement Obama, prétendant qu'une unité de l'Armée chinoise était spécialisée dans le piratage des systèmes informatiques des entreprises et du gouvernement des Etats-Unis.
La campagne contre la Corée du Nord pourrait se transformer assez rapidement en une nouvelle composante des efforts permanents faits par le gouvernement des Etats-Unis pour mobiliser des ressources militaires et sécuritaires contre la Chine.
Patrick Martin
Article original, WSWS, publié le 19 décembre 2014